Il existe un lieu en Dordogne où moines et moniales issus du bouddhisme zen invitent à retrouver joie, simplicité et douceur de vivre en famille. Le monde de demain est transmis dans les mains de nos enfants dès aujourd’hui.
L’art de l’ici et maintenant
Dernier jour, la semaine touche à sa fin. Je reviens de cet entre deux mondes à nul autre pareil où enfants et parents, laïcs et religieux de tous horizons main dans la main construisent un monde meilleur fondé sur la pratique de la pleine conscience.
Il est cinq heures du matin les enfants dorment encore au rythme de chants venus d’un autre temps. Le gong m’invite à pratiquer la respiration consciente, trois respirations que je savoure pleinement. L’aube est naissante et l’on peut voir des silhouettes se rendre silencieusement vers le grand hall de méditation. Aujourd’hui c’est une méditation guidée sur l’instant présent. J’inspire je reconnais le passé en moi, j’expire ce passé. Puis, j’inspire je reconnais le présent en moi, ce présent est la base d’un futur heureux, j’expire. Tout est calme est tranquille en moi, à l’extérieur de moi.
Gong…
Une heure plus tard, le nouveau jour levé, les adultes et quelques adolescents matinaux s’exercent tels des moines Shaolin à exécuter des exercices ancestraux avec des bambous. Chacun avec son bâton place l’énergie du souffle comme pour comprendre que le corps et l’esprit sont reliés par la respiration.
Gong… Au fil de la journée, la pratique est rythmée par les cloches de la pleine conscience. Comme sur une balançoire bercée entre l’ici et le maintenant, le temps suspend son souffle alors que le pratiquant est amené à observer sa respiration. L’effet est tour à tour vivifiant et relaxant.
Il est sept heures, les parents vont sur la pointe des pieds lever leurs enfants qui dorment dans des tentes autour des étangs fleuris de lotus. On les retrouve au réfectoire les yeux pleins de sommeil.
« Ce pain est le corps du cosmos », « Respire tu es libre » ; autant de gathas - courts poèmes - nous rappellent le bonheur d’être là, silencieusement, dans la pleine conscience d’être relié. Je repense à l’enseignement donné hier.
« L’œuf vient-il avant la poule ? La chenille avant le papillon ? » Pas simple de réponde à cette question, dans la vision bouddhiste les deux sont concomitants, l’un ne peut exister sans l’autre. Ca se bouscule dans ma tête.
« Notre soi ne peut être séparé du soi de toutes les espèces (…) C’est un bonheur tout à fait naturel de ressentir l’inter-être entre toutes les formes de vie ». Et si toutefois notre esprit décidait de partir encore un peu plus loin en voyage ...
Gong ; respiration.
Place au gentil chahut. Les enfants se retrouvent. Des groupes informels se dessinent pour poursuivre les écrevisses de l’étang ; d’autres exercent leur équilibre sur un fil tendu entre deux arbres ; j’en aperçois qui font des avions en papier avec les moines ; d’autres jouent au basket tout aussi bien accompagnés ; tandis que les derniers ont dû se cacher prêt à jouer avec Robinson Crusoé. Chez les adultes on refait le monde à sa manière. Comment mieux purifier l’eau et la dynamiser ? Quel complexe d’huiles essentielles prendre pour enfin enrayer une certaine affection que la médecine traditionnelle n’arrive pas à soigner ? Comment faire une retraite en famille et ne pas se sentir frustré de ne pas assez pratiquer ? Pourquoi ne pas considérer nos freins comme la meilleure pratique de la pleine conscience ? L’horizon est vaste, et les échanges authentiques.
Au détour je rencontre Marc. Pourquoi est tu venu si souvent depuis quinze ans ?
« C’est un lieu privilégié, il répond à mon désir d’authenticité. Ici on cultive la compréhension et l’écoute profonde. C’est comme dans le poème de Verlaine : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’une femme que j’aime et qui m’aime et qui me comprend. » Ici les masques et les armures tombent et les émotions remontent, comprises et acceptées par la pleine conscience. Et c’est cela qui permet à la compréhension d’émerger. Dans la vie très souvent on n’ose pas dire, car le retour plus ou moins exprimé c’est tu nous emmerde avec ton histoire. Ici on à la droit d’être vulnérable, et on ne dit pas n’importe quoi pour le plaisir de faire un bon mot ». Gong. Nous respirons et nous rendons vers le hall de méditation pour y recevoir des enseignements.
