• Inexploré TV
  • Inexploré

La
mort,
cette
renaissance

Dans son nouvel ouvrage, La mort n’existe pas, publié chez Harper Collins, Stéphane Allix explore à nouveau la nature de la conscience aux confins de la mort en livrant ses 15 ans d’investigation sur l’après-vie. Notre conscience survit-elle au décès du corps ? L’au-delà existe-t-il ? Ce journaliste de terrain part enquêter pour découvrir la vision de voies alternatives et de traditions spirituelles millénaires, notamment du chamanisme. Extrait.
La mort, cette renaissance
Au-delà

Luna


Tu te tiens debout, en silence, devant le cercueil de bois clair. Ma fille, dans ton regard interrogatif je devine un abîme de perplexité. Que comprend-on de la mort, à trois ans et demi ? Tu perçois la souffrance autour de toi. Ce désarroi discret, les visages figés dans la stupeur ; les yeux errent dans le vide, les corps sont hésitants, gauches. On te parle par moments, on veut te rassurer d’un geste tendre et maladroit ou par un mot, des voix familières dans lesquelles tu sens pourtant des inflexions inhabituelles, de l’émotion, un petit quelque chose d’incompréhensible, presque menaçant car inconnu de toi.
Ma fille, tu es seule et impassible au milieu de grandes personnes dont, pour la première fois de ta vie, tu ne parviens pas à cerner les intentions. C’est aussi rassurant qu’un sac de grenades dégoupillées. N’osant ouvrir la bouche, tu observes ces adultes marqués d’une blessure invisible, des tsunamis contenus.
La mort vient d’entrer dans ta vie.
Ce que tu entends est en complet décalage avec l’atmosphère étrange et lourde qui t’enveloppe, comme un concentré de temps présent, un puits dont personne ne parvient à sortir. La légèreté n’est plus là, on ne joue plus.
Tu ne comprends pas, comment le pourrais-tu ? Qu’y a-t‑il à comprendre ? Ton oncle est mort. Tué dans un accident quelques jours plus tôt. Tu ne le verras plus jamais. Il vient brutalement de sortir de ta vie, mais à cet instant tu es incapable de réaliser ce que cela signifie. As-tu deviné que l’homme que tu connaissais, qui jouait encore avec toi quelques semaines auparavant, est là, figé à jamais à l’intérieur de cette boîte ? La mort est irréelle à tes yeux d’enfant. Ce grand bonhomme musclé et original qui t’apprenait à grimper aux arbres, te posait des questions étranges dans lesquelles brûlait une urgence essentielle, celui qui te faisait tourner dans les airs, rire aux éclats, tu ne le verras plus jamais. Tu l’ignores encore, car, pour l’instant, tu es tout entière plongée dans le présent de tes premières années innocentes, mais dans les décennies à venir tu oublieras son visage, ses gestes, son rire, son regard. Je le sais, tu m’as avoué combien cela éveille aujourd’hui en toi une profonde mélancolie.
Je suis accroupi sur le sol et te fais signe de me rejoindre, tu t’assieds contre moi. Ma fille. Je veux que rien ne te soit dissimulé de ce jour. Je t’enserre de mes bras. Je dois avoir l’air grave, et perdu. Secoué d’émotion.
Par des phrases courtes, je raconte aux gens présents les derniers moments de ton oncle, mon frère. Je parle du soleil chaud qui inondait le ciel ce matin-là, de la lumière. Mes mots te surprennent, sans doute ; tu ne m’as jamais vu comme ça. Il y a une étrange vibration dans ma voix. De la fragilité, un indicible chagrin, une culpabilité sourde cachés derrière un ton qui se veut assuré.
Ma vie vient de changer à jamais. J’ai trente-deux ans. Il y a une semaine, dans l’aube d’un matin d’avril, alors que tu dormais encore, loin, à Paris, nous étions avec Thomas et quelques autres sur une route d’Afghanistan, et il y a eu cet accident, et Thomas a été tué devant mes yeux, ainsi que trois autres jeunes hommes.
Ce matin-là, alors que j’étais à genoux dans la terre brûlée, le sang de ton oncle sur les mains, notre existence a pris une tournure singulière et définitive.
Le corps d’un mort est déconcertant. Lorsqu’il nous est donné de le regarder en face, je ne parle même pas de le toucher, on voit bien que quelque chose cloche, quelque chose manque. La peau prend instantanément une couleur irréelle, dès les premières minutes, comme si de vivante elle devenait artificielle. Les yeux grands ouverts ont soudain perdu cet éclat, la poussière s’y dépose librement et éteint leur brillance, les membres sont désarticulés sans plus la moindre résistance. Il y a une absence, un vide, et pourtant le corps a toute l’apparence de la personne que l’on connaissait. Mais elle n’est plus là.
Alors où est‑elle ?
En 2001, le décès de mon frère Thomas a précipité cette question dans ma vie. Comment aurais-je pu y être préparé ? Je ne l’étais pas. Qui peut l’être ? Je me trouvais avec lui en Asie centrale. J’ai pris soin de son corps, je l’ai rapatrié en France pour qu’il y soit inhumé. Le choc fut immense. Nous étions proches, partagions la même impatience folle de comprendre ce monde, d’arpenter cette Asie centrale où respirent les mémoires des temps sacrés, nous avions déjà voyagé ensemble, sur ces terres, où la mort nous a surpris de la plus brutale des manières. Ce moment a constitué un tournant majeur dans mon existence, il a bouleversé ma carrière de journaliste. Et ta vie également.
Où est passé Thomas ?


