Synonyme de joie et de partage, le rire nous fait du bien.
Mais avons-nous vraiment conscience de son pouvoir ?
D’après le yoga du rire, ce phénomène naît dans le corps et non
pas dans le mental. Il provoquerait le réveil de l’enfant
qui nous habite et nous guérirait d’être trop adultes.
« Rire est le propre de l’homme » écrivait Rabelais dans son Gargantua. Pourtant, pour nos sociétés, cette capacité des plus naturelles ne semble pas aller de soi. Une pratique indienne, le yoga du rire, aspire justement à restaurer notre regard d’enfant sur la vie, par le rire, mais d’une façon qui va déstabiliser à coup sûr notre raison. La voilà prévenue…
Rire sans raison
Cela fait plus de vingt ans maintenant que le docteur Madan Kataria, médecin généraliste de Bombay, en Inde, a créé une forme de yoga bien particulière : le yoga du rire. S’il avait déjà remarqué que ses patients les plus drôles guérissaient plus rapidement que les autres, tout est vraiment parti d’une découverte : celle de l’expérience du journaliste américain Norman Cousins qui, touché par une maladie grave à la colonne vertébrale dans les années 60, parvint en quelques mois à se guérir par une cure de rire, en visionnant le plus de films comiques possibles. Bien que ce témoignage puisse surprendre, il a le mérite d’avoir motivé de nombreuses recherches scientifiques sur les bienfaits du rire pour le corps et l’esprit, recherches qui ont terminé de convaincre Madan Kataria du potentiel bénéfique pour l’homme de cette fonction naturelle.
Le regretté docteur David Servan-Schreiber résumait d’ailleurs, en 2009, les répercussions positives du rire, dans un article de Psychologies Magazine:
« Dans le corps, chaque épisode de rire aide à la circulation de la vie (…) : la tension artérielle diminue, les artères du cœur facilitent le passage du sang et de l’oxygène, les deux branches du système nerveux autonome se rééquilibrent, et même les cellules immunitaires sont plus actives contre les virus ou contre le cancer… ».
Dans le corps, chaque épisode de rire aide à la circulation de la vie.
Mais ce qui a surtout frappé Madan Kataria, c’est que le rire stimule la production des endorphines, ces hormones sécrétées par le cerveau qui anesthésient la douleur et nous procurent une sensation de bien-être. Suite à ces découvertes, il a créé un club de rire et réuni un groupe de personnes pour se raconter des blagues. Si cela fonctionnait au début et que le club a attiré des curieux, le fait est que tout le monde n’a pas le même humour. Quand les bonnes blagues se sont épuisées, des plaisanteries plus désagréables les ont remplacées. Il lui a alors fallu trouver un autre moteur au rire.
Mais justement, le docteur s’est demandé si le rire nécessitait forcément un moteur. Pourquoi ne pas tenter autre chose ? :
« Nous avons commencé à faire semblant de rire en disant « hahaha, hohoho, hihihi ». Une minute après tout le monde riait pour de vrai, car dans un groupe le rire est contagieux », confie-t-il au Figaro en juillet 2015. En effet, il a compris que les zones du cerveau qui produisent les endorphines ne se soucient pas de savoir si notre rire est issu d’une bonne plaisanterie ou non. Au départ un peu forcé, le rire peut devenir spontané via le groupe qui le fait circuler et se répandre comme une trainée de poudre, ce qui libère en chacun les fameuses hormones du bonheur. Et comme le docteur se plaît à répéter :
« On ne rit pas parce qu’on est heureux. On est heureux parce qu’on rit! »
Rire par le corps
Le « hahah, hohoho, hihihi » est un peu le cri de ralliement des adeptes du yoga du rire dont le nombre de clubs s’élève aujourd’hui à plus de 5000 à travers le monde. Il est aussi le symbole d’une pratique qui prend pour modèle de grands rieurs : les enfants. Dans son livre Rire sans raison, Madan Kataria explique que ces derniers peuvent rire entre 300 et 400 fois par jour. Mais les enfants ne rient pas avec leur tête, ils rient avec leur corps tout entier, par le biais du jeu. Le yoga du rire est donc un ensemble d’exercices physiques proches des jeux d’enfants et couronné par des respirations, plus fidèles, cette fois, au yoga traditionnel. Dans le yoga du rire, on joue à la fois avec son corps et avec sa voix. On étire les muscles zygomatiques, on imite des cris d’animaux, de personnages, on balance les bras, on court, on saute et en riant, on fait travailler le diaphragme, comme durant une séance intense de sport. Pareil à un footing, le rire permet de relâcher les tensions du corps, de se sentir plus léger. Après les mouvements, le yoga du rire se clôt généralement par une méditation permettant d’intérioriser et d’inscrire durablement les bienfaits de la séance, même si l’idéal est de réitérer régulièrement la pratique.
