• Inexploré TV
  • Inexploré

Prendre
soin
de
ceux
qui
soignent

Surcharge de travail, épuisement, perte de sens, manque de temps, réduction des effectifs… si la dure réalité des professionnels de santé n’est pas récente, la crise sanitaire l’a amplifiée et révélée au grand public. Itinéraires de quelques soignants pour qui la notion de prendre soin de l’autre s’établit dans le prendre soin de soi…
Prendre soin de ceux qui soignent
Santé corps-esprit
Un soignant qui va bien, c’est un professionnel de santé qui soigne bien. Son état de santé aura un impact sur la qualité des soins qu’il prodigue, c’est évident. Mais dans le climat tendu d’un milieu sous pression, toutes les conditions ne sont pas réunies pour « aller bien », d’autant que le soignant ni sauveur ni superhéros est, comme tout être humain, vulnérable et traversé par les défis de la vie…

Ce courage de la vulnérabilité résonnait fort lors du Sommet des médecines centrées sur l’humain qui s’est déroulé à Mérignac en novembre dernier. Des médecins de divers horizons s’y sont retrouvés pour partager leurs expériences personnelles et dessiner le chemin d’un mieux-être. Leurs témoignages convergeaient vers la nécessité d’une médecine plus humaine et bienveillante, tant pour eux-mêmes et que pour les soignés. Le médecin généraliste homéopathe Jean-Patrick Chauvin, auteur du livre Quand la maladie nous enseigne (éd. Josette Lyon, 2012) a ouvert ce rendez-vous avec un rêve qui lui est cher : « Il faut repenser la façon dont on fait des hommes-médecines, oser rêver un autre monde et se battre intérieurement pour l’accomplir. »


description de l’image

Un article réservé au réseau d'Inexploré Pro

Prendre soin de sa posture, l’ajuster


Dans un souci d’améliorer la prise en charge du patient (temps, présence, écoute), l’anesthésiste-réanimateur Pierre Toussaint a suivi l’initiation proposée par l’École de la Posture Juste du médecin-psychothérapeute Thierry Janssen. Son souhait était d’avoir des outils pour répondre à cette question : « Comment valoriser les 10/15 minutes dont on dispose avec le patient avant de l’endormir afin qu’il soit apaisé et qu’il puisse partir dans de bonnes conditions émotionnelles ? » Car c’est le premier pas vers la guérison, il en est intimement convaincu… « L’état de stress ou l’état de confiance du patient a un impact sur le postopératoire, la douleur, le réveil de l’anesthésie, la convalescence… », explique le médecin qui a rejoint une clinique en province de Liège (Belgique) après avoir travaillé au CHU de Liège et au Centre de brûlés de l’hôpital militaire de Bruxelles.

« À l’École de Posture Juste, on apprend à ressentir dans quel état est le patient avant l’opération, à quelle fréquence il vibre et à trouver sur quelle corde il se situe afin de jouer de cette corde et pouvoir l’accompagner au mieux. » Pour cela, Pierre Toussaint s’emploie à la posture juste dans son travail, comme rester dans le moment présent, ne pas être à l’autre bout de la salle quand le patient arrive, l’accueillir, parler posément et doucement, suggérer aux collègues d’éviter de faire trop de bruits avec les instruments… Il a même installé un matelas chauffant pour le patient, pour plus de confort. En salle d’opération, l’ambiance a changé… « Au bloc opératoire, la présence est primordiale, confie-t-il, tout comme habiter ce que l’on fait, le faire en conscience. Les patients le sentent, le savent. Quelque chose se met en place qui n’est pas palpable, mais qui les rend plus paisibles. » Par ailleurs, cette école lui a appris à mieux se connaître. « C’est une véritable initiation que l’on acquiert par l’expérience personnelle. On apprend à reconnaître chez soi ses blessures, comment l’autre fonctionne et comment garder une relation fluide et harmonieuse avec lui. » Un ajustement qui peut par ailleurs redonner plus de sens à une vie professionnelle…


