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Le
secret
des
derniers
instants,
selon
Bronnie
Ware

Et si le bonheur dépendait simplement de notre capacité à honorer l’instant présent ? Dans ce témoignage bouleversant tiré du livre de Bronnie Ware, Les 5 regrets des personnes en fin de vie, Cath, une femme érudite et lucide, découvre en approchant de la fin de vie, l’importance du lâcher-prise, de la gratitude et de la beauté des choses simples. Une leçon de vie touchante, qui nous rappelle que chaque souffle ou chaque chant d’oiseau peut devenir un trésor, si l’on prend le temps de l’accueillir.
Le secret des derniers instants, selon Bronnie Ware
Fin de vie
De tous mes clients, Cath était de loin la plus grande philosophe. Elle avait une opinion sur tout. Cependant, ce n'était pas des opinions toutes faites, mais des positions éclairées et vérifiées. Avide d'érudition et de philosophie, elle avait absorbé une énorme quantité de connaissances jusqu'à sa cinquante-et-unième année. Cath avait vécu dans la maison ou elle était née. « Ma mère est née et est morte ici. Je ferai la même chose », affirmait-elle avec détermination. .

Elle adorait aussi prendre des bains et les meilleures conversations que nous eûmes au cours de nos deux premiers mois ensemble se déroulaient généralement quand elle était dans sa baignoire, avec moi assise auprès d'elle, sur un tabouret. Appréciant moi-même les bons bains, j'étais déterminée à aider Cath à profiter de sa baignoire aussi longtemps qu'elle le pourrait. Cependant, au bout d'un certain temps, elle s'affaiblit et n'eut plus la force d'y entrer ou d'en sortir, même avec mon aide. Le risque de chute était trop grand. Quand elle sut que le bain de ce jour-là allait être le dernier, elle se mit à pleurer et ses larmes se mêlèrent à l'eau qui l'entourait. «Tout m'abandonne. Et maintenant le bain, dit-elle en gémissant. Bientôt, je serai incapable de marcher. Puis incapable de rester debout, puis je partirai. Tout m'abandonne. Ma vie tire à sa fin. » Ses pleurs se transformèrent en gros sanglots sans retenue. Malgré la tristesse que je ressentais pour elle et mes propres larmes prêtes à couler, j'étais contente de voir quelqu'un capable de libérer ses émotions avec une telle sincérité.

Du plus profond de son âme, Cath versa une rivière de larmes. Quand elle avait l'impression de ne plus rien avoir à sortir, elle s'asseyait tranquillement dans la baignoire, épuisée d'avoir tant sangloté et se mettait à fixer l'eau ou à dessiner des formes à la surface. Puis elle recommençait, chaque sanglot venant d'un endroit encore plus profond et plus primal que le précédent. Elle pleurait pour chaque souvenir triste qu'elle avait enfoui en elle, pour tous les gens qu'elle avait perdus, pour tous ceux qu'elle perdrait en partant. Mais Cath pleurait surtout pour elle-même.

Chaque fois que je faisais mine de partir pour lui laisser un peu d'intimité, elle secouait la tête et me demandait de rester. Je me rasseyais alors sur le tabouret, lui envoyais de l'amour, en restant simplement présente pendant qu'elle sanglotait. C'était déchirant, mais salutaire en même temps de savoir qu'elle était en train de lâcher prise en descendant si profondément en elle. Au bout d'une autre demi-heure, le bain s'étant refroidi, je lui proposai de rajouter de l'eau chaude. Cath secoua la tête : « Non, tout va bien, il est temps de sortir. » Sur ce, elle tira le bouchon de la baignoire et me regarda pour que je l'aide à sortir. Quand je la conduisis au soleil dans son fauteuil roulant peu de temps après, enveloppée dans sa robe bleu pale et chaussée de pantoufles rouge vif, elle semblait paisible.

