Corps
accord
perdu

Notre société occidentale contemporaine a tendance à privilégier le mental au détriment du corps, souvent relégué au second plan. Parfois tabou et réprimé, le corps est également menacé par la sédentarité de la vie moderne. Il y a aujourd’hui une urgence vitale de reconnexion… corps et âme.
Corps accord perdu
Santé corps-esprit
« Mens sana in corpore sano. » Un esprit sain dans un corps sain, clamait Juvénal, à l’orée de notre ère. Pour Spinoza, ce qui est action dans le corps est action dans l’âme, et vice versa. Il voyait dans cet accord majeur, pour peu qu’il soit harmonieux, une source de joie et d’élan vital. Une vision qui entre en résonance avec les récentes recherches en psychologie positive. Pour le mythologue Joseph Campbell, c’est clair : « La majorité des gens croit que nous recherchons un sens à notre vie... Je crois que ce que nous cherchons vraiment est l’expérience d’être vivant, de manière à ce que nos expériences de vie sur le plan purement physique soient en résonance avec notre réalité la plus profonde et intime, pour que nous puissions vraiment ressentir l’extase d’être vivant. »


Un divorce consommé


Descartes signe, en 1637, le divorce du corps et de l’esprit, inaugurant le règne du matérialisme scientifique. « Nous avons pris l’habitude de considérer le corps comme un support de l’esprit. L’esprit serait le cavalier, le corps le cheval. Mais c’est bien plus complexe que cela, nous sommes biologie, chimie et électricité... Il faut se rendre compte qu’à l’époque de Descartes régnait la scolastique, c’est‐à‐dire la recherche de toute réponse au sein des écritures religieuses. Cette séparation du corps et de l’esprit a donc laissé l’âme aux religieux et a permis aux scientifiques de mieux comprendre l’anatomie et le fonctionnement de notre organisme », tempère la psychothérapeute Isabelle Filliozat, à qui l’on doit notamment Les chemins de la joie et Le corps messager – ce best-seller coécrit avec Hélène Roubeix, paru en 1988 et réédité en 2018, qui a ouvert la voie à l’approche psychosomatique.

« Nous sommes aussi notre corps. Ce dernier transmet notre mal-être intérieur, tout autant que notre bien-être. En prendre soin, l’écouter, lui prêter attention, c’est se mettre à l’écoute de la vie en soi », poursuit-elle. Le neuropsychologue Antonio Damasio, dans L’erreur de Descartes, a réintégré les émotions dans le cerveau qui pense. Nous pouvons ainsi de nouveau percevoir le corps et l’esprit dans une continuité ; réaliser que notre cerveau, machine fantastique au service du mouvement, permet la prise de conscience de soi et même les expériences mystiques. Et qu’en retour, nos pensées et nos émotions l’informent. « Le cerveau nous sert à penser, mais à la base, il permet surtout notre mobilité. Sa fabuleuse complexité nous permet de marcher, de courir, de nous diriger. La pensée est du mouvement intériorisé. Et le mouvement est utile aux capacités intellectuelles. Grimper à un arbre augmente de 50 % les capacités mémorielles », relève Isabelle Filliozat.


Esprit de corps


En Occident, nous avons conservé des séquelles de ce divorce et surdéveloppé l’importance de l’intellect. Au cœur des voies traditionnelles, cette séparation corps/esprit n’a pas cours. Dans le taoïsme, le corps est au même niveau que l’esprit, mais aussi que la vitalité, l’énergie ou encore le souffle. « Si nous ne laissons pas la place nécessaire au corps, cela empêche la clarté des émotions, ce qui joue sur la vitalité. On se retrouve stressé, tendu. Le travail corporel est donc aussi important que le travail émotionnel et spirituel », témoigne Serge Augier, l’unique héritier d’une école taoïste née en 510 dans le nord de la Chine, dont il a ouvert la tradition au monde occidental. Il souligne le danger de la seule élévation de l’esprit : « Les gens qui ont trop développé le spirituel se sentent comme des géants dans leur corps. C’est source d’incohérence et de frustration. Travailler le corps en même temps que l’esprit permet d’être plus stable. »

