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Parlons-nous tous de la même chose lorsque nous parlons de « conscience » ? Cette notion semble, à elle seule, regrouper différents niveaux d’expérience. Décryptage.
Vous avez dit « conscience » ?
Sciences
« Les mots n’ont pas tous la même destinée. Dieu, Vie, Amour se sont vu confier la mission de désigner des concepts grandioses. Ces derniers siècles, la Conscience a rejoint le rand de ces notions considérables », indique le philosophe Frédéric Lenoir. Au fil des trois derniers siècles, la conscience est en effet devenue une notion centrale – particulièrement pour toute personne s’intéressant aux neurosciences, à la psychologie, aux sciences sociales, à la philosophie ou à la spiritualité. Alors, « boum » de la conscience peut-être, mais de quoi parlons-nous ? Car si, pour certains, la conscience est produite par le cerveau, elle est, pour d’autres, un supplément d’âme, ou encore, un principe fondamental qui sous-tend notre réalité. Ce seul mot se retrouve à chapeauter un tas de concepts qui mériteraient différentes appellations, si bien qu’on se demande s’il n’est pas galvaudé et utilisé à toutes les sauces. Le fait reste toutefois que la conscience s’impose dans nos vies et qu’elle demande à être pensée.


La petite dernière


Contre toute attente, la définition de la conscience telle qu’elle est généralement entendue n’arrive que tardivement sur le plan historique. Elle émerge au XVIIe siècle et les historiens considèrent que c’est René Descartes qui ouvre ce champ d’investigation avec son fameux cogito : « Je pense donc je suis ». Après lui, d’autres philosophes tels que John Locke, Baruch Spinoza ou Gottfried Leibniz viennent éclairer le sujet depuis des angles différernts. Toujours est-il que, de par son histoire et son étymologie, la « con-science » - le fait d’être « avec une connaissance » -, est majoritairement pensée comme une capacité réflexive. Elle est, pour beaucoup, la capacité à savoir que l’on sait ou que l’on sent, à produire une forme de réflexion sur son expérience. La conscience, c’est ce que « chacun de nous ressent immédiatement par soi-même quand il s’aperçoit de ce qu’il fait ou de ce qui se passe en lui », écrit Louis de La Forge en 1666. « La conscience est la perception de ce qui se passe dans le propre esprit de l’homme », indique John Locke en 1694.


Une définition bien commode


Cette définition réflexive de la conscience sera notamment reprise par les tenants de la théorie de l’évolution au XIXe siècle. En effet, si la conscience est une aptitude à faire un retour réflexif sur soi-même, il devient possible d’imaginer que cette boucle rétroactive n’apparaît que quand un système neuronal devient suffisamment complexe pour la produire. Dans ce cas, la conscience n’émergerait qu’avec les premiers hommes tandis que les animaux, les plantes, etc., seraient non conscients. C’est également cette définition réflexive qui sera relayée par les neurosciences. Surtout que, comme l’activité réflexive laisse des traces dans le cerveau, il est possible de l’étudier, là où l’expérience intime, ce sol primordial de tout vécu, se donne à nous d’une manière mystérieuse. Ainsi, la science décrit la conscience comme un processus de métacognition, une fonction unifiée d’accès aux informations et de synthèse, un centre de contrôle des comportements et des paroles, etc. La conscience est-elle seulement cela ?


Une scission intenable


Le problème, avec la vision réflexive de la conscience, est de savoir quoi faire des matériaux psychiques qui sont justement non réflexifs et donc « non conscients ». Peut-on exclure le terreau sensible et primitif dans lequel toute expérience se donne à nous de manière intime, afin de privilégier la capacité de réflexion du sujet conscient ? Et d’ailleurs, le sujet conscient doit-il être restreint seulement à l’être humain ? Si le concept d’inconscient, qui émerge à la fin du XIXe siècle avec l’avènement des sciences psychiques, permet d’accorder un statut aux processus sensibles non conscients... il ne résout pas le problème. Appelez-le comme vous le voulez – le non-conscient, le subconscient, l’inconscient, etc. –, la question reste de savoir s’il fait partie de la conscience ou pas. Et au final, forcément, oui. D’une part, les processus sensibles et non conscients semblent être des processus intelligents – et non juste des automatismes biologiques. D’autre part, il est impossible de placer une frontière précise entre les processus non conscients d’un côté et la conscience réflexive de l’autre. Résultat ? Nous nous trouvons dans une situation paradoxale : les processus non conscients sont des processus conscients. La conscience est bien plus vaste que les processus réflexifs. De plus, si nous incluons l’inconscient, que faire de l’inconscient collectif ? Quelles sont les frontières de la conscience et du sujet conscient ?

Depuis quel état de conscience pouvons-nous définir la conscience ?