Ce que je veux te dire


C’est à cette époque que la mort est devenue pour moi un sujet d’interrogation permanente. Je n’ai eu de cesse dès lors d’user de mon expérience et de mes outils d’enquêteur pour tenter de comprendre scientifiquement ce que nous savons de ce moment chargé de crainte et de mystère. J’ai notamment questionné les neurosciences et d’autres disciplines pour tenter de percer la nature de la conscience. Je suis allé interroger quantité de chercheurs à travers le monde, mais aussi de témoins, en particulier celles et ceux ayant vécu une expérience de mort imminente. En 2013, mon père, ton grand-père, a cessé de respirer à son tour, ce qui a encore accru mon désir de trouver des réponses. J’ai testé des médiums. J’ai étudié toutes ces expériences aux frontières de la mort, ou après le décès d’un proche. C’est ainsi que s’est lentement forgée en moi la conviction que la poursuite d’une forme de vie après la mort constituait une hypothèse rationnelle, étayée à la fois par la science et d’innombrables témoignages.
Mais il me manquait constamment quelque chose. La preuve ultime. Celle qui allait dissiper les derniers doutes. Celle qui allait permettre de comprendre pourquoi, malgré les évidences que j’ai constatées, il n’y a toujours pas unanimité sur la question. Pourquoi science et spiritualité sont‑elles encore trop souvent opposées, tels deux espaces inconciliables ?
J’étais épisodiquement en proie à une sorte de conflit intérieur au fil de mes investigations, l’approche scientifique se révélant souvent, à elle seule, incapable de trancher entre plusieurs hypothèses. Parmi les scientifiques, les avis divergent en effet parfois radicalement quant aux interprétations que les faits observés permettent de faire. Le doute est constitutif de toute démarche scientifique. La science ne peut formuler que des hypothèses devant les observations qu’elle tente de comprendre. Son objet consiste précisément à cela : proposer des hypothèses pour expliquer les phénomènes qu’elle étudie et tenter de les vérifier.
La science est par essence un espace en perpétuelle évolution, elle ne fournit pas de certitudes éternelles. La science, c’est l’école du doute.
En outre, elle a tendance à ne valoriser que la connaissance acquise intellectuellement, à ne considérer que ce qui est reproductible.
Or, la science ne nous donne accès qu’à une réalité relative, pour des raisons que je développerai plus tard.
Ce constat est aujourd’hui unanimement admis. Physique, biologie, neurosciences, quelles que soient leurs disciplines, les scientifiques reconnaissent qu’une compréhension globale de notre réalité est encore largement inaccessible.
À cet égard, la nature de la conscience demeure l’une des plus vertigineuses questions non résolues pour les chercheurs. Le cerveau est une énigme. Or, contrairement à ce que l’on projette sur les neurosciences, cette discipline est encore balbutiante. Les outils d’observation dont elle dispose sont relativement limités, notamment dans leur capacité à observer en temps réel, et avec précision, ce qui se passe dans notre cerveau. Je me suis rapidement rendu compte que l’on attribue aux neurosciences des capacités d’explication très surévaluées.
Or, je cherchais des réponses. Y a-t‑il vraiment une vie après la mort ou pas ? Aussi ai-je rapidement compris, Luna, que si je voulais accéder à une vision plus large du monde et aux niveaux plus subtils qui le constituent, et surtout avoir une chance de percer les mystères de la conscience, comprendre où était ton oncle, il me fallait emprunter d’autres voies. Pour aborder un objet d’étude aussi complexe et délicat, aucune discipline ne se suffit à elle-même : il faut croiser les approches.
Mais existe-t‑il d’autres outils que la science pour explorer la nature de la conscience ? Comme tout bon Occidental, de surcroît élevé au pays des Lumières, j’étais convaincu que ce n’était pas le cas. Je ne pouvais concevoir rien de mieux que l’approche scientifique, l’expérimentation, la réplicabilité, l’étude de la matière pour comprendre objectivement la réalité dans laquelle nous vivons.
Pourtant, de multiples disciplines et sciences sociales, la philosophie ou la psychanalyse par exemple, nous apportent des éclairages intéressants sur la question de la mort. Ils sont certes plus subjectifs, toutefois j’y ai trouvé de quoi nourrir une réflexion parallèle précieuse tout au long de ces années. Mais ce qui a radicalement changé le cours de mon enquête, c’est la rencontre avec des spécialistes du chamanisme, psychologues, médecins, ou encore des anthropologues. Certains avaient étudié et surtout fait l’expérience personnelle de pratiques plus spirituelles, utilisées depuis des millénaires, et perçu ce qu’ils qualifiaient d’autres niveaux de réalité.
Depuis des décennies, nombre de chercheurs occidentaux reviennent en effet bouleversés par les cérémonies auxquelles des chamanes les ont conviés. Cela aiguisa ma curiosité. J’ai voulu aller plus loin et essayer cette approche qui éveille par ailleurs de plus en plus l’intérêt des scientifiques ; tu connais mon impulsivité.
Tous les chamanes à travers le monde, quelles que soient leurs traditions, prétendent entrer en contact avec un « monde des esprits ». S’agit‑il juste d’une croyance ? Peut‑il y avoir une part de réalité dans ces assertions ? C’est pour répondre à cette question que j’ai décidé qu’il me fallait tenter ce qui potentiellement pouvait s’avérer être l’une des expériences les plus importantes de ma vie. Serai-je réellement en mesure de voir moi aussi ces dimensions spirituelles auxquelles prétendent accéder les mystiques de toutes les traditions, et ce depuis des millénaires, et possiblement ce qui se passe au moment de la mort, voire après ?
Sans doute assez naïvement à l’époque, j’ai donc pris le chamanisme au pied de la lettre. Je pensais que s’il m’était donné de visualiser moi-même l’esprit d’un défunt – ton oncle – cela lèverait définitivement les doutes qui continuaient de m’habiter depuis le début de mes enquêtes quant à l’existence d’une vie après la vie.
Comme l’apôtre saint Thomas, le journaliste que je suis ne peut se défaire d’une forme d’incrédulité. Il me faut voir pour croire. Voilà ce qui m’a conduit en Amazonie.

