En quelques décennies, le mouvement des « entendeurs de voix » a transformé la vision de la psychologie et de la médecine sur un phénomène autrefois systématiquement associé à la schizophrénie. Un certain chemin reste à faire pour lui reconnaître aussi une dimension spirituelle. Quelques pionniers s’y emploient.
Perceptions
GETTY IMAGES/SANFORD/AGLIOLO
On pense immédiatement à Jeanne d’Arc, mais 4 à 10 % des personnes dans le monde entendraient régulièrement des voix, et des personnalités comme Zinedine Zidane ou Amélie Nothomb ont confié avoir déjà vécu le phénomène, tout comme par le passé, Andy Warhol ou Virginia Woolf. Autrefois, ce symptôme engendrait un diagnostic de schizophrénie quasi automatiquement. Puis les choses ont changé à la fin des années 1980 avec un mouvement, celui des « entendeurs de voix », qui a permis de transformer le regard de la société sur le phénomène, sans pour autant lui enlever sa part de mystère.
« Tu n’es pas schizophrène »
Vincent Demassiet a entendu sa première voix alors qu’il était adolescent, dans une situation de stress qui a ravivé les souvenirs d’abus qu’il avait subis dans l’enfance. Il entend le garçon avec qui il espère vivre sa première expérience sexuelle l’insulter violemment, alors que celui-ci n’a pas bougé les lèvres. « La relation sexuelle n’a pas eu lieu, la voix a continué le soir, poursuit-il. Puis d’autres voix sont venues ; je ne voulais en parler à personne. Pour moi, c’était comme dans les séries télévisées, avec des tueurs fous, des schizophrènes... Alors j’ai fait une première tentative de suicide. »
Traité pour dépression, les voix disparaissent, puis elles reviennent lors d’une nouvelle histoire d’amour, accompagnées d’émotions fortes. Diagnostiqué schizophrène, Vincent est mis sous neuroleptiques puissants et ne sort plus de chez lui, jusqu’à peser 204 kilos, « la tête de travers, le filet de bave au coin de la bouche ». Plusieurs tentatives de suicide plus tard, il rencontre enfin celui qui va le sauver, lors d’une réunion. Ron Coleman, un Écossais, lui dit : « Tu n’es pas schizophrène, tu es Vincent et tu es entendeur de voix. » Il représente le mouvement Hearing Voices (entendre des voix), né aux Pays-Bas sous l’impulsion du psychiatre Marius Romme et qui a pris de l’ampleur dans les pays du nord de l’Europe. L’une des patientes de Romme, Patsy Hage, était victime d’« hallucinations acoustico-verbales » qui lui ordonnaient de se tuer, un tableau classique de psychose. Mais les médicaments furent sans effet et Patsy était au bord du gouffre, jusqu’à ce qu’elle trouve du réconfort dans la lecture du livre du psychologue américain Julian Jaynes, La naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit (éd. PUF, 1994). Il y présente une théorie, controversée, de l’esprit « bicaméral » dont Patsy retient que l’esprit humain se diviserait en une partie qui parle et une qui entend.
L’esprit humain se diviserait en une partie qui parle et une qui entend.
« Dieu, des elfes... ou des extraterrestres »
C’est le début d’une révolution, à laquelle Vincent Demassiet participe, étant devenu le président du Réseau français sur l’entente de voix (REV France) suite à sa rencontre avec le psychologue Yann Derobert. Cette révolution a consisté à ne plus vouloir faire taire les voix à tout prix, mais à les accepter et à « travailler » avec. « Dans ces groupes, on m’a expliqué qu’on pouvait parler de tout, de ses voix, de ses croyances, de dire que c’était Dieu, des elfes, des morts ou des extraterrestres », explique-t-il. Absence de jugement et de stigmatisation, bienveillance et « écoute » permettent aux entendeurs d’aller mieux, avant tout, à partir du changement de regard de la part du monde « psy ». Selon le psychiatre Patrick Le Cardinal, il s’agit d’un « retour aux fondamentaux de la psychiatrie », qui privilégie « la méthodologie expérimentale dite empiriste ». « Quand ce que vit la personne est remis dans son contexte social, culturel ou familial, cela prend beaucoup plus facilement du sens. [...] Moins on comprend les choses selon une grille de lecture préétablie, plus les gens amènent des éléments qui permettent de comprendre une expérience qui peut être, au départ, extrêmement effrayante et incompréhensible. »
Doit-on continuer à parler d’hallucinations alors que l’imagerie cérébrale a montré que les zones de l’audition sont bel et bien activées lors de l’entente de voix ? Un autre risque – qui est aussi un reproche qu’on a fait au mouvement des entendeurs de voix – est de nier la réalité de la maladie mentale. Comme un retour de balancier trop prononcé, ce mouvement prend aussi ses racines dans ce que l’on a appelé « l’antipsychiatrie ». Pour le psychologue Renaud Évrard, un juste milieu doit être (re)trouvé : « Mon approche, d’un point de vue scientifique, est d’essayer de trouver un point d’équilibre entre un discours qui était surpathologisant avant, et un discours qui se veut le négatif de cela, antipathologisant, et dont les travaux n’associent pratiquement plus psychose et voix, alors que cette association perdure. »
Entente de voix, santé mentale
10 % des individus ont déjà fait l’expérience d’entendre des voix « dans leur tête ».
424 000 personnes ont été hospitalisées en psychiatrie en 2018.
98 000 patients schizophrènes sont pris en charge
à temps complet ou partiel.
5 des 10 premières causes d’incapacité au monde relèvent de troubles mentaux.
1 personne sur 5 a souffert ou souffrira d’un épisode dépressif au cours de sa vie.
La dépression est la première cause d’incapacité dans le monde et touche plus de 264 millions de personnes de tous âges.
Jocelin Morisson est journaliste scientifique, auteur et traducteur, passionné par les liens entre science et spiritualité. Il collabore à l’Inrees et au magazine Inexploré, et a signé plusieurs ouvrages dont trois dans la collection Enquêtes Extraordinaires dirigée par Stéphane Allix aux éditions de La Martinière : Intuition et 6e sens ; La Voyance ; L’expérience de mort imminente.
Il est également l’auteur d’un essai, L’Ultime Convergence, co-auteur avec Philippe Guillemant de La Physique de ...
À
retrouver
dans
Inexploré n°48
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Pour cette rentrée particulière, Inexploré mag. vous propose de mettre en lumière la roue des émotions, étape indispensable pour mieux vivre le vortex de changements individuels et sociétaux que nous traversons…
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