Naissance d’une éthique spirituelle laïque
Nous sommes 800 personnes de 40 nationalités, les enfants sont réunis au pied de l’enseignant. Aujourd’hui l’enseignante est une femme. Le sage Thich Nath Hanh, fondateur de ce lieu se remet jour après jour de l’AVC qui l’avait profondément touché il y a moins d’un an . Tel qu’il l’avait souhaité lors de notre dernière rencontre c’est la communauté dans son ensemble qui a repris les rennes de la transmission. Le maître se repose. Certainement rassuré de savoir un nombre croissant d’humains porté par « la rivière de la spiritualité ».
Je le tiens d’une confidence de Sœur Chang Kong, cette femme au destin puissamment courageux qui s’engagea à vingt ans auprès de celui que tout le monde ici appelle affectueusement Thay (Professeur en Vietnamien) .
« Nous avions le même âge, dans ce Vietnam ensanglanté, nous avons voulu créer un bouddhisme engagé, nous ne pouvions pas rester là sans rien faire. C’est ce qui a valu notre exil. Le village s’est fondé en 1982, et nous y avons accueilli des familles dès le départ. Sans quoi tout cela n’aurait pas de sens. Ce sont les actes qui portent les paroles. Mais vous savez nous réalisons que la religion c’est un peu comment dire ? Old school ; cela appartient à l’histoire ancienne. Ce qui importe c’est que nous sommes tous une rivière de spiritualité. En Novembre dernier nous avons été invité au Vatican avec douze autres représentants des grandes religions pour dénoncer l’esclavage. (…) On peut être un bon chrétien, juif, musulman, bouddhiste ou que sais-je encore, et voir nos enfants rejeter notre croyance. Par contre dans nos gênes réside toujours la spiritualité. Et le défi de ce monde c’est de trouver une solution pour une éthique globale . Aux pruniers nous arrosons les graines de sagesse que tout un chacun possède et qui vont dans le sens du respect de la vie et de notre planète ». Gong.
Les pratiques de la pleine conscience
Les chants d’ouverture des cent cinquante moines et moniales résonnent encore dans l’assemblée. Sœur Eleni invite l’assemblée à se recentrer sur sa respiration. Elle se propose aujourd’hui de nous amener à méditer sur l’amour véritable. Les enfants, placés au premier rang, sont captivés. Nous pratiquons les 4 premiers exercices de respiration offerts par le Bouddha dans les
Soutras de la respiration. J’inspire je reconnais ma respiration, J’expire je suit ma respiration. Puis j’inspire je suis conscient du corps, et j’expire je relâche les tensions. Limpide et simple… Puis en tendant une orange aux enfants
« Que voyez vous ? » Les enfants sages se bousculent au portillon
« Un fruit. La pluie. Le Soleil. L’amour du jardinier. Une terre fertile ». « Oui les enfants tout est dans tout, c’est la nature de l’inter-être. Cette orange a poussé grâce à une multitude d’éléments. Le soleil a pénétré l’écorce de l’arbre, et quand vous buvez un jus vous profitez de ce soleil, de cette pluie. Ils ne sont plus manifestes et pourtant ils ont été des conditions nécessaires à la croissance de ce fruit. C’est comme le Papillon pendant l’hiver, nous ne le voyons pas. Est-ce qu’il n’existe pas ? Non il n’est tout simplement pas encore manifesté». Gong. « Et maintenant abordons la colère. Quand vous êtes vous sentis en colère la dernière fois contre vos parents ? Et eux étaient ils en colère ? Qu’auriez vous pu faire pour transformer cette colère ? ». .
Oui, les enfants, tout est dans tout, c’est la nature de l’inter-être.
Une fois encore tout semble limpide dans le cœur des enfants.
« Prendre ma responsabilité. Accueillir ma colère. Demander pardon. Respirer. Marcher en pleine conscience. Dire je t’aime ». La sœur reprend :
« La pleine conscience, celle que vous dégagez quand vous respirez ou adressez des paroles de paix, est comme le soleil. Elle pénètre tous les aspects de notre attention et les aide à croître. C’est en respirant, en parlant gentiment que l’on peut en effet transformer la colère. Cette graine est déjà en vous il suffit de l’arroser. » Elle se met à partager les mantras qu’aimait tant enseigner son maître
« Chéri je sais que tu es là et je suis heureux » ; « Chéri je suis là pour toi ». Sagesse limpide et pragmatique. Une demi-heure s’est écoulée. Une petite fille est invitée à sonner la cloche.