En 2006, lors de mon premier voyage dans la forêt, tu étais encore une enfant. Malgré l’extrême confusion de mes premières expériences chamaniques, j’ai pressenti le potentiel inestimable de ces techniques. Progressivement le chamanisme m’a ouvert sur une autre vision du monde. J’ai compris qu’il était possible d’explorer la réalité autrement.
D’apprendre autrement.
Pour ce faire, je me suis engagé dans une lente initiation, malgré les peurs, les écueils, l’inconfort si déstabilisant de l’inconnu. Un chemin de lâcher-prise et de vulnérabilité, pour m’extraire temporairement des innombrables automatismes qui régissent nos jours et nos nuits.
J’ai appris à faire de mon mental un allié plutôt qu’un handicap et à développer mon intuition sans me perdre dans l’imaginaire ; cela m’a demandé près de quinze années. Quinze longues années durant lesquelles, en marge de ma vie de journaliste majoritairement occupé à observer, décortiquer et analyser les nombreuses recherches scientifiques portant sur la nature de la conscience – averti désormais des limites de nos grilles d’interprétation –, je menais en parallèle ce cheminement spirituel à la subjectivité déconcertante. Ces deux axes de recherche sont très différents en apparence, mais ils se sont avérés d’une incroyable complémentarité. Un patient apprentissage entre raisonnement et perceptions extrasensorielles.
Au cours de cette quête, Luna, j’ai commencé à voir des dimensions de la réalité jusqu’alors invisibles. L’intensité et la clarté de ces expériences imposèrent une forme d’évidence. Dans cette réalité plus vaste qui m’était soudain perceptible, la mort semblait s’être effacée. Comme si elle n’avait jamais vraiment existé, n’avait été qu’un voile tenace, une frontière poreuse, une illusion cérébrale.

