Est-il possible de se souvenir du futur grâce aux synchronicités ? Ethnobotaniste de formation, Romuald Leterrier fait de nombreux voyages en Amazonie afin d’étudier les plantes utilisées par les chamanes. Il est amené à prendre de l’ayahuasca, qui lui révélera qu’il doit établir des ponts entre les sciences occidentales et les savoirs chamaniques. Avec la « science des signes », il associe les théories complexes à des fins créatives sur la réalité.
Comment définiriez-vous la prise d’ayahuasca et les effets que ce breuvage de plantes a eus sur vos recherches ?
L’ayahuasca est mal comprise et mal considérée. Dans le contexte chamanique, on parle de « plantes de visions ». En Occident, en revanche, on pense trop souvent qu’elle provoque simplement des « effets psychotropes » qui déforment la perception et on ne retient que ces effets, ce qui est une erreur. Mais lorsque vous avez une vision collective, ce qui m’est arrivé plusieurs fois, cela pose question. Un jour, un Canadien, que je ne connaissais pas du tout, vient à une cérémonie organisée par Ernesto, le chamane auprès duquel j’étudiais. On prend chacun de notre côté l’ayahuasca, distants d’une dizaine de mètres. J’ai les yeux fermés... Je « descends » dans un vortex de lumière. Puis, je vois le Canadien qui passe également, me regardant avec l’air un peu hébété. Je continue alors à voyager dans mes visions... Le lendemain matin, je lui dis :
« Tiens, c’est marrant, hier j’ai eu une vision où je me suis vu plongé dans une espèce de vortex de lumière qui descendait. » Et lui me répond :
« Ah, oui ! Je t’ai doublé. » Pourtant nous étions chacun dans notre subjectivité, dans notre expérience. Comment expliquer cela ? C’est un état de « conscience collective ». À partir de là, j’ai décidé de faire des passerelles avec des sujets que je connaissais, comme les théories jungiennes, que j’avais lues depuis l’adolescence. J’ai aussi rencontré les travaux de Philippe Guillemant sur la double causalité, selon laquelle le futur peut influencer causalement le présent et donc le passé. Cela a éclairé complètement les enseignements d’Ernesto que je n’avais pas vraiment compris jusque-là. Cette conjonction entre le savoir des chamanes et la science occidentale prenait tout son sens et m’a permis d’enquêter sur la rétrocognition. Cette idée d’aller chercher de l’information dans le futur et de la faire bifurquer, c’est-à-dire de faire descendre dans la matière un futur qui n’est que potentiel.
Concrètement, quelles sont les convergences entre le chamanisme et cette nouvelle physique ?
Cette notion d’espace-temps flexible, qui vient d’être développée depuis peu par Philippe Guillemant et qui est à la pointe de la physique, on la retrouve chez les aborigènes, par exemple, dans leur mythologie de la « cosmologie molle ». Pour eux, l’espace-temps est mou. « Le temps du rêve » est une matière molle, modelée par la conscience et par les intentions des ancêtres. Il y a une sorte d’intuition, dans les peuples premiers, du fonctionnement de l’Univers, mais évoqué sous forme de mythes. L’apport du chamanisme, c’est de proposer une sorte de technologie de l’esprit afin d’en faire l’expérience.
Ce que le chamanisme vous a appris, c’est que des futurs potentiels existent, mais que le passé et le futur sont en mouvement ? Et que seul existe réellement l’instant présent ?
Oui... Très souvent, l’ayahuasca montre des réalités potentielles, donc virtuelles, c’est-à-dire un lot de futurs possibles ou probables, mais visibles par notre conscience. Pour les faire descendre dans la matière, il faut mener tout un travail d’intention par rapport à ce que l’on veut voir se réaliser. C’est le concept de rétrocognition. Ainsi, les synchronicités servent de balises permettant de créer des « aiguillages » de lignes temporelles pour rejoindre ce futur qui, pour l’instant, n’est qu’au niveau de la superposition des temps.
Il est possible de créer des événements à venir dans la réalité.
Alors, nous pratiquons déjà cette rétrocognition de façon inconsciente ? Ce qui serait intéressant, c’est de le faire consciemment...
