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La chasse aux sorcières envoya au bûcher plus de 50 000 personnes en Europe. Comment comprendre ce qui s’est joué à cette période ? Décryptage avec Jacques Roehrig, auteur de « Procès en sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècles ».
Réhabilitons nos sorcières !
Savoirs ancestraux
Fin du Moyen-Âge, la France connaît ses premiers procès en sorcellerie. Quelques cas soulèvent l’opinion. Jeanne d’Arc, les Templiers… Mais c’est surtout au XVIe et au XVIIe siècles que le phénomène prend de l’ampleur, s’étendant comme traînée de poudre à travers toute l’Europe chrétienne.

« Un peu plus de cent mille individus ont été poursuivis au titre de la sorcellerie, et près de la moitié ont été brûlés », révèle Jacques Roehrig. En France, 9500 ont été assignés en justice, 5070 ont péri dans les flammes, notamment dans l’Est de la France.

Beaucoup étaient des gens de la terre ou des gardiens de troupeaux. « Parce qu’ils vivaient le plus souvent en dehors du village, on croyait que ces familiers de la nature en connaissaient les secrets, en particulier ceux des plantes sauvages, avec lesquelles ils étaient censés fabriquer des mixtures maléfiques et leurs antidotes », explique l’historien. On croyait également qu’ils dominaient les bêtes sauvages : certains des pâtres n’étaient-ils pas des meneurs de loups dressés à défendre leur troupeau ou à attaquer celui du voisin ? « D’autres, crevant la faim, se seraient transformés en loups garous à la recherche d’enfants à croquer », souligne Jacques Roehrig.


Un prétexte divertissant


La plupart des victimes de cette incroyable traque n’avaient pourtant rien à voir avec les forces occultes. « Ce fut un prétexte pour régler des problèmes bien éloignés de la sorcellerie », estime l’historien. A Saint-Dié, par exemple, un riche paysan nommé Bastien-Jean Viney fut victime de son aisance financière : des 17 témoins qui déposèrent contre lui, 12 étaient ses débiteurs. « Ceux-ci ne manquèrent pas de rapporter que leur créancier se vantait de bénéficier de la largesse du Diable, rapporte Jacques Roehrig. Jugé en 1611, il fut brûlé le dernier jour de décembre. »

Selon le spécialiste, cette chasse aux sorcières fut également pour le pouvoir un moyen bien commode de se débarrasser en toute légalité des individus gênants, et de divertir la population des véritables soucis du Royaume. « Les dignitaires ecclésiastiques et les gouvernants laïcs n’eurent de cesse de clamer au petit peuple que le responsable de ses malheurs était le Diable, confirme-t-il. Mais ne pouvant atteindre ce dernier, on traqua ses suppôts, les sorciers et les sorcières. » Parfaits boucs-émissaires…

Beaucoup étaient des gens de la terre ou des gardiens de troupeaux.


La plupart étaient donc arrêtés sur simple dénonciation ou rumeur. Le procédé était simple : on accusait quelqu’un d’actes plus ou moins maléfiques, puis les juges s’ingéniaient à le diaboliser, « quitte à obtenir des aveux par tous les moyens ! »

Pour cela, la torture n’était pas rare. « Elle demandait une préparation », précise Jacques Roehrig, allant d’un jeûne préalable pour prévenir les vomissements lors du supplice, à la mise à nu de l’accusée et à son rasage complet, « y compris les “parties honteuses” pour empêcher le Diable de s’y cacher », en passant par la recherche de la marque diabolique et la mise en condition psychologique de la malheureuse, en lui montrant les différents instruments qui allait être utilisés…

« Chaque province avait ses tortures préférées », souligne l’historien. En principe, au-delà de trois séances sans aveux, la suppliciée n’était pas condamnée à mort, mais libérée sous condition. Celle qui avait avoué devait confirmer ses aveux hors de la salle de torture. Si elle se rétractait, elle était bonne pour une nouvelle séance !

« Afin d’attirer le plus grand monde et de servir d’exemple, l’exécution était fixée les jours de marché », poursuit Jacques Roehrig. Pour impressionner au maximum les spectateurs, un cérémonial parfaitement orchestré était ordonné, « où se mêlaient la sinistre gravité des autorités et l’irrespect gouailleur des villageois, ravis d’assister à un spectacle de rue se terminant sur un tertre par un flamboyant et terrifiant final ».


Le musellement du féminin


A bien y réfléchir, on peut toutefois se demander si cette chasse n’était pas aussi, en filigrane, un moyen de stigmatiser et d’anéantir une forme de puissance féminine, proche de la nature, qui se passait de l’intermédiaire de l’Eglise et des cadres (masculins) du pouvoir, pour tisser un rapport direct à l’intuitif, au subtil et au divin. En Alsace, Lorraine et Franche-Comté, les trois quarts des victimes furent des femmes. « 5% des accusés étaient des sages-femmes, 4% des guérisseurs ou guérisseuses, complète Jacques Roehrig. La sage-femme mérite une attention particulière au regard de l’acharnement féroce que bourreaux et juges ont constamment manifesté à son endroit, ainsi que du courroux des mâles ne supportant plus le rôle prépondérant de cette matrone au niveau de la communauté villageoise. » Car loin de se contenter de s’occuper des nouveau-nés, elle intervenait aussi dans la préparation des défunts, « ce qui déplaisait fort au prêtre, chargé solennellement d’accompagner chacune de ses ouailles du baptême à l’extrême-onction ».

Nombre de guérisseuses n’osaient plus répondre aux sollicitations de leurs patients.


D’insidieuses rumeurs, alors, se propageaient : telle ou telle sage-femme n’aurait-elle pas invoqué le Diable pour tuer un nouveau-né, afin de déterrer son cadavre avec ses compagnes de sabbat, le faire bouillir dans le chaudron et en filtrer le substantifique jus à partir duquel serait fabriqué l’onguent mortifère ou la graisse dont les amazones de Satan s’enduisaient le corps pour voler dans les airs ? « Ce fut le cas de Tecla Elsserin, sage-femme de Ruelisheim, brûlée vive en 1606, la poitrine auparavant tenaillée au fer rouge », rapporte Jacques Roehrig.

Quant aux guérisseurs et guérisseuses, relativement épargnés au début de la chasse aux sorcières du fait de « la magie blanche et pratiquée au nom de Dieu » qu’on leur attribuait parfois, par exemple lorsqu’ils guérissaient par des prières et en faisant boire à leurs patients de l’eau bénite, il durent ensuite se méfier, car toute guérison jugée miraculeuse aurait pu être interprétée comme d’origine démoniaque. « Au plus fort de la grande chasse, nombre de guérisseuses n’osaient plus répondre aux sollicitations de leurs patients de crainte d’être traitées de sorcières », confirme l’historien.

Pour lui, aujourd’hui, l’enjeu est de réhabiliter ces victimes innocentes du dogmatisme et du pouvoir. « Certains pays, comme la Suisse ou la Norvège, ont osé solennellement se souvenir d’elles en érigeant des stèles gravées à leur nom » rappelle-t-il. Un moyen de se réconcilier avec notre passé et d’arrêter de chasser en nous cette part de féminin, de mystère et de magie.

À
propos

auteur

  • Réjane d' Espirac

    Autrice et réalisatrice
    Réjane d'Espirac collabore à Inexploré par la rédaction de reportages, de récits, d'entretiens, et la réalisation de documentaires. ...
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    par Jacques Rœhrig

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