Quand la souffrance révèle la force de vie


Pour Sophie Mainguy-Besnier, initialement médecin urgentiste, c’est l’épreuve de sa propre souffrance qui la conduit vers une ouverture, un éveil de conscience qu’elle ne soupçonnait pas. Alors qu’elle pratique son métier « avec joie et générosité » à l’hôpital, son propre état de santé l’obligeant à rester aliter pendant plusieurs années lui révèle que la vérité, « sa vérité », est certainement ailleurs. « Toute la durée de mes études médicales et de mon exercice hospitalier se déroula dans un terrain qui négligeait les besoins du corps et valorisait sa violence acceptée », écrit-elle dans son ouvrage De l’urgence à la conscience (éd. Mama, 2023). Elle rencontre alors la puissance thérapeutique de la méditation qui, pour ainsi dire, la sauve. « La méditation m’a permis de prendre conscience de ce “je suis” sans histoire, sans émotion, sans sensorialité…, confie-t-elle. Ce “je suis” qui, en termes de soin, est extraordinaire, car il est permanent, illimité, sans peur, omniprésent et profondément unitaire. Il est harmonieux, sécurisant, restaurant. C’est un endroit de santé, un soin à part entière. » À nouveau sur pieds, celle qui développe à présent des programmes de méditation aime à dire haut et fort que « l’on peut être le plus grand expert du monde de la biochimie moléculaire, on ne saura pas soigner tant que l’on n’aura pas retourné notre attention vers la dimension intérieure de soi. »


Réinventer son quotidien de soignant, cultiver sa sensibilité


S’ancrer au pied d’un arbre tous les matins, créer une bulle de protection, marcher dans les bois, ne pas écouter les médias, ne laisser venir à soi que les informations pour lesquelles nous avons à œuvrer, cuisiner, lire, cultiver la gratitude, respirer… Ce sont les rituels que l’anesthésiste-réanimateur Caroline Legrain a mis en place dans sa vie suite à un épuisement qui, sans cela, l’aurait menée à quitter la blouse et à faire un burn-out. « Je sentais que je ne devais pas renoncer à cette vocation, car c’était ma place », relate la médecin qui intervient aussi en soins intensifs. Elle a pris des congés et s’est demandé comment remettre du sens et de la joie dans son quotidien de soignante, cultiver sa sensibilité dans ce milieu qui la nie, prendre soin de sa vocation. « Les études de médecine sont très dures, hostiles et compétitives, développe-t-elle. On doit mettre sous le tapis nos émotions, nos ressentis, oublier notre sensibilité pour se protéger de la souffrance. »

À présent, pour être elle-même, Caroline s’autorise à pleurer parfois avec les patients. « Je vois que ça leur fait du bien d’avoir un humain touché plutôt qu’un être omniscient qui ne ressent plus rien. Pour pouvoir donner des soins humains, nous devons nous autoriser à être humain. » Celle qui a cofondé le Sommet des Médecines centrées sur l’humain a aussi créé l’association H’être U Mains qui propose des ateliers, balades, cercles aux soignants afin qu’ils aient un espace de parole et de soutien. « L’ambition est de trouver, d’apporter des outils pour mieux vivre notre travail, aller voir ses blessures, déployer des valeurs d’amour, de compassion, d’écoute. Ainsi, nous pourrons retrouver notre puissance et du sens », assure-t-elle.

Prendre soin de ceux qui soignent
Mia sano signifie « ma santé » en langue esperanto. C’est le nom d’une autre association belge soucieuse de l’état des praticiens de santé. En 2020, la médecin et coach en santé intégrative Élodie Pironet crée un réseau qui rassemble aujourd’hui environ 1000 soignants en Belgique et qui soutient la transition inéluctable du système de santé vers une médecine intégrative et vers un « prendre soin » des soignants, étudiants y compris. « Pendant les études, on ne nous apprend pas à prendre soin de nous, à prendre conscience de notre vulnérabilité, décrit Élodie Pironet. Nous sommes supposés être des sachants avec une forme de toute-puissance qui dépasse même la religion. » Essaimant chez ses voisins, en France, en Suisse, au Luxembourg et peut-être bientôt en Italie, Mia Sano asbl aide les professionnels de santé à devenir acteurs de leur santé, et à être inspirants dans ce domaine. De diverses manières (coaching individuel et collectif, soutien psychologique, atelier pratique, groupe de parole…), elle les accompagne et les met en réseau, les aide à retrouver un équilibre et à se connecter à eux, à l’autre et au vivant, à créer une pratique répondant à leurs besoins et à leurs aspirations profondes. Elle donne également des conférences dans les écoles de médecine pour rappeler aux étudiants qu’ils sont avant tout humains ! Un beau challenge et des enjeux capitaux !

Aux côtés d’Élodie, Pierre, Sophie, Caroline, d’autres soignants ont pris la parole lors de ces rencontres. Des femmes et des hommes dont les parcours jalonnés d’épreuves et de doutes, d’initiations et de prises de conscience les ont conduits sur les sentiers du « prendre soin de soi », en explorant leur vie intérieure, en s’ouvrant à leur sensibilité et en se reliant avec bienveillance à leur « Être profond pour mieux accompagner l’Autre ».