Embrasser une vie spirituelle, ce n’est donc assurément pas fuir le corps, mais au contraire « tenter d’incarner, d’enraciner une sagesse au quotidien », dixit le philosophe Alexandre Jollien, pour qui le corps, en raison de son handicap, a souvent été perçu comme un « boulet » (sic). En voyant travailler l’un de ses amis croque-mort, il dit avoir compris que le corps tenait du miracle. « Je suis ressorti de la morgue avec dans le cœur un espoir inattendu. Je reconnaissais enfin que le corps n’était pas un boulet, qu’il était l’instrument de l’Éveil et que désormais, la tâche serait d’y célébrer la vie », confie-t-il. Corps/esprit, tout est donc une question d’équilibre. La fameuse voie du milieu...


Danger sédentarité


Le constat est édifiant : aujourd’hui, plus de la moitié des hommes et 60 % des femmes ne pratiquent jamais d’activité physique de plus de dix minutes. Pourtant... « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche », ironisait le dialoguiste Michel Audiard. « Nous sommes programmés pour bouger, marcher, courir, nager, pas pour rester assis », partage le Professeur Carré, cardiologue et cofondateur en France de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps), auteur de Danger sédentarité. Un grand nombre d’études alarmantes pointent le lien avéré entre sédentarité et diminution de l’espérance de vie. La sédentarité tend aujourd’hui à tuer davantage que le tabac ; elle est la quatrième cause de mortalité dans le monde (près de 10 % des décès, selon l’OMS). « Plus le temps journalier passé en position assise est élevé et plus courte est l’espérance de vie », alerte François Carré.

Anthropologiquement, (bio)mécaniquement et physiologiquement, notre corps est conçu pour se mouvoir. Ainsi, ce ligament fort qui soutient et stabilise notre tête, le squelette solide, le rouage de nos articulations et le dessin de nos muscles, associés à une excellente capacité à éliminer la chaleur, font que nous pouvons marcher et même courir sur de longues distances, beaucoup plus longues que la plupart des animaux. « Le problème est que nous avons oublié que nous étions faits pour ne pas rester en place. Différents facteurs sont en cause, mais en premier lieu la modernisation de notre monde et l’emploi que nous en faisons », ajoute François Carré.

Nos ancêtres étaient chasseurs-cueilleurs, ils parcouraient 10 à 16 kilomètres à pied par jour contre seulement 2,4 en moyenne pour nous. Nous n’avons presque plus besoin de bouger pour vivre normalement (achats sur Internet, relationnel via les écrans, télétravail...). Or, sans entretien, notre corps se dégrade, s’encrasse, au prix de risques accrus de cancers (colon, sein), d’obésité, d’hypertension et de diabète, pour l’aspect physique.


Talon d’Achille


Il est donc urgent de prendre ce fléau de la sédentarité... à bras le corps ! Mais pas n’importe comment. « On assiste à une prise de conscience du besoin d’avoir un corps plus fort, mais comme ce dernier est souvent trop faible, cela se fait dans la révolte », observe Serge Augier. Des personnes parfaitement sédentaires vont ainsi, pendant quelques heures, grimper, courir intensivement. Serge Augier pointe également le péril du CrossFit, où l’on passe directement de son bureau... à soulever des charges, avec de nombreuses blessures à la clé. Dans son enseignement du tao, il voit débarquer chez lui des personnes imprégnées des injonctions de notre société d’immédiateté, qui lui demandent : « En combien de temps, j’irai bien ? » « Ils se moquent de la méthode, ils veulent tout, tout de suite ! Or, la transformation demande du temps, il faut que ça infuse. Le principe clé du travail du corps, c’est de pratiquer tous les jours, entre vingt minutes et une heure. On vieillit alors beaucoup plus lentement. L’idéal est d’avoir une pratique physique quotidienne ; un échauffement provoquant une légère sudation, plutôt que de transpirer à grosses gouttes. Cela stimule l’ensemble des mécanismes (lymphatique, articulaire, circulatoire...). C’est mieux que de courir une fois par semaine », analyse Serge Augier, tout en soulignant qu’il est pertinent de pousser un peu son corps une fois de temps en temps, avec du cardio. Le Professeur François Carré pointe, lui, un raccourci qui porte à confusion : penser que parce que l’on est sportif, on n’est pas sédentaire. « Le commercial qui pratique hebdomadairement deux footings d’une heure ainsi que quelques compétitions à l’année, mais qui, par nécessité professionnelle, est assis dans sa voiture de trois à cinq heures par jour et passe trois heures devant les écrans, a un comportement sédentaire. »