Gong. Les enfants peuvent aller jouer dans le parc avec les moines, moniales, et la cinquantaine de bénévoles venus pour un mois soutenir comme à chaque retraite le village dans sa pratique.
L’enseignement reprend.
« Les quatre composantes de l’amour véritable sont : parole aimante, écoute profonde, joie et inclusivité (compréhension qu’à la lumière de l’inter-être nous ne pouvons séparer la souffrance et le bonheur de l’autre de notre propre souffrance et de notre propre bonheur) ». Jour après jour je perçois que la notion d’amour inconditionnel est une expérience. Une dimension plus essentielle encore que le sentiment d’amour. Allongée à l’ombre d’un prunier je profite rêveuse de cette sagesse transmise par un haut parleur. Suis-je ? Serai-je à la hauteur ? Sœur Eleni semble m’avoir entendue.
« Nous vivons dans le futur et nous somme plein d’attentes, nous ne sommes pas libres. C’est uniquement dans l’ici et maintenant que nous pouvons nous établir heureux. On ne peut pas définir la pleine conscience, c’est uniquement par l’expérience que nous l’habitons. C’est une énergie mentale, et une manière de vivre qui comme le soleil illumine toute notre attention. Marchez, parlez, respirez, mangez, écoutez en pleine conscience. Faites l’une de ces pratiques et votre vie entière en sera transformée ». Gong. Je respire ; légère.
Je retrouve les enfants avant d’entamer la marche méditative.
Gong. 800 personnes marchent en silence d’un même mouvement jusqu’au centre de la forêt. Tout est paisible et silencieux. Me reviennent les phrases de Thich Nath Hanh
« Il faut apprendre à marcher comme des êtres libres. Le miracle c’est de marcher sur la Terre dans le moment présent et d’apprécier la beauté et la paix qui sont disponibles maintenant ». Nous nous asseyons autour d’un quatuor a cordes. Deux moines accompagnés de deux laïques se mettent à interpréter Beethoven. Symphonie d’instants présents. Le moine Phap Linh étant un ancien compositeur ; la qualité est au rendez-vous. Pour applaudir silencieusement l’assemblée lève les mains en les secouant. Autant de bonheur et de fantaisie me rappelle
La Belle Verte. Il y a de la magie dans l’air.
Gong.
Nous mangeons en pleine conscience dans le silence de la forêt. Mon esprit se plaît à ressentir le parfum délicieux de chaque bouchée. Dans l’optique d’une éthique globale les mets servis au village sont végétaliens. Le village possède une ferme écologique la
Happy Farm (« ferme heureuse ») où j’ai put rencontrer la veille de jeunes adultes australiens et américains venus en woofing partager plusieurs mois de leur vie à la construction d’une agriculture harmonieuse. Cette nourriture saine me ravie, mon corps est mis au repos, et mon esprit réalise que ce que je mange est aussi le fruit de l’amour et du respect de la terre. J’ai d’ailleurs réalisé ce matin grâce à William pratiquant depuis 10 ans en famille que cette aventure est aussi le fruit d’un partage entre deux visions du monde.
« Tu sais au départ il n’y avait pas forcément au village la conscience de l’importance de produire sa nourriture, et encore moins par des moyens biologiques. Ce sont les retraitants qui ont apporté leur savoir faire et donné plus de cohérence au projet ». Gong. J’inspire, j’expire.
Je passe les deux heures qui suivent à observer un groupe d’enfants. Armés de patience ils se sont équipés d’épuisettes avec l’intention de retirer les écrevisses de l’étang. Ils sont tous très affairés et sérieux.
« L’espace est trop petit, nous irons les libérer au grand lac plus bas. (…) Et puis elles mangent les lotus, non vraiment ils cohabitent mal. (…) Attention tu vas les blesser, regarde moi je les caresse et de toute façon comme je n’ai pas de peur elles ressentent bien que je n ‘ai pas l’intention de les blesser, et elles ne me blessent pas en retour ». Autant de sagesse dans de si petits corps m’émerveille.