Bien sûr. J’avais fait une expérience pour essayer de gagner au loto, en allant chercher les chiffres dans l’avenir, mais sans jamais vraiment y parvenir ! Puis j’ai compris que ce sont les gens qui perdent, extrêmement nombreux et réactifs, qui agissent sur le tirage. Quand on étend ce phénomène à l’inconscient général, on voit que cela fonctionne, notamment grâce à notre pouvoir de communication et de médiatisation qui est très puissant. Par exemple : la loi des séries. Il y a un crash d’avion puis à peine une semaine après, un deuxième et, parfois un troisième. Que se passe-t-il ? Ces histoires sont médiatisées. On en prend conscience et, quand on constate la réalité de cet événement, on contribue à le créer dans le passé en agissant sur de nombreuses données aléatoires, comme sur une panne mécanique ou autre. C’est assez effrayant. Bien souvent, notre rétrocognition inconsciente « sert » le négatif. Car qu’est-ce qui est relayé dans les médias ? Aujourd’hui, dans notre société, ce sont majoritairement des faits assez obscurs et sombres. Si à l’inverse, du jour au lendemain, on choisissait de médiatiser la guérison des gens, on aiderait peut-être, effectivement, les gens à guérir. Les enjeux sont quand même assez importants. Jung l’avait déjà prophétisé dans ses propres recherches : le but serait donc de devenir « conscient collectif ». D’ailleurs, cette conscience extratemporelle, qui est en dehors de l’espace-temps, c’est le Soi. Un Soi qui est à la fois individuel et collectif.
À l’heure où la planète est mise à mal, le fait d'agir collectivement pourrait aider…
Ce qui est intéressant, c’est que cette forme de conscience collective est en accord avec la Terre. Elle semble reliée à des collectifs de conscience interspécifiques, comprenant d’autres espèces. L’intelligence des plantes, à laquelle accèdent les chamanes, est une forme de pensée collective. C’est ce qu’on découvre aujourd’hui. Si l’humanité, dans son ensemble, utilise cette conscience, elle peut trouver des futurs optimistes et cesser les archétypes inconscients comme l’apocalypse de saint Jean, les guerres mondiales et toutes nos projections sombres. Se brancher sur d’autres fréquences peut nous laisser envisager un futur plus optimiste.
Mais alors, en quoi ce futur interagit-il avec le présent ? Comment avez-vous eu cette conviction ?
J’ai créé un protocole expérimental autour des synchronicités. L’idée est de sélectionner des éléments au hasard, de poser une intention et de mettre un timing pour les voir se réaliser dans la matière. Par exemple : j’ai choisi de faire un oracle avec des archétypes et des animaux. D’une part, Ernesto m’a appris, lors de nos balades en forêt que notre esprit, même d’homme moderne, est câblé pour détecter les animaux. Ainsi, il est plus facile, selon lui, de voir des synchronicités dont les médiateurs sont des animaux. D’autre part, dans la psychologie jungienne, les éléments constitutifs qui unifient psyché et matière sont de nature « archétypale », d’où les archétypes. J’ai donc créé une boîte avec cinquante symboles et cinquante animaux. Lors de la première expérience, je ne crois pas du tout à ce projet... Dans la boîte des animaux, mon doigt sélectionne deux images, un hérisson et un rat. Cela m’embête, car j’aurais préféré ne sélectionner qu’un seul élément. Je retiens le rat, qui est entré en premier dans ma conscience et, pour l’archétype, je tire le cristal. Je souhaite donc voir, sous quinze jours, apparaître une synchronicité autour du cristal et du rat. Je referme mon cahier et j’oublie tout cela. Trois heures après, j’allume la télévision. La télécommande me glisse des mains comme une savonnette, tombe par terre, change le programme télévisé et met une chaîne de jeux vidéo que je ne regarde jamais. À l’écran apparaît un énorme rat avec des cristaux sur le dos, évoquant les piquants d’un hérisson. Je suis sidéré. Voilà ma synchronicité avec les trois éléments qui sont entrés dans ma conscience au moment de l’expérience. Plus on pratique ce schéma de la mémoire – apprendre à se souvenir du futur grâce à des éléments aléatoires – plus l’exercice est simple et rapide. (...)