« Écoutez cet oiseau », dit-elle en souriant. Nous nous assîmes tranquillement pour écouter son chant avec ravissement et nous sourîmes de plus belle en entendant son partenaire lui répondre d'un autre arbre, plus loin dans la rue. « Chaque jour est un cadeau maintenant, vous savez. Ça l'a toujours été, mais ce n'est que maintenant, alors que j'ai pu suffisamment ralentir, que je prends vraiment conscience de l'immense beauté que nous offre chaque journée. Il nous arrive trop souvent de considérer les choses comme allant de soi. Écoutez. » Des chants différents nous parvenaient de quelques arbres proches. Cath m'expliqua comment elle était parvenue à comprendre l'importance de la force de gratitude. « Il est trop facile d'exiger toujours plus de la vie, disait-elle, et c'est normal jusqu'à un certain point, étant donné que développer ce que nous sommes fait partie du rêve et de la croissance. Mais comme nous n'aurons jamais tout ce que nous voulons et que nous progresserons toujours, apprécier ce que nous avons déjà sur le chemin est la chose la plus importante. La vie passe si vite, affirmait-elle, que vous viviez jusqu' l'âge de vingt, quarante ou quatre-vingts ans. »

Elle avait raison. Chaque jour en soi est un cadeau et une bénédiction. C'est de toute façon tout ce que nous avons : le moment que nous sommes en train de vivre. Durant les vingt dernières années, j'avais tenu un « journal de gratitude » dans lequel j'inscrivais, à la fin de la journée, certaines choses pour lesquelles j'étais reconnaissante. Il y en avait souvent beaucoup. Cependant, dans les périodes les plus sombres, j'avais parfois du mal à en trouver. L'épuisement émotionnel me déprimait tant que j'étais obligée de faire des efforts pour trouver quelques bienfaits. Cependant, j'avais toujours persisté. Même dans ces moments-là, j'arrivais à trouver des choses pour lesquelles remercier, comme avoir de l'eau propre, quelque part où dormir, de la nourriture, un sourire d'un étranger ou un chant d'oiseau.

Mais, comme je l'expliquais à Cath, même si j'appréciais ces choses à la fin de la journée au moment où je les inscrivais dans mon cahier, il m'avait fallu de l'entraînement pour prendre aussi l'habitude de les apprécier au moment où elles survenaient, particulièrement en ce qui concerne les choses complexes. Au bas mot, réciter une prière silencieuse de remerciement au moment précis où un cadeau vous est donné était une nouvelle habitude à créer. La nature avait toujours reçu des remerciements dans l'instant, définitivement. Je lui donnais un exemple en lui disant que si une douce brise venait caresser mon visage, j'étais reconnaissante d'être en assez bonne santé pour être dehors et en jouir. Bien qu'écrire ce journal m'ait fait accéder à un niveau supérieur de gratitude, le fait de vivre davantage dans le moment présent m'avait permis d'exprimer ma reconnaissance dans chacune de mes situations quotidiennes. À chaque heure qui passe, il y a des choses pour lesquelles remercier, avais-je décidé et c'est ainsi que j'en avais créé l'habitude. « Alors, vous recevez beaucoup de bénédictions, si vous êtes reconnaissante sur le chemin ? » demanda Cath. « Oui, Cath, quand je leur laisse la voie libre, quand je me souviens de ma propre valeur et les laisse affluer. J'ai vraiment reçu de grandes bénédictions dans ma vie. Parfois, il me suffit simplement de sortir de mes ornières. Il en est ainsi pour tout le monde, les bienfaits sont plus nombreux quand je suis dans un état de gratitude et d'abondance. »

Cath rit de ma théorie et admit : « Oui, ils ne demandent qu'à venir à nous. Mais si nous manquons de reconnaissance et que nous ne nous autorisons pas à les recevoir, nous les bloquons, je pense. La plupart des gens ne réalisent pas la chance qu'ils ont. Moi-même, je n'en ai pas eu conscience pendant longtemps. Mais heureusement, j'ai commencé à comprendre avant que cette maladie ne me frappe et j'ai donc pu vivre en m'appuyant sur un état intérieur plus profond. » (…)

Les 5 regrets des personnes en fin de vie, Éditions Guy Trédaniel, 2014.
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