Tu as vingt‑cinq ans aujourd’hui. La petite fille silencieuse que je tenais contre mon cœur ce jour d’avril 2001, à peine descendu de l’avion qui me ramenait chez nous avec le cercueil de Thomas, est devenue une femme épanouie, malgré cette irruption brutale de la mort dans ta vie d’enfant.
Il y a tant de choses que je veux partager avec toi. J’ignorais à l’époque ce que je sais maintenant. Désormais, les années passant, je pense parfois à ce moment où je laisserai à mon tour s’échapper de mes lèvres une dernière expiration. Je n’y songe plus avec inquiétude, ni même appréhension. Une profonde sérénité – de la curiosité, mais aucune impatience – m’habite à cette perspective. Je sais l’émotion qui t’envahit quand j’aborde le sujet, j’ai voulu t’en parler plusieurs fois ces dernières années. Je le comprends, c’est tellement incongru, mais ce que j’ai à te dire va tout changer.
Je vais mourir. Oh ! pas tout de suite, rassure-toi, je n’éprouve aucune hâte, c’est même de plus en plus l’inverse à mesure que je saisis combien la vie est une merveille. Nous avons encore le temps, beaucoup de temps ensemble, mais ce moment viendra et il sera forcément inattendu. C’est une certitude.
Alors j’aimerais te transmettre aujourd’hui ce que j’ai appris au fil de mes enquêtes et de mes voyages, pour que, le moment venu, tu voies les choses comme je les vois désormais. Je veux que tu saches qu’après toutes ces années passées à chercher des réponses, depuis l’accident de ton oncle, je suis convaincu que le jour de ma mort je cesserai simplement d’être visible à tes yeux, mais que mon existence se poursuivra, ailleurs.
La mort n’existe pas, Luna.
Lorsque l’on meurt, on ne cesse pas de vivre. On change de monde.
Je vais essayer de t’expliquer comment j’en suis arrivé à cette conclusion. Ce n’est pas une croyance, mais l’aboutissement logique d’un long cheminement. Pour comprendre, il te faudra faire appel à ton raisonnement, comme je l’ai fait – je reste journaliste dans l’âme –, mais pas exclusivement car, dès lors que l’on aborde ce sujet, bien des choses dépassent nos capacités d’analyse. Savoir ne suffit pas. Tu dois apprendre à écouter la voix de ton cœur, autant que celle de ta raison. Cela m’a demandé du temps, beaucoup de temps, de voyages et de nombreuses expériences.
Ton grand-père a été terrassé par la mort de son fils. Aujourd’hui, il l’a rejoint. Lorsqu’il parlait du décès de Thomas, il avait coutume de citer des mots de Baudelaire, même s’ils s’appliquent à autre chose dans le poème d’où il les avait tirés, en disant que la mort nous propulse derrière la muraille immense du brouillard. Il était comme ça, grand-père, tu te souviens ? Il lisait énormément et retenait des phrases, et encore des phrases, de Tolstoï, de Flaubert, de Stendhal, de Gogol, de tant d’autres auteurs avec qui il conversait – ses amis imaginaires. Dès qu’il me citait de mémoire la musique de leurs mots, je voyais immanquablement les larmes apparaître au coin de ses yeux et sa voix vaciller. C’était un homme émotif, cultivé et bon, ton grand-père. Je te raconterai quelles furent ses dernières semaines, car elles ont été profondément éclairantes. Et son dernier souffle si discret, un incroyable instant d’amour.
Oui, la mort semble effectivement se cacher dans le brouillard de nos peurs, tel un mystère insondable. Et c’est une réalité qui n’épargnera personne, pourtant la plupart des gens préfèrent ne pas y penser. Jusqu’à ce qu’elle fasse irruption dans notre vie. Comme lorsque Thomas est mort, plongeant ton grand-père, moi, toute notre famille dans une incertitude déconcertante.

