En ce samedi matin, étrangement radieux pour les Highlands, nous sommes neuf. Sept expérienceurs et deux facilitatrices s’apprêtant fébrilement à vivre cette Expérience Week. Soit une semaine hors du temps pour expérimenter le quotidien de cette communauté spirituelle et holistique, qui n’impose ni doctrine ni croyances formelles. Sept jours en conscience. De pleine présence et de reliance au sacré. Car, comme le clame Pierre Rabhi :
« Si l’humanité doit évoluer, cette évolution se fera dans le sacré, dans une conscience que la vie est magique, belle, enchanteresse, que la nature est un don, la manifestation d’un principe qui nous dépasse. » Le sacré, à Findhorn, est partout. Dans les petits mots inspirés, disséminés des jardins aux... toilettes. Dans les rituels qui rythment les journées, redonnant sens et saveur au temps. Dans les liens profonds, aussi, qui se créent spontanément. Sans oublier la beauté des forêts et landes environnantes, sublimes invitations à la contemplation.
Un monde dans un monde
Australie, États-Unis, Hongrie, Portugal, France, Pays-Bas, Irlande, Angleterre et Écosse, rien que dans notre petit groupe, nos provenances – tout comme nos âges, allant de
20 à 70 ans – illustrent la diversité de ceux qui
affluent depuis plus d’un demi-siècle à Findhorn.
Si nos existences diffèrent, nous sommes tous en
transition. Certains viennent pour se ressourcer,
d’autres traversent des passages escarpés et sont
en quête d’un changement de vie. Quelquesuns
envisagent même de rejoindre cette communauté,
qui compte environ 400 personnes.
Durant cette Semaine d’expérience, préalable à
tout autre stage, nous mettrons en pratique les
trois principes clés de Findhorn : l’écoute intérieure,
la cocréation avec la Nature et le Love in
Action. Ce service désintéressé, appelé sevā dans
la voie yogique, consiste à mettre en action nos
principes intérieurs et à oeuvrer pour la communauté
dans un département (cuisine, entretien,
jardinage, etc.) assigné par tirage au sort... Faute
de quoi, ce serait la ruée sur les potagers, réputés
mondialement pour leur incroyable abondance.
Cuisiner le sens
Pour ma plus grande joie, j’atterris en cuisine. J’y
ai le champ libre pour interpréter, en cocréation
avec l’équipe, les merveilleux légumes des cultures
de Findhorn, dont l’énergie est
« palpable » (les
repas sont végétariens, voire vegan pour ceux qui
le souhaitent).
En visitant le Cullerne Garden, où
sont cultivés ces légumes, Jewels, l’activiste environnementale
(comme elle se définit) qui oeuvre
aux cultures, m’évoquera les
« temples sacrés » où
poussent ces cadeaux de la nature. Dans la
« pouponnière
», où grandissent tranquillement les
plants avant d’être semés en pleine terre, chaque
geste pour planter une graine est accompagné d’un
mantra,
« une intention d’amour », ajoute Jewels.
Depuis les travaux de Masaru Emoto, on connaît
l’impact vibratoire et énergétique des pensées et
émotions – sur l’eau, les aliments, etc. Initialement,
je pensais que cette expérience du Love
in Action serait accessoire, en marge des autres activités prévues. Or, elle est devenue le coeur
de ce séjour. Servir, nourrir, cocréer... Je me suis
rarement sentie autant à ma place, aussi joyeuse,
vivante, avec l’impression d’avoir trouvé une autre
voie d’expression ! Bien que nous cuisinions en un
temps réduit, en petite équipe, pour plus d’une
centaine de personnes, le respect et l’écoute font
partie des
« ingrédients » de base. L’équipe tourne
quotidiennement et nous prenons le temps, au
début du service, de nous connecter – de partager,
après une courte méditation, nos itinéraires et
la météo du jour, avant de nous mettre aux fourneaux.
C’est le rituel de tune-in, temps de silence
et d’accordage, indissociable des activités, tout
comme le tune-out qui clôt symboliquement toute
session ou action par un partage.
Cette vision écologique et holistique
a conduit la communauté à créer l’un
des plus anciens écovillages au monde.