Pour se reconnecter à un corps accord, l’une des solutions est à portée de main... Joan Vernikos, médecin à la Nasa, a étudié le rapport du corps avec la gravité – qui joue un rôle fondamental pour nos fonctions physiologiques et dans le processus de vieillissement. Ce qu’elle a découvert est révolutionnaire : rester simplement debout se montre plus efficace que marcher pour contrebalancer les effets délétères de l’assise, mais c’est le changement de posture qui a le plus grand impact sur la santé. La meilleure activité étant donc de se lever depuis la position assise ! Se lever une fois par heure s’avère plus efficace, pour le système cardiovasculaire comme pour le métabolisme général, que de marcher pendant quinze minutes. Pour elle, l’idéal est de s’accroupir, puis de sauter en l’air en levant les bras.
« Être assis sur une chaise en permanence fait perdre de la connexion avec le corps. Ce faisant, on perd de la concentration et des facultés. Notre souplesse corporelle va de pair avec notre souplesse cognitive, comportementale », complète Isabelle Filliozat. Alors, vibrons de toutes nos cellules au diapason du conseil de saint François de Sales : « Prends soin de ton corps pour que l’âme s’y plaise. »

La peur au ventre
Notre société est gangrénée, tétanisée par la peur. Si celle-ci nous pollue l’esprit, elle nous prend aussi aux tripes et nous coupe de notre connexion avec le subtil et notre intuition. Elle nous pousse aux excès et au chaos. Cela se vit dedans, cela se voit dehors... « La peur vient de l’ignorance. C’est l’inconnu qui amène tous les problèmes. Si nous comprenons comment nous fonctionnons – corps, esprit, énergie, émotions, mais aussi environnement, relations – on est beaucoup plus serein », décrypte Serge Augier, héritier de la tradition taoïste Ba Men Da Xuan.


À
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auteur

  • Carine Anselme

    Journaliste
    Après avoir aiguisé son art journalistique en qualité de rédactrice en chef de divers magazines belges, Carine Anselme décide un jour de ne plus tremper sa plume que dans ce qui la touche au plus profond de son être et qu’elle rassemble sous le vocable « écologie humaine ». De « Psychologies magazine » (édition belge) à « Bioinfo », en passant par « Gael », « Nest » ou encore « Terre Sauvage », elle est devenue une journaliste incontournable sur tous les sujets qui touchent aux médecines altern ...
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Inexploré n°42

Le corps

dernière parution

Corps-mental-âme : et si nous visions une nouvelle symbiose ? Notre corps est un cadeau exceptionnel. S’il peut nous faire souffrir, il peut aussi être la source de nombreuses joies. Mais surtout, il est la condition nécessaire à notre expérience du monde physique. De nombreuses pratiques spirituelles, anciennes et modernes, se mêlent à la médecine pour nous aider à mieux incarner ce véhicule : métamédecine, épigénétique, compréhensions des corps subtils… Une multitude de voies s’ouvrent à nous pour nous reconnecter à nos racines, pour mieux tendre les mains vers les étoiles.

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Les
livres
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  • Danger sédentarité

    Danger sédentarité

    par François Carré

  • Les chemins de la joie

    Les chemins de la joie

    par Isabelle Filliozat

  • Encyclopédie pratique du TAO

    Encyclopédie pratique du TAO

    par Serge Augier

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