Différents points de vue


Que ce serait bien de trouver « la » vérité ! Le fait est que la notion de conscience peut être envisagée différemment selon le paradigme – ou cadre de pensée – depuis lequel on l’aborde. En effet, quelqu’un qui estime qu’il n’y a que de la matière physique dans ce monde (monisme physicaliste) n’abordera pas le sujet de la même manière que quelqu’un qui pense qu’il y a de la matière et de l’esprit (dualisme), ou encore que tout est esprit (monisme idéaliste). D’autres pensent encore qu’il n’y a qu’une seule substance, qui n’est ni matière ni esprit (monisme neutre). « Je pense que, pour la science du futur, la réalité ne sera ni “psychique” ni “physique”, mais d’une certaine manière les deux et aucune des deux », informe Wolfgang Pauli, physicien et prix Nobel. Ainsi, dans les grandes lignes, pour le matérialisme ou le physicalisme, la conscience et l’inconscient sont produits par l’activité cérébrale. Seuls sont conscients les êtres qui ont un système neuronal suffisamment développé. Pour le dualisme, la conscience est une propriété de l’âme ou de l’esprit, là où le non conscient est un automatisme du corps. Souvent, seul l’homme, et parfois les animaux, est considéré comme étant conscient. Pour l’idéalisme et le monisme neutre, tout est conscience dans le sens où, soit tout prend sa source dans l’acte de conscience d’un Esprit ultime, soit tout émane d’un principe qui n’est ni physique ni psychique mais qui produit une expérience consciente. Ici, chaque élément du monde – animal, végétal, minéral – est, à sa mesure, doté d’un vécu intime (nous connaissons actuellement un regain d’intérêt pour l’idéalisme et le monisme neutre).


Une vue intime


C’est ici que survient le problème le plus vertigineux de tous. Bien sûr, nous aimons philosopher et élaborer des théories métaphysiques sur ce que serait la conscience. Cependant, nous ne pouvons en réalité pas parler de la conscience comme d’une « chose » ou d’un « phénomène » extérieur et objectif. La conscience est avant tout un vécu intime. Nous ne pouvons pas faire de la conscience un objet d’étude à mettre sous un microscope ou à décortiquer de manière rationnelle. Elle est avant tout une expérience « à la première personne ». La conscience, c’est la continuité sensible que nous vivons à chaque instant de manière subjective. Ainsi, la conscience est ce par quoi nous pouvons faire de la conscience un objet d’étude. Comme l’indique le philosophe Michel Bitbol, la conscience n’est pas seulement quelque chose vers laquelle nous tournons notre attention, c’est l’attention en elle-même. « L’expérience consciente n’est pas un objet. L’expérience n’est pas davantage une propriété. L’expérience n’est pas un phénomène. Et pourtant, elle n’est pas rien ! L’expérience pourrait même être tout. Elle est le fait intégral de l’apparaître », détaille-t-il.


Quelle définition ?


Tout chercheur qui s’intéresse à la conscience est ainsi pris dans une circularité qui n’est pas sans conséquence. D’une part, il devient difficile de concevoir comment une approche purement objective arrivera un jour à expliquer la conscience. D’autre part, nous devons admettre que les théories que nous élaborons dépendent directement... de l’état de conscience dans lequel nous sommes. Un exemple frappant nous est offert par les témoignages de mystiques qui, lorsqu’ils sont dans un état élargi de conscience, semblent accéder à de profondes compréhensions sur la nature de la réalité. Depuis quel état de conscience pouvons-nous définir la conscience ? L’exploration de ce sujet nous ramène décidément vers l’examen des fluctuations de notre expérience intime. Ainsi, tel un retour de bâton, la notion de conscience rappelle à la science combien son acte fondateur – privilégier la raison et l’objectivation – doit être rééquilibré par la prise en compte du sensible et du subjectif. La conscience est ainsi, inévitablement, le ferment d’un nouveau paradigme.

Le « problème difficile » de la conscience
De fait, toutes les tentatives neuroscientifiques de rendre compte de l’expérience consciente se heurtent à une incapacité d’expliquer comment une activité neuronale ou physique produit un vécu intime. L’expression « problème difficile de la conscience », inventée par le philosophe David Chalmers en 1995, fait référence à cette difficulté. Le philosophe a remis au goût du jour la figure du « zombie » afin de montrer combien les neurosciences pourraient être en train de décrire des mécanismes physiologiques, mais pas le vécu de l’expérience. Elles décrivent une sorte de machine neuronale qui ne sent rien : un zombie. Comment les processus neuronaux donnent-ils lieu à une vie intérieure qualitative ? Mystère.


À
propos

auteur

  • Miriam Gablier

    Auteure et journaliste
    Titulaire d'un Master de philosophie, de diplômes de thérapie psycho-corporelle et d'homéopathie (Grande-Bretagne), Miriam Gablier s'intéresse particulièrement au potentiel humain et à l'intelligence du vivant. Ses enquêtes sur les thérapies, la psychologie, la philosophie, la spiritualité et les sciences du vivant, lui permettent notamment de traquer les données se rapportant à la notion de conscience et à la relation corps-esprit. Miriam Gablier est auteure de Les mystères de la conscience ...
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Rémissions impossibles ou guérisons spectaculaires. Nous en avons tous entendu parler, certains d’entre nous ont pu en être témoins, quelques autres, plus rares, en ont vécu. Les miracles mettent à rude épreuve les pronostics médicaux, et notre rapport à l’invisible. Quels peuvent être les mécanismes de telles manifestations ? Peut-on trouver des similitudes avec la transe chamanique, dont on commence à reconnaître scientifiquement les effets bénéfiques sur notre santé ?
Car au-delà de la croyance, au-delà de la connaissance, il s’agit peut-être d’avoir à nouveau confiance dans une dimension spirituelle à la fois intime, et plus grande que nous. La Rédaction explore ces questions dans le nouvel Inexploré n°44, avec en tête l’idée que l’inexplicable bouleverse bel et bien notre vision du monde…

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