Cultiver notre terre intérieure
Outre ce travail au service de la collectivité s’étalant
sur plusieurs matinées, le programme, intense,
qui donne à goûter le quotidien de la communauté, nous invitera à des partages
en groupe, mais aussi à danser, méditer, chanter,
jardiner, randonner... et jouer.
« If it’s not fun, it’s
not sustainable », dit-on, ici : si ce n’est pas amusant,
ce n’est pas durable ! L’expression n’a rien
d’anecdotique, car le souci de l’écologie, reliant
intimement l’état de notre intériorité à la santé de
l’environnement, est au coeur même de la philosophie
« findhornienne », bien avant que ce concept
de durabilité ne devienne tendance. Sous-entendu :
on ne peut pas appeler de ses voeux une transformation
extérieure (de la planète, de la société...) sans se
transformer soi-même ! Durant cette semaine, nous
allons donc biner, labourer, désherber, aérer notre
terre intérieure, pour la rendre plus fertile. Au fil des
jours et des soirées, nous rencontrerons également
des résidents de la première heure ou plus récents.
Ils témoigneront de leur parcours de vie, de leur
engagement dans la transition et de leur vie au sein
de cette communauté en mutation, au diapason de
notre monde. Des récits évoquant tant la lumière
que les ombres propres à la merveilleuse utopie du
lieu, souvent comparé à Auroville, en Inde.
Il était une « foi »
C’est l’histoire d’une communauté née inopinément
dans les choux (géants)... L’aventure de
Findhorn démarre en effet de manière non intentionnelle,
en 1962. Les trois fondateurs, Peter et
Eileen Caddy, aujourd’hui décédés, et Dorothy
Maclean, 98 ans aujourd’hui, atterrissent originellement
dans ces landes du nord-ouest de l’Écosse
en 1957, pour gérer le
« Cluny Hill », un hôtel spa
à l’architecture victorienne, situé à Forres, non loin
du célèbre Loch Ness. Tous trois sont déjà engagés
dans un cheminement spirituel. Durant ses méditations,
Eileen Caddy reçoit la guidance d’une sagesse
intérieure qu’elle appelle La petite voix, titre de son
best-seller éponyme, vendu à 600 000 exemplaires
rien que pour la version en langue française. Ses
intuitions accompagnent l’expansion de l’hôtel,
géré par son mari, Peter. Après quelques années,
la compagnie propriétaire de cet hôtel les licencie.
N’ayant nulle part où aller, sans argent, le couple
avec ses trois jeunes enfants et Dorothy emménage
non loin de là dans une simple caravane, toujours
visible sur place, au creux des dunes lunaires qui
jouxtent le village côtier de Findhorn. Nourrir six
personnes avec un maigre chômage relève du défi.
De ce fait, en dépit de cette terre aride et sablonneuse,
Peter décide de créer un potager. Le miracle
est au rendez-vous…
Le deva des petits pois
En méditant, Dorothy Maclean découvre qu’elle
est capable intuitivement de rentrer en contact avec
l’intelligence, la conscience des plantes – qu’elle
appelle des devas, êtres ou principes énergétiques
qui président à la croissance des végétaux. Son
premier contact sera avec le deva d’un petit pois,
légume que Dorothy affectionne, et qui lui révélera
que, contrairement aux humains qui vivent
« fragmentés
», courant dans tous les sens sans savoir ni
où ils vont ni ce qu’ils font, les devas vivent dans
la pleine conscience de leur unité et de leur interconnexion
avec l’énergie universelle, ne déviant
jamais de leur intention. Elle reçoit de cette forme d’intelligence des instructions pratiques. Dorothy
et Peter cocréent alors, en alliance avec ce monde
subtil, ce qui semblait impossible aux yeux de l’infertilité
du sol : des légumes énormes, des plantes et
fleurs en abondance défiant toutes les lois agronomiques,
dont les légendaires choux géants, pesant
près de 20 kilos ! Des experts horticoles et agricoles
convergent du monde entier et n’en croient pas
leurs yeux. Ce qui rend célèbres les jardins de Findhorn.
Peu à peu, d’autres personnes les rejoignent
dans leurs recherches et leur travail, et une communauté
voit le jour, en 1962. (...)