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Le
réveil
de
la
Déesse
serpent

Messages codés, ayahuasca, masculin et féminin sacrés, symboles oubliés… Découvrez le premier chapitre du nouveau roman d’Éric Giacometti, dans lequel les traditions immémoriales résonnent avec la science. Avec Les Éveillées, publié aux éditions JC Lattès, embarquez pour un voyage initiatique fascinant, de la chapelle Sixtine de Rome au Mexique. À retrouver en librairie !
Le réveil de la Déesse serpent
Savoirs ancestraux
Mexique
Site archéologique sacré de Teotihuacán
Temple du Soleil
De nos jours


Les tambours battaient une cadence lente, sourde et profonde. Comme si un cœur gigantesque grondait, tapi quelque part sous les ruines immémoriales. Les vingt musiciens étaient alignés devant la majestueuse pyramide du Soleil, leurs bras virevoltaient et martelaient les huehuetls, des tambours joufflus à la peau de jaguar tendue. Tous vêtus de tenues aztèques traditionnelles. Les femmes portaient le huipil, tunique de laine bariolée, les hommes la cape tilmatli en coton bruni.
Le soleil s’était invité au concert. Le disque étincelant comme un bouclier semblait flotter au‐dessus du sommet de la pyramide baptisée en son nom. Les organisateurs de la conférence internationale interreligions n’avaient pas choisi l’heure par hasard. L’heure magique, celle du zénith, gage de bonne fortune selon les anciennes traditions.
Le rythme des huehuetls augmenta crescendo, la cérémonie rituelle allait s’achever. Le front en sueur, les artistes redoublaient de vigueur. L’assistance assise en arc de cercle retenait son souffle, puis la dernière salve jaillit. Il y eut un court moment de silence, suivi d’un tonnerre d’applaudissements. La centaine d’invités triée sur le volet se leva au fur et à mesure pour acclamer les musiciens.
Une femme aux cheveux noirs, habillée d’une longue tunique orangée brodée de lisérés multicolores, monta la volée de marches qui menait à une plateforme de pierre surplombant l’assistance. Un micro sur trépied avait été posé entre deux immenses blocs de pierre sombre sculptés. Le dieu soleil illuminait la silhouette d’Estella Mendoza. Elle paraissait minuscule et fragile entre ces monolithes. Les invités remirent leur paire d’écouteurs dans les oreilles. La voix claire et chaleureuse de la directrice de l’ONG Hope, organisatrice du colloque, monta dans le ciel d’azur.
— Je remercie le groupe Sol y Sombra(1) pour ce sublime voyage sonore. Il est midi, notre colloque se termine. Dans ce site magnifique et symbolique. Teotihuacán signifie « le lieu où ont été créés les dieux ». Réunir les représentants d’une multitude de religions fut un chemin rude, mais nous y sommes arrivés. Bouddhistes, chrétiens, hindous, musulmans, juifs, taoïstes, shintoïstes ainsi que les courants spirituels du monde entier, dont ceux des peuples premiers et des religions tribales. Pardonnez‐moi de ne pas tous vous nommer. Peu importe notre couleur de peau, notre pays de naissance, notre statut social, notre tribu, nous partageons toutes et tous un point commun... le sacré.
Estella Mendoza laissa planer quelques secondes de silence, puis reprit d’une voix plus forte.
— Cette croyance fondamentale en un monde invisible et protecteur. En un esprit transcendant, ou une force, donnez‐lui le nom que vous voulez, qui imprègne chaque atome de l’univers. Un esprit supérieur et omniprésent. Pas de malentendu, je ne parle pas de l’IA.
Au fur et à mesure du temps de traduction dans la kyrielle de langues des participants, des rires fusèrent.
— Avant de clôturer nos travaux, je suis heureuse de vous annoncer la naissance du premier réseau social dédié à la spiritualité : Infinity. En ces temps de guerre, d’angoisse climatique et de peur de l’avenir, Infinity démontre qu’un dialogue peut exister entre les religions. Nous n’avons pas le choix. Songez au lieu sacré dans lequel je m’exprime. Ce temple témoigne d’une civilisation disparue, antérieure aux Aztèques, dont le nom s’est évaporé de notre mémoire. Puisse l’humanité ne pas connaître le même sort.