Gong. Même les enfants s’arrêtent et se recentrent…
Il est 16 heures nous allons en famille à la yourte où les moines et laïques ont prévu d’organiser une relaxation avant d’aller visiter la
Happy Farm. Ils en reviendront chacun avec un petit pot où une graine de haricot aura été plantée, et surtout l’intention de prendre soin de cette graine. Une belle métaphore de la psychologie bouddhiste. Je revois Thay amusé par notre précédente rencontre,
« Mais vous ne pouvez pas créer de la sagesse. Cette graine existe déjà dans le tréfonds de la conscience. Il suffit juste de l’arroser. C’est le secret des bons enseignants ». En marchant je passe devant le groupe des ados. Certains jouent au Basket, tandis que mon oreille curieuse détecte qu’une réflexion est menée tambour battant sur les relations amoureuses, l’attirance sexuelle et la pleine conscience. J’apprécie ce progressisme et revois Stéphane, un encadrant du groupe des adolescents me dire amusé
« Avec les ados, parfois on a l’impression que rien ne se passe, on joue, on parle, puis des prises de consciences éblouissantes se font. C’est l’art de la pratique de la non pratique ! ».
Je repense à un échange avec Casper,
« Tu sais je viens ici depuis 10 ans tous les étés. La première fois j’avais 5 ans. Maintenant je viens un mois. C’est une relaxation nécessaire pour toute l’année. Ici la plupart disent qu’ils créent des amitiés qui ne ressemblent à rien d’autre. Pour ma part j’ai des amis très profonds chez moi en Belgique, ils sont musulmans, et je partage avec eux l’écoute et la parole profonde que l’on m’a transmises au village. Ils sont d’ailleurs très intéressés par la pratique de la pleine conscience comme un art de vivre. La pratique n’implique pas d’appartenance religieuse. Frère Troy Day Din est Indonésien il a été envoyé par son maître soufi il y à quatre ans pour venir pratiquer la pleine conscience. J’aime parler avec lui de tous les rapprochements. Il y a aussi des frères juifs et chrétiens. En venant ici je ne choisi pas le bouddhisme, je suis un être touché par la spiritualité qui pratique la pleine conscience c’est simple.». Gong. Je décélère le pas, rien ne presse, pourquoi courir ?
17 heures. A l’ombre des bambous c’est la dernière fois que je retrouve ma « famille » pour un « partage ». Au village chacun contribue à donner une heure de son temps par jour pour les tâches nécessaires au fonctionnement des retraites. Certains coupent les légumes, d’autres s’occupent des toilettes. C’est l’occasion d’apprécier de faire des gestes du quotidien en pleine conscience. Ici j’ai appris à laver les assiettes comme je lavais mes bébés, et j’ai enfin pris du plaisir à cette tâche autrefois tant ennuyeuse et pourtant nécessaire!
Les retrouvailles en famille, c’est aussi l’occasion d’apprendre à ouvrir son cœur. Une fois par jour nous nous retrouvons pour partager nos ressentis grâce aux outils de la communication non violente. Chacun tour à tour peut « déposer » un ressenti, une expérience, un questionnement, tandis que tous écoutent silencieusement sans interrompre. Pour celui qui prend la suite le but n’est pas d’argumenter, de donner une opinion mais de parler de soi. Ces pratiques d’écoute profonde et de parole en pleine conscience sont d’une intensité que n’offre pas les interactions que je connaissais jusqu’alors…
C’est d’ailleurs celles que la communauté à mises en place aux Etats Unis pour les vétérans de la guerre du Vietnam ou encore dans ses programmes de résolution de conflits entrepris à différentes reprises en Palestine et en Israël. Ce soir nous parlerons beaucoup de la difficulté à ne pas se juger. Chaque partage possède une résonance particulière avec mes questionnements. C’est le dernier jour, on nous invite à pratiquer l’étreinte : tour à tour nous nous serrons dans les bras les uns les autres. De nouveaux ponts se créent. Je suis émue de voir que même le moine facilitateur de notre famille se joint à nous. Les frontières tombent encore un peu plus.
Gong.