Nous courons sans comprendre vers la mort, tels des somnambules, et nous sommes surpris que cela soit angoissant. Alors nous meublons nos journées de plaisirs éphémères pour supporter cette déconnexion d’avec notre part spirituelle. Cette désunion conduit à ce que l’on éprouve avec impuissance le sentiment que quelque chose d’essentiel, mais d’inaccessible, manque à notre existence. Ce soleil éteint. Notre âme oubliée.
Pourtant, la vie est autre chose qu’une glissade irrémédiable vers un effacement certain. La vie, ce n’est pas seulement ces décennies que nous traversons, incrédules, sur cette planète belle, violente et folle. Et la mort n’est pas la fin de la vie. Le redécouvrir est essentiel. Et c’est à notre portée.
Le mystère peut être éclairé. Lorsque je me retrouverai au seuil de la mort, si les circonstances le permettent et que je suis en mesure de la regarder consciemment en face, les paroles justes seront certainement difficiles à trouver, pour toi prise par l’émotion, pour moi en train de me détacher. Alors autant les dire aujourd’hui. Autant tout te dire aujourd’hui. D’autant plus qu’alors il sera un peu tard pour parler, tant le silence sera précieux une fois devant le seuil. Il faudra que tes gestes soient lents et délicats, lorsque ta main viendra se poser sur ma peau, ton cœur apaisé.
Je vais t’expliquer tout ce que je sais de ce moment, ce qui se passera en moi, ce que les yeux de mon âme verront, là où je glisserai, ce qui m’arrivera après, et ce que tu pourras faire pour m’aider, si tu t’en sens le courage. J’en suis convaincu, cela te permettra d’accepter sereinement l’inéluctable. Et alors peut‑être seras-tu en mesure de sentir l’amour qui envahira la pièce où nous nous trouverons lorsque ce moment viendra. Cela sera comme une lumière. Elle sera physiquement perceptible.
L’instant de la mort révèle les émotions les plus extrêmes, c’est un temps paradoxal, une déchirure inconsolable mais aussi une forme de grâce ; une porte s’ouvre entre deux mondes.
Après ma mort, je serai encore là, parfois dans ton environnement proche, parfois ailleurs, mais toujours en lien avec toi.
L’amour qui nous unit sera aussi intense et fort – peut‑être même plus, tu comprendras au fil des pages qui suivent pourquoi je dis cela. L’amour est ce qui permet le lien entre les mondes ; je vais t’apprendre à ressentir cela, il est tellement plus fort que l’absence. S’ouvrir à lui apaise et dissipe la confusion.
Lorsque je m’effacerai de ce monde, je serai toujours vivant. N’en doute pas, ne doute pas que l’amour que nous éprouvons l’un pour l’autre est éternel et rend possible le dialogue de nos âmes.
Par ailleurs, parler de la mort avec toi dès aujourd’hui aura un effet plus essentiel encore que celui de te préparer à ce terme, que je veux le plus tard possible. Celui de rouvrir un chemin intérieur. J’en ai fait l’expérience.
Oui, la mort fait peur. Tu me l’as dit. Le sujet t’angoisse. Tu es loin d’être la seule, ma fille, cela n’a rien de surprenant. Mais tu m’as confié également que ce n’est pas une peur que tu refuses, sur laquelle tu voudrais mettre un mouchoir. Ta lucidité m’impressionne. J’admire ce courage dont tu fais preuve – accepter de regarder en face tes peurs et tes ombres – et je te confirme que c’est en accueillant ta vulnérabilité que tu accéderas au bonheur et à l’épanouissement. La vulnérabilité n’est pas de la faiblesse. C’est la première marche vers l’éveil. Cela requiert beaucoup de courage et d’humilité, de sonder la vérité de notre être. Mais n’est‑ce pas la chose la plus essentielle à faire de notre existence ?
Oui, la mort peut devenir familière, il est possible d’apaiser nos craintes, d’en révéler les secrets. Alors elle n’est plus une ennemie, mais devient un miroir sur la vie. Car la mort dévoile la chose la plus précieuse que nous possédons, une dimension de notre être, notre pure conscience, qui, si l’on apprend à s’y reconnecter, est une inestimable ressource intérieure.
J’ai compris que nous sommes tous guidés, mais nous ne savons pas écouter. Faire de la mort une amie, un objet de méditation quotidien, apaise profondément et change le regard que nous portons sur tous les aléas de notre existence. Cela nous permet de ressentir cette flamme immortelle qui brille au fond de notre cœur à chaque instant. Cette source d’inspiration inépuisable et sage que nous abritons toutes et tous. Là, maintenant, en ce moment même. Se connaître est le début de la sagesse. Plus tôt on entreprend cette exploration intérieure pour retrouver notre âme, plus éclairée et inspirée sera notre existence.

