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Et si l’animisme, loin d’être une plongée passéiste, ouvrait la voie d’une foi nouvelle ? À l’heure où les repères s’effondrent, il propose une manière authentique et originelle de nous relier au monde, et peut-être de nous retrouver.
Retour vers le futur pour vivre reliés
Art de vivre
Depuis les Lumières, la tendance de l’Occident a été de tourner en dérision l’animisme, le reléguant au rang de superstition naïve ou de survivance folklorique. Il a peu à peu construit une opposition finalement peu féconde : la raison contre les croyances, la science contre les esprits, le progrès contre « ce qui ne se prouve pas ». Mais dans cet élan plein d’orgueil, il s’est fermé des portes à un grand savoir. Et dans cette distanciation, l’Occident a été l’initiateur d’une destruction, bientôt suivie par le plus grand nombre, des forêts, des sols, des espèces, et des peuples traditionnels. Aujourd’hui, alors que la planète est sans doute en danger, l’Occident aurait tout à gagner à reconnaître qu’il n’est ni le centre ni le sommet, mais une voix parmi d’autres dans le grand concert du vivant. Car le courant animiste est à l’origine majoritaire, comme le rappelle le philosophe Mohamed Amer Meziane dans son essai(1) :
« Ce qu’une perspective anthropologique montre, c’est que la plupart des humains ne séparent pas les deux registres » que sont nature et sacré. Peut-être l’animisme, foi ancestrale et radicalement actuelle, portée par un souffle de renouveau, pourrait-il créer une ouverture essentielle. Il y a en effet, dans ce mot « foi », une promesse de lien. Tandis que les grandes religions s’effacent et que le matérialisme laisse un goût d’absurde, nombreux sont ceux qui cherchent des solutions spirituelles. Et si l’animisme n’était pas un vestige du passé, mais l’avenir de la spiritualité ? Car, loin d’un simple système de croyances, il propose une éthique, une vision du monde, et des solutions concrètes pour des civilisations qui, en oubliant les lois du vivant, risquent de se condamner elles-mêmes. Mais les premiers pas demandent d’apprendre à penser différemment. « Ce discours est parfois stimulant, souvent nécessaire et il traduit l’inévitable conscience d’une urgence climatique qui incite à un décentrement légitime vis-à-vis de l’Europe industrielle. Il semble néanmoins vouloir nous glisser à l’oreille que nous devrions converser à nouveau avec les “non-humains” pour résoudre enfin la crise écologique, comme si l’incapacité d’attribuer une âme aux plantes et aux animaux nous avait conduits à la dévastation du monde dans lequel nous vivons », expose Mohamed Amer Meziane.


La fin d’une anthropologie occidentalo-centrée


Appréhender l’animisme, tel qu’il réémerge aujourd’hui, invite à faire un examen de conscience sur les notions mêmes d’un lexique et d’une anthropologie ethnocentrés. Ainsi, Mohamed Amer Meziane propose de repenser l’animisme dans une critique plus large de l’anthropologie classique, en ouvrant un autre rapport au vivant où l’humain n’est plus le seul sujet « conscient » du monde. « La manière dont nous considérons la religion ou le sacré comme un universel anthropologique est le fruit d’une longue histoire coloniale à laquelle l’ethnographie missionnaire a largement participé. » Revisiter ces traditions permet d’élargir notre regard et de reconnaître la richesse de mondes longtemps tenus en marge, où les êtres sont en relation constante, où la subjectivité dépasse l’humain, et où la nature cesse d’être une évidence neutre ou universelle. L’animisme devient alors une force critique, capable de mettre au jour les dimensions coloniales, raciales et théologiques du naturalisme occidental, qui se présentait jusqu’alors comme universel. Meziane en fait ainsi une puissance de subversion, et appelle à prendre au sérieux les réalités spirituelles et métaphysiques propres à ces cultures : « Une perspective réellement plurielle suppose de penser dans la zone de ce trouble, de penser le réel par-delà le visible. Si l’on veut réellement provincialiser l’Europe, il faut assumer la part métaphysique des mondes humains. Décoloniser le savoir exige de penser “au bord des mondes”. »

Le philosophe développe ainsi une critique nuancée de la valorisation actuelle de l’animisme dans les sciences sociales et les discours écologiques. Il met en garde contre la tentation d’en faire un remède universel aux crises modernes, au risque de reproduire des schémas primitivistes. Mohamed Amer Meziane appelle donc à une « anthropologie métaphysique », capable de reconnaître d’autres mondes et d’autres rationalités sans les réduire à des objets de fascination ni chercher à les domestiquer.

L’insetting culturel
Face à l’incompréhension qu’un mot comme « animisme » peut susciter dans les milieux économiques ou institutionnels, Céline Dartanian a trouvé une passerelle conceptuelle : « En Occident, je ne parle plus d’animisme. Je parle d’insetting culturel. » Cette approche consiste à réintégrer dans les pratiques économiques les savoirs traditionnels, les expressions culturelles et les ressources génétiques des communautés autochtones, de manière structurée et respectueuse. « Le triptyque TCE, TK, GR a été posé par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, précise-t-elle. Il permet de reconnaître que lorsqu’un peuple utilise une plante, il le fait avec un mythe, une cosmogonie, une cérémonie (Traditional Cultural Expressions) , une connaissance médicinale (Traditional Knowledge) et une ressource vivante (Genetic Ressources). » Mais dans les pratiques commerciales actuelles, ces dimensions sont souvent soumises à la biopiraterie, comme dans le cas de la marque Chanel, poursuivie par le Brésil pour appropriation d’ADN végétal. « Les entreprises prennent l’odeur ou la molécule, et écartent les savoirs et les cultures qui y sont associés. » Avec l’insetting culturel, il ne s’agit plus simplement d’exploiter une matière première, mais de considérer tout un écosystème vivant et symbolique. C’est, selon la chamane, la traduction pragmatique d’une vision animiste dans un monde dominé par les logiques de production et de marché.


Réhabiliter les ancêtres


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auteur

  • Mélanie Chereau

    Journaliste et rédactrice en chef adjointe d'Inexploré magazine
    Melanie Chereau est journaliste et auteur de plusieurs ouvrages. Ses thèmes de prédilection sont la spiritualité, la naturopathie et les médecines douces. Elle pratique le bouddhisme depuis plus de 17 ans, est formée en Reiki et en aromathérapie. ...
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Inexploré n°67

Tous animistes ?

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Et si la conscience n’était pas l’apanage de l’humanité ? La science contemporaine commence à explorer ce que les peuples autochtones savent depuis toujours : le monde animal et végétal pense, perçoit, se souvient… et communique. Conscience végétale, réhabilitation des ancêtres et des esprits, respect de la Terre et de toutes ses formes de vie — y compris les plus inattendues. Cet été, Inexploré consacre son dossier central (n°67) à l’animisme, cette sagesse ancestrale encore vivante aux quatre coins du monde. Elle porte en elle les graines d’une évolution intérieure et collective, capable de réenchanter notre quotidien et d’unir écologie et spiritualité. Belle découverte !

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    Au bord des mondes

    par Mohamad Amer Meziane

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