Après un repas en silence, nous nous retrouvons au hall de méditation pour pratiquer la « cérémonie du renouveau ». Une pratique centrale pour résoudre les conflits au quotidien en quatre étapes : « l’arrosage des fleurs » qui consiste à exprimer sa gratitude pour des actes et nommer les qualités de l’autre personne, l’expression des regrets : parler de ce qu’on a pu faire qui a put blesser l’autre ; le partage de ce qui nous fait souffrir (en parlant de soi, sans accusations), et la proposition d’une solution qui prends en compte les besoins de chacun en donnant une nouvelle direction à la relation. Un couple, un adolescent, une femme et un moine présentent cette pratique. Tout à l’air si simple. Une maman raconte :
« Dans notre famille nous nous retrouvons une fois par mois ou plus souvent pour remettre les compteurs à zéro et arroser les bonnes graines. Le renouveau se fait toujours de manière formelle. Je m’adresse tour à tour à chacun des membres. Je lui dis tout ce que j’aime en lui. Puis j’exprime mes regrets quant à toutes les choses précises que j’ai peut dire, faire ou ne pas faire. Puis parfois je m’arrête là. Une fois que je me suis rappelle la beauté de l’autre, les murs tombent et des ponts se créent… Enfin, parfois la suite est aussi nécessaire.
J’exprime une souffrance en ayant conscience qu’elle est le fruit de mes perceptions erronées. Et je demande de l’aide pour accueillir et transformer cette souffrance ; cette étape n’est pas évidente. Réapprendre à communiquer, ça demande de se responsabiliser ! Et pour finir j’offre la direction que je souhaite donner à la relation ; je me demande ce que je n’ai pas fait pour l’autre en m’engageant avec des actes concrets. Le renouveau c’est une pratique de paix en action où il n’y a ni victime ni bourreau ; c’est tout sauf un règlement de compte policé. Ce qui est drôle c’est que les gens ne changent pas vraiment, c’est notre regard sur la situation qui change. Le renouveau amène de la compréhension. Vous savez je suis aussi professeur, et il m’est arrivé de faire la pratique du renouveau de manière informelle. D’aller à la rencontre d’un élève avec qui j’étais en difficulté. Rien qu’en reconnaissant ses qualités, et en exprimant mes regrets, en utilisant les deux premières étapes j’ai transformé la relation ». Le renouveau n’est pas l’apanage des familles, il se fait entre frères et sœurs du village régulièrement. Savoir qu’il existe des lieux où l’on apprend à ouvrir son coeur panse de vieilles blessures.
Gong. Le processus intérieur poursuit son cours… Je pars d’un pas tranquille.
Vers une nouvelle humanité pleinement consciente
Il est 22 heures. La nuit tombe, tout est calme. Je m’apprête dès demain à repartir en famille vers un autre quotidien. Notre quotidien. Ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait d’autres, je ressent une nette différence en chacun de nous. Mes enfants sont d’une bienveillance extrême, élevés ; bien élevés. D’ailleurs ne dit-on pas qu’il faut un village pour élever un enfant ? Mon fils a inventé un nouveau mantra
« Plus de cœur que de mal » ! Pour ma part je me plais à revoir de nombreuses dimensions de ma vie, comme autant de messages de mon passage sur cette planète. Je repense à une image mainte fois citée
« Nous sommes comme des jardiniers qui transformons le compost en délicieux aliments… Sans boue, pas de lotus. » Comment mieux me nourrir ? Pourquoi ne pas faire un potager? Quelles émotions cultiver ? Comment me rendre utile ? Bien aimer ? Ecouter ? Et être pleinement consciente tout simplement ?
Je repense à d’autres confidences de Casper le jeune adolescent féru de cinéma.
« Tu savais qu’en faisant Star Wars, Lucas souhaitait dénoncer la guerre du Vietnam ? Il a rencontré Thich Nath Hanh au Japon et c’est lui qui lui a inspiré le personnage de Maître Yoda. L’enseignement de Thay sur les formations mentales a aussi inspiré Alejandro Inarittu pour le film Birdman qui a reçu treize prix dont un Oscar. C’est ce que j’aime ici, cet esprit engagé est inspirant. Il n’y à pas de frontière à l’engagement. Une retraite est prévue pour les réalisateurs de films; j’aimerai venir. Et puis il y a aussi toutes celles qui sont destinées aux scientifiques, aux couples, aux thérapeutes, aux éducateurs… Ici nous sommes les bienvenus les moines nous disent « vous êtes chez vous », ils sont heureux de nous retrouver d’une année sur l’autre ; souvent ils nous disent que notre joie et notre innocence les nourrit. Ca me plait de savoir que cette cohabitation aide les acteurs d’un monde nouveau. »
Sur le chemin du retour, je décide de m’arrêter à la source de Saint-Sulpice d’Eymet. C’est un ancien lavoir, l’eau est fraiche et délicieuse. Débarque une tribu iconoclaste, enfants et femmes portent une dizaine de bidons en plastique. Les mères commencent à remplir d’eau, une conversation s’entame. Elles sont voisines du village et on l ‘habitude de s’y rendre pour les journées de pleine conscience qui ont lieu les jeudi et dimanche en dehors de l’été.