Il m’a fallu plus d’une décennie pour trouver les mots justes. Ils ne sont pas tous venus de là où je les attendais. C’est une autre histoire que je veux te raconter. […]


La mort n’existe pas, Stéphane Allix, 2023, éd. Harper Collins, p. 11 à 23.

À
propos

auteur

  • Stéphane Allix

    Journaliste et écrivain
    Écrivain et réalisateur, Stéphane Allix est devenu journaliste en rejoignant clandestinement, à 19 ans, en 1988, les résistants afghans en lutte contre l’occupant soviétique. Durant les années 90, il a voyagé à travers le monde, couvert plusieurs guerres, réalisé des films, et écrit plusieurs livres. Depuis 2003, il est engagé dans l’étude et la recherche sur les conséquences de la révolution scientifique en cours, avec une approche comparée de disciplines telles que la psychia ...
flower

Les
livres
à
lire

  • La mort n'existe pas

    La mort n'existe pas

    par Stéphane Allix

Voir tous les livres

Les
articles
similaires

  • Sandra Giessinger : sa fille la guide depuis l’au-delà
    Au-delà

    Axelle décède le jour de ses vingt ans dans un accident de voiture. Sa mère Sandra recevra tant de signes de sa présence depuis l’au-delà qu’elle vivra le deuil autrement.

    8 mai 2024

    Sandra Giessinger : sa fille la guide depuis l’au-delà

    Lire l'article
  • 60 millions d'individus revenus de la mort ?
    Au-delà

    Et si nos capacités de réanimation nous permettaient d'envisager un « au-delà » ? C'est ce que pense le Dr Jean-Jacques Charbonnier, médecin anesthésiste-réanimateur, qui a rassemblé dans son dernier livre « sept bonnes raisons » d'y croire.

    30 août 2012

    60 millions d'individus revenus de la mort ?

    Lire l'article
  • Vie éternelle pour nos ancêtres
    Fin de vie

    Et si une plateforme numérique destinée à recueillir la mémoire de tous les êtres humains après leur mort créait une histoire plus démocratique tout en apaisant les proches ? Entretien avec son créateur, Dominique Pon.

    9 juin 2022

    Vie éternelle pour nos ancêtres

    Lire l'article
  • Unis jusqu'à la mort
    Au-delà

    Jusqu’où peut aller la connexion d’amour et d’esprit qui nous unit à un être aimé ? Pour Eleanor et Franck Turner, jusqu’au delà de la mort...

    15 décembre 2013

    Unis jusqu'à la mort

    Lire l'article
  • Dépasser la mort et s’ouvrir à l’Amour du monde
    Inspirations

    Qu’est ce qui peut bien pousser un enseignant spirituel de renommée internationale, respecté et aimé, à s’enfuir comme un voleur de son monastère, sans en toucher mots à qui que ce soit, pour entamer un voyage en solitaire qui va ...

    18 novembre 2019

    Dépasser la mort et s’ouvrir à l’Amour du monde

    Lire l'article
  • Le rôle du médium dans le processus de deuil
    Fin de vie

    Trois questions à Christophe Fauré, psychiatre spécialisé dans l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches.

    25 janvier 2012

    Le rôle du médium dans le processus de deuil

    Lire l'article
  • 60 millions d'individus revenus de la mort ?
    Au-delà

    Et si nos capacités de réanimation nous permettaient d'envisager un « au-delà » ? C'est ce que pense le Dr Jean-Jacques Charbonnier, médecin anesthésiste-réanimateur, qui a rassemblé dans son dernier livre « sept bonnes raisons » d'y croire.

    30 août 2012

    60 millions d'individus revenus de la mort ?

    Lire l'article
  • Une « bonne mort » est-elle possible ?
    Fin de vie

    Face à l’expérience singulière du « mourir », l’euthanasie questionne la profonde dualité entre l’aspiration légitime à mettre fin à la souffrance et les dilemmes éthiques que ce geste soulève. L’occasion d’ouvrir le dialogue avec des spécialistes de tous bords. ...

    28 décembre 2023

    Une « bonne mort » est-elle possible ?

    Lire l'article
Voir tous les articles

Écoutez
nos podcasts

Écoutez les dossiers audio d’Inexploré mag. et prolongez nos enquêtes avec des entretiens audio.

Écoutez
background image background image
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur notre site. [En savoir plus] [Accepter] [Refuser]