Marion, qui participe à un groupe de yoga du rire en Bretagne, évoque son expérience :
« La séance se fait sur un mode ludique qui me rappelle les récrés de mon enfance, et déjà, c’est précieux. Le déroulement est construit, chaque fois différent et apporte une détente progressive, autant physique que mentale, par des exercices précis. La cohésion du groupe se fait très rapidement. Des exercices, comme le rire du singe, ne permettent pas de garder son sérieux. Il est très difficile d’être en même temps dans son mental. Et, très important, il n’y a pas de notion de réussite ou d’effort, chacun vient comme il est, se laisse guider. »
Il n’y a pas de notion de réussite ou d’effort, chacun vient comme il est...
Ce travail du corps qui libère l’esprit par le rire et nous rend zen porte, en même temps, un sérieux coup à nos tendances à juger et les autres et nous-même. En osant s’exprimer, en regardant l’autre dans les yeux, en riant avec lui, on peut briser très rapidement les barrières illusoires que dresse habituellement notre mental. Il semble, par conséquent, que le lâcher-prise, qui calme notre hémisphère gauche, soit la condition sine qua non au développement d’un rapport authentique avec les autres et de la réapparition, fut-elle brève, de notre enfant intérieur, notion à laquelle on peine souvent à donner du sens.
Un regard d’enfant sur le monde
Formée par Corinne Cosseron, qui, en s’inspirant en partie du yoga du rire, a créé en 2002 une thérapie par le rire, la Rigologie, Annie Tallec, thérapeute du rire, a à cœur d’aider tous ceux qui souhaitent réveiller, par le rire, cet enfant endormi, ou ce « clown », comme elle le nomme si bien.
« Ce clown-là est très différent du clown de cirque que j’ai aussi eu l’occasion de rencontrer il y a des années, au théâtre. Il est l’enfant qui contacte librement ses émotions, que ce soit la colère ou la joie. Et il les amplifie pour mieux les exprimer. Par la musique, la danse ou les jeux de mimes, on peut apprivoiser à nouveau son clown. Après chaque séance, le rire qui, par exemple, chasse les pensées négatives, aide à mieux gérer le stress, favorise le sommeil et l’élimination des toxines, nous met dans de meilleures dispositions pour accueillir à nouveau la venue de ce clown, de plus en plus fréquemment, jusqu’à ce qu’il soit intégré à nouveau à soi-même. » Dans cette optique où l’enfant que l’on était peut retrouver une plus grande place dans notre vie, il est aussi possible de gérer autrement les fameux problèmes du quotidien qui nous ferment trop souvent aux autres, nous mettent dans une posture de victime et nous démoralisent.
« Parfois, quand je sais que je vais rencontrer quelqu’un que je n’apprécie pas plus que ça, j’ai une appréhension naturelle qui se développe en moi. Par le passé, j’aurais foncé tête baissée dans cette situation qui s’annonçait déjà négative. Maintenant, je profite du trajet en voiture pour faire mes exercices de stimulation du diaphragme, je chante et je ris, ce qui me permet de prendre du recul sur la situation et de modifier mon humeur. J’arrive alors chargée d’humour devant la personne, ce qui va avoir un impact sur son comportement. Ceci est un appel au rire, qui irradie. Il n’y a pas de place pour les récriminations. Tandis que nos deux négativités nous auraient fait plonger tous les deux, j’utilise ici mon énergie positive pour contaminer l’autre et le tirer vers le haut. »
Le yoga du rire, en nous aidant à nous détacher de notre mental peut donc nous rapprocher davantage de nous-même et des autres, dans un monde qui se prend plus que jamais au sérieux. Il nous donne les clés pour libérer de manière durable notre enfant intérieur et, tout en nous rendant un peu de cette confiance en soi qui nous fait trop couramment défaut, il nous invite aussi à prendre nos distances vis-à-vis de ce qui nous écrase au quotidien. Conscients de cela, il nous est désormais possible de faire le choix d’une positivité sans raison qui ne peut qu’améliorer notre expérience de la vie. Aussi, assisterons-nous peut-être un jour à une séance de yoga du rire dans le métro, sait-on jamais…