« C’est leur seconde maison » me rapporte Isabelle rêveuse. Au détour d’une anecdote je découvre qu’elles n’ont plus l’eau courante par choix.
« Nous vivons à Duras c’est l’une des communes où l’eau est la plus chère en France. Nous avons eu un gros différent avec notre distributeur. Un jour il y a eu une facture exorbitante et nous nous sommes rendus compte qu’alors que nous payions des impôts sur l’entretien des installations ; une pratique totalement illégale amène tous les distributeurs d’eau à facturer ce service déjà payé par nos impôts. Au passage je ne doute pas qu’il y ait des pots de vin. C’est une mafia. Nous avons d’ailleurs gagné notre procès en première instance et décidé d’arrêter les poursuites. Nous étions écoeurés. Juridiquement l’eau devrait être considérée au niveau mondial comme un besoin et non comme un droit ; ça mettrait fin à tout ce marché noir. Nous avons longuement médité puis décidé que nous avions autre chose à vivre avec l’eau. Je n’ai pas l’énergie d’entrer dans un combat contre ces multinationales ; mais nous allons à la source tous les jours et dès que nous voyageons c’est pour retrouver des sources… ».
Chemin faisant je me plais à rêver d’un autre monde.
De retour du village des pruniers ce retour à la source prend toute son ampleur. Chemin faisant je me plais à rêver d’un autre monde. Dans son dernier livre Love in Action le sage ne dit il pas que
« De nos jours, il y a une rupture de l’harmonie et de l’équilibre en trois domaines : l’individu, la société et l’environnement. L’individu est malade, la société est malade. Notre tâche consiste à rétablir l’harmonie et l’équilibre. Mais comment ? En quel domaine l’action de guérison doit elle être entreprise. A vrai dire il faut agir dans les trois domaines, l’un ne va pas sans l’autre ». Nul doute, il existe un lieu où la pleine conscience cultivée comme un art de vivre est un nouveau soleil. Et un seul de ses rayons peut contribuer par une révolution intérieure - aussi radicale qu’elle soit - à une éthique globale.
Le village des Pruniers et son fondateur
Thich Nath Hanh est un maître Zen vietnamien figurant parmi les personnalités les plus célèbres et les plus engagées du bouddhisme dans le monde. Toute sa vie il s’est tourné vers le soulagement de la souffrance et l’enseignement. Pendant la guerre du Vietnam il crée une école de la jeunesse pour le Service Social destinée à reconstruire les villages détruits, et à fondé l’université Bouddhique de Van Hanh à Saigon. Contraint à l’exil en 1966, il part enseigner aux Etats Unis à l’université de Colombia, puis est accueilli en France.
Pendant la guerre du Vietnam il crée une école de la jeunesse pour le Service Social destinée à reconstruire les villages détruits, et à fondé l’université Bouddhique de Van Hanh à Saigon. Contraint à l’exil en 1966, il part enseigner aux Etats Unis à l’université de Colombia, puis est accueilli en France. Il enseignera à la Sorbonne avant d’établir sa communauté en Dordogne en 1982. Désormais cent cinquante moines et moniales y pratiquent et transmettent la pleine conscience au fil de retraites à thèmes ayant lieu tout au long de l’année. Environ 8000 personnes de tous les horizons religieux s’y rendent chaque année pour apprendre et pratiquer la pleine conscience.
Nous avions rencontré Thich Nath Hahn en mai 2014. Interview à la suite de laquelle il eut une hémorragie cérébrale sévère dont il se remet jour après jour grâce à la pratique constante de la pleine conscience et l’appui de techniques médicales précieuses. Il y à deux mois l’aide matérielle de nombreux pratiquants a permis de le faire voyager aux USA afin de parfaire sa réhabilitation. Jour après jour des petits miracles sont à l’œuvre. Récemment, comme dans une méditation guidée il a pu verbaliser les mots qui lui ont toujours été chers :
« J’inspire, J’expire ; Heureux ; Merci »