Le 10 août 1901 dans les jardins du château de Versailles,
deux Anglaises vivent une sorte de régression temporelle
et se retrouvent à l’époque de Marie-Antoinette.
Hallucination, fantasme ? Depuis plus d’un siècle, l’affaire n’a cessé de passionner
les chercheurs en parapsychologie.
Les deux protagonistes ont un profil singulier.
Charlotte Anne (Annie) Moberly a été vingt
ans la secrétaire de son père, ancien professeur
à Oxford puis évêque de Salisbury, avant de
devenir directrice du St Hugh’s Hall, troisième collège
féminin de l’université d’Oxford. Son amie est Eleanor
Frances Jourdain, elle-même diplômée d’un collège féminin
d’Oxford. À l’époque des faits, elle vit à Paris et
Annie Moberly vient lui rendre visite pour lui proposer
de devenir sa directrice adjointe au St Hugh. Rappelons
qu’un college est un établissement d’enseignement
supérieur et que ces deux femmes sont donc plutôt
des intellectuelles instruites et cultivées.
Innocente promenade à Versailles
Pour autant, Mlles Moberly et Jourdain ne sont pas
particulièrement familières de l’histoire de France.
Après une promenade dans Paris, elles décident
de se rendre à Versailles pour visiter le château et
ses jardins. Après avoir apprécié les charmes du
palais de Louis XVI, elles souhaitent voir le Petit
Trianon, une résidence annexe dans laquelle
la reine Marie-Antoinette aimait se retirer. Tout
en bavardant dans les allées du parc, elles parviennent
devant un bâtiment qui est le Grand
Trianon et réalisent qu’elles ont fait fausse route.
D’après leur plan, il leur faut emprunter une
autre allée et c’est à compter de ce moment que la promenade va prendre un tour plutôt étrange.
Elles raconteront ensuite qu’elles ont toutes deux
ressenti, sans l’avouer à l’autre, une impression bizarre
entre oppression et anxiété, tout au long de
cette visite. Elles longent un premier bâtiment et
Mlle Moberly aperçoit une femme à une fenêtre
en train de secouer un torchon. Elle se demande
alors pourquoi Mlle Jourdain, plus à l’aise en français,
ne lui demande pas de confirmer leur chemin.
Il s’avérera qu’Annie Moberly est la seule à
avoir vu cette femme. Parvenant à un carrefour,
elles croisent deux hommes vêtus de longs manteaux
et coiffés d’un tricorne, une bêche à la main.
Mlle Jourdain leur demande cette fois-ci de leur
indiquer le chemin qui mène au Petit Trianon
mais les deux hommes lui répondent de façon
étrangement mécanique et froide. Reformulant sa
question, elle finit par comprendre la direction à
suivre. Un peu plus loin, une femme et une jeune
fille sont assises sur le seuil d’une petite chaumière
et portent un costume qui semble à Melle Jourdain
plutôt suranné.
Une femme en train de dessiner
Alors que l’atmosphère leur semble de plus en
plus pesante, elles arrivent ensuite devant un pavillon
chinois qu’elles prennent pour le Temple de
l’Amour, une rotonde à l’antique située à l’est du
jardin anglais du Petit Trianon. Mais elles se sont
bel et bien égarées, et s’effraient davantage encore
en voyant un homme assis au pied de l’édifice, portant
un manteau, et qui tourne vers
elles un visage menaçant, basané et
vérolé. Mlle Moberly insistera plus
tard sur le caractère non naturel,
sinon surnaturel, de l’environnement
:
« Même les arbres, derrière
le bâtiment, semblaient être devenus
plats et inertes, comme en tapisserie.
Ni jeux d’ombre et de lumière, ni
brise dans les arbres : tout était d’une
intense immobilité. » Soudain, un
autre homme apparaît devant elles.
Plutôt beau, grand et vêtu d’une
cape noire, ses cheveux bouclés dépassent
d’un chapeau à large bord.
Il leur parle avant de s’éloigner
rapidement, mais elles ne comprennent qu’une
chose : il faut tourner à droite. Elles suivent donc
ce conseil et, après avoir traversé un bois sombre,
elles débouchent enfin face au Petit Trianon, côté
nord. Sur le côté ouest, Mlle Moberly aperçoit une
femme dans l’herbe en train de dessiner. Alors que
celle-ci lève la tête, Annie ressent de nouveau une
impression désagréable. Sa grande robe décolletée est d’un style vraiment particulier pour une
touriste ; elle porte également un fichu vert et un
grand chapeau blanc. Les deux Anglaises font ensuite
le tour du bâtiment et pénètrent dans la cour
côté sud. Un jeune homme à l’allure de serviteur
les invite alors à le suivre dans le petit palais où une
joyeuse troupe fait la noce. Les invités sont vêtus à
la mode de ce début de XXe siècle et tout redevient
ensuite normal, les sensations d’étrangeté et d’oppression
s’évanouissant.
La dessinatrice
du jardin pourrait
fort bien être
Marie-Antoinette
elle-même, en
référence à un
portrait de 1785.
Des personnages distants… de plus d’un siècle
Que s’est-il passé ? Les deux amies garderont pour
elles-mêmes leurs ressentis étranges, jusqu’à ce
qu’Annie Moberly décide de raconter l’épisode
dans une lettre à sa soeur.
À nouveau saisie par
cette sensation d’irréalité, elle s’en ouvrira de façon
frontale à Mlle Jourdain en lui demandant tout
de go :
« Pensez-vous que le Petit Trianon soit hanté
? » « Oui, je le pense », lui répondra celle-ci sans
hésitation.
Elles se confient alors l’une à l’autre et
partagent leurs impressions de cette étrange visite.
Pourquoi l’homme aux cheveux bouclés portait-il
une cape en plein été ? Pourquoi ces personnages
semblaient-ils si distants… ? En échangeant davantage,
elles constatent en outre qu’elles n’ont pas
toutes les deux vu la même chose. Par exemple,
la femme en train de dessiner n’a été vue que par
Mlle Moberly, mais son amie est la seule à avoir vu
la femme et la jeune fille sur le seuil de la chaumière.
En se plongeant dans les archives, Eleanor
Jourdain constate que le 10 août
est l’anniversaire de la chute de la
monarchie constitutionnelle, en
1792.
Se pourrait-il que le lieu ait
enregistré la mémoire de ce jour
qui marque également le début de
la première Terreur ? Elle retourne
seule à Versailles en janvier 1902
et les lieux lui semblent différents.
Elle a de nouveau des perceptions
étranges, dont une musique
qu’elle mémorise et dont on lui
assurera qu’il s’agit d’un style des
années 1780. En faisant des recherches,
Mlle Moberly pense que
la dessinatrice du jardin pourrait
fort bien être Marie-Antoinette elle-même, en référence
à un portrait de 1785 sur lequel elle reconnaît
ses traits et où elle porte la même tenue. Par
ailleurs, les deux jeunes femmes se souviennent de
détails qui ont disparu : une charrue, un pont…
Les
« jardiniers » portaient en fait un costume
semblable à celui des gardes suisses de la reine et
la porte d’où est sorti le serviteur est depuis longtemps condamnée. Enfin, l’homme au visage vérolé
ressemble beaucoup au comte de Vaudreuil, qui
fut un proche de la reine. (...)