À
propos

auteur

  • Angélique Garcia

    Journaliste
    Angélique Garcia est journaliste depuis une dizaine d'années. Elle a été rédactrice en chef d’un média indépendant en région Occitanie consacré essentiellement aux thèmes de la culture, de l’art, du patrimoine et de l’écologie. Sa collaboration avec l’INREES / Inexploré lui permet de continuer à approfondir des sujets qui l’inspirent depuis longtemps (la conscience, la spiritualité…). En parallèle, elle se consacre à l’écriture. Elle pratique la danse ainsi que le yoga auquel elle se forme en v ...
flower

Les
livres
à
lire

  • De l’urgence à la conscience

    De l’urgence à la conscience

    par Dr Sophie Mainguy-Besnier

Voir tous les livres

Les
articles
similaires

  • Un coupeur de feu à l’hôpital
    Santé corps-esprit

    Alors que les thérapies complémentaires et les parcours de soin intégratifs entrent peu à peu dans les hôpitaux, qu’en est-il des barreurs de feu ? Réclamé par les patients, leur magnétisme mystérieux questionne encore le scepticisme scientifique. Reportage auprès de l’un d’entre ...

    19 juillet 2023

    Un coupeur de feu à l’hôpital

    Lire l'article
  • Ma mère bipolaire se soigne avec des champignons hallucinogènes
    Santé corps-esprit

    Voici une aventure hors du commun. La mère du photographe Mathias de Lattre est bipolaire. Après 20 ans de calvaire et de médicalisation, de plus en plus difficile à vivre, il a décidé de lui faire expérimenter les champignons hallucinogènes…

    17 février 2022

    Ma mère bipolaire se soigne avec des champignons hallucinogènes

    Lire l'article
  • TCA : quand la nourriture est douleur
    Santé corps-esprit

    Très spectaculaires lorsqu’ils sont révélés, les troubles du comportement alimentaire sont complexes à cerner et encore plus à traiter. Dans une société où la « malbouffe » à foison côtoie une orthorexie émergente, que disent de nous ces personnes qui ...

    22 février 2023

    TCA : quand la nourriture est douleur

    Lire l'article
  • Vers un chamanisme occidental ?
    Savoirs ancestraux

    Certains « chamanes » occidentaux se sont formés à l’étranger auprès de praticiens traditionnels. Pour quels besoins et quels sont les risques ? Existe-t-il un chamanisme universel ? Que dire d’un tel chemin en devenir ?

    23 juin 2021

    Vers un chamanisme occidental ?

    Lire l'article
  • Vers des thérapies complémentaires
    Santé corps-esprit

    Les thérapies complémentaires proposent une approche tournée vers l’humain, la relation et les conditions de vie. Comment peuvent-elles s’intégrer dans un parcours thérapeutique et dans notre paradigme scientifique occidental ?

    23 juin 2022

    Vers des thérapies complémentaires

    Lire l'article
  • Les plantes chantent, car l’Univers chante
    Nature

    Elles nous sont essentielles, elles communiquent entre elles et ont des pouvoirs extraordinaires : les plantes se mettent à notre diapason et chantent la mélodie singulière de notre guérison. Rencontre avec des spécialistes qui écoutent leur musique.

    23 mars 2023

    Les plantes chantent, car l’Univers chante

    Lire l'article
  • L’eau, une alliance sacrée
    Santé corps-esprit

    Depuis des millénaires, l’eau est essentielle à la vie. Récemment, de nombreuses recherches ont mis en évidence ses fabuleux pouvoirs énergétiques. Ainsi, l’eau apporte le soin et la guérison.

    13 juillet 2023

    L’eau, une alliance sacrée

    Lire l'article
  • Kinésiologie : écouter son corps, révéler l’harmonie
    Santé corps-esprit

    Et si le corps en savait plus que nous sur l’origine de nos maux ? C’est le postulat de la kinésiologie, qui fonde sa technique sur un savant dialogue avec les muscles. Un biofeedback qui décèle et lève les blocages empêchant ...

    31 janvier 2024

    Kinésiologie : écouter son corps, révéler l’harmonie

    Lire l'article
Voir tous les articles

Écoutez
nos podcasts

Écoutez les dossiers audio d’Inexploré mag. et prolongez nos enquêtes avec des entretiens audio.

Écoutez
background image background image
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur notre site. [En savoir plus] [Accepter] [Refuser]