Assis à l’une des dizaines de tables dressées en retrait des pyramides, le cardinal Talastiera finissait ses délicieuses quesadillas aux poivrons, oignons et patates douces marinés dans un jus de citron vert, agrémentées de cumin et de paprika, une spécialité de la vallée de Mexico. Il écoutait la discussion entre ses deux voisins assis à sa droite. Un imam venu de l’université du Caire, la plus haute autorité en théologie musulmane, et un chercheur français, spécialiste de physique quantique, invité à présenter ses travaux.
— Si des mondes parallèles existent dans des dimensions différentes de celles de l’univers, argumentait le scientifique, alors l’entité que vous nommez Dieu se manifeste aussi sous des formes innombrables. Dans un autre univers, les conquistadors n’ont pas colonisé le Mexique. La religion des Aztèques domine le monde et vous officiez en tant que prêtre du dieu Soleil en Égypte.
— Quelle horreur, professeur. L’univers est un tout. Allah ne peut pas être multiple, sinon il n’est pas Allah.
Talastiera trouvait la conversation passionnante, mais la fatigue le terrassait. Quelle idée saugrenue d’Estella Mendoza d’organiser le déjeuner en plein soleil, sous une chaleur écrasante.
Une main se posa sur son épaule.
— Je voulais vous remercier de votre présence, cardinal.
La directrice de l’ONG Hope s’était penchée vers lui.
— Sa Sainteté a été seule décisionnaire, répondit‐il avec bienveillance, je lui transmettrai vos remerciements.
— Ne soyez pas modeste. Tout le monde connaît votre passion pour le dialogue entre les religions et les ponts à bâtir avec la science. Vous êtes un homme bon, cardinal Talastiera. Un ange gardien du Vatican.
Le cardinal secoua la tête vigoureusement.
— Laissez les anges au paradis et moi sur la terre.
Une serveuse brune, au visage enjoué, vint déposer devant les convives des petits gobelets en carton ornés du masque de Quetzalcóatl, le dieu serpent à plumes aztèque. La directrice de Hope prit le sien et s’adressa à la tablée.
— Je vous propose de boire à la santé d’Infinity. C’est une horchata, boisson mexicaine à base d’eau de riz aromatisée de cannelle et de vanille. À avaler d’un coup. Elle n’est pas alcoolisée.
Chacun s’exécuta. Le cardinal fit une grimace en reposant le gobelet, l’âpreté du breuvage lui racla le palais et la gorge, au point qu’il avala un verre d’eau en urgence.
— Vous n’aimez pas ? demanda un rabbin, assis à sa gauche, c’est pourtant délicieux.
— Je préfère le vin de messe, répondit Talastiera, l’air contrarié.
Il consulta sa montre, avec un peu de chance dans moins d’une demi‐heure il s’accorderait une sieste réparatrice. Il appréhendait le voyage de retour à Rome et les réunions qui devaient s’enchaîner. Ses voisins, eux, étaient repartis dans leur discussion scientifico‐théologique.
Une voix féminine résonna à son oreille et l’interrompit dans ses pensées.
— La déesse serpent te salue.
Talastiera tourna la tête. La serveuse se tenait debout derrière lui, le regardant fixement, les yeux rieurs, une expression ironique sur son visage enfantin.
— Pardon ?
— La déesse serpent, murmura‐t‐elle une deuxième fois tout en reculant.
Le cardinal avait pâli. Le sang refluait de son visage. La serveuse tourna les talons et s’éloigna d’un pas vif. Il reposa son verre, le regard figé.
— Tout va bien, cardinal ? On dirait que vous venez de rencontrer le diable, demanda l’imam.
L’envoyé du pape ne répondit pas et se leva d’un bond.


(1) Soleil et ombre.


Pour découvrir l'ouvrage, rendez-vous ici : Les Éveillées, Éric Giacometti, éd. JC Lattès, 2025, p. 9 à 13.
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