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Le microbiote,
un ami dans votre ventre
Tout le monde se fait à peu près la même image des causes de l'obésité : il s'agit soit d'une question d'hérédité - pas de chance ! -, soit d'un dérèglement
Hormonal, soit d'un manque de volonté qui pousse à manger trop et mal, soit un peu
de tout ça ... Mais dans ce cas, pourquoi y a-t-il de plus en plus d'obèses dans les pays développés, et même dans ceux en voie de développement ?
L'élément originel qui actionne une ou plusieurs des causes de l'obésité, c'est la malbouffe. Tout comme elle prépare le lit des nombreuses pathologies que nous avons
déjà évoqués. Du temps de nos grands-parents et avant eux, il y avait moins d'obèses.
d’allergiques, de diabétiques, d'Alzheimer, de cancéreux... parce que la nourriture était
plus saine et que les gens mangeaient mieux.
Car c’est, pour une grande part, dans l'interaction entre les aliments et votre
organisme que résident votre bien-être et votre bonne santé.
Il est donc temps de s'intéresser à votre métabolisme, c'est-à-dire à toutes les réactions internes qui vous permettent de rester en vie, où l'alimentation joue un grand rôle.
Et pour commencer, je voudrais vous présenter un nouvel ami : votre microbiote.
Êtes-vous vraiment vous-même ?
L’existence du microbiote n’est pas une nouveauté mais il n’y a pas si longtemps qu’on a compris l’importance de son action dans l’organisme. D’ailleurs, connaissiez-vous son existence ? Saviez-vous qu’il a élu domicile dans votre corps où il occupe la place principale ?
Vous pensiez sans doute que la myriade de cellules dont vous êtes constitué était la marque de votre identité ? Pas du tout.
Les cellules de tous vos organes et tissus réunis, qui abritent vos gènes, ne représentent en fait que 10% de la totalité des cellules de votre individu. Le reste de la matière cellulaire qui vous compose est un organisme à part entière, une communauté écologique distincte de vous, qui vous a envahi à la naissance et qui, depuis, vit en symbiose avec vous, une symbiose intelligente sans laquelle vous seriez incapable de fonctionner.
Donc, 90% de ce que vous croyiez être vous-même sont autre chose : votre microbiote.
De quoi est-il fait ? De mille milliards de micro-organismes non humains, tels que bactéries et « microbes » (des levures, des moisissures, des virus, etc.), dont la majorité vit confortablement dans votre intestin et les autres dans votre bouche, vos voies nasales et vos poumons, sur votre peau et dans votre nombril, mais aussi dans votre cerveau, ou encore, si vous êtes une femme, dans votre canal vaginal.
Mais la présence de cet allié puissant et invisible à l’intérieur de vous ne doit pas vous inciter à vous prendre pour un surhomme : tous les humains et les animaux possèdent la leur ! En revanche, le microbiote n’a jamais une composition identique d’une personne à une autre. Même celui des vrais jumeaux est différent. Il participe donc fortement à votre identité.
Votre microbiote est une communauté vivante complexe, qui s’entretient et prospère tout en travaillant à l’équilibre de votre métabolisme. Un échange de bons procédés, en quelque sorte. Enfin, quand tout se passe bien…
Le contrat de travail du microbiote
Quelle est la mission de votre nouvel ami non humain ? D’abord, il digère la nourriture, c’est-à-dire qu’il prépare la bonne assimilation des nutriments qui vont passer votre barrière intestinale. Ensuite et surtout, il « booste » votre métabolisme. Il contribue également à l’efficacité de votre système immunitaire. Il agit sur vos hormones et même sur vos gènes. Il a une grande influence sur vos neurotransmetteurs, les messagers chimiques du cerveau qui régulent votre niveau d’énergie, votre humeur, et vos fonctions mentales. Il contribue à réguler votre appétit. Il maintient votre poids de forme. Il participe à déterminer le mode d’expression de vos gènes. Il peut même fabriquer des antibiotiques naturels !
Bref, le microbiote n’est pas cet amalgame de bactéries et de microbes dont on pensait encore il y a une quinzaine d’années qu’ils étaient virulents et parfois mortels. C’est un organe à part entière sans lequel vous ne pouvez pas survivre… et qui, lui non plus, ne peut pas vivre sans vous. Lorsque vous le nourrissez et de le maintenez en équilibre, il se charge de faire tourner votre machinerie. Mais vous vous rendez bien compte que ces rouages délicats peuvent se gripper.
Lorsque vous consommez les aliments qui conviennent à votre microbiote et lui permettent de faire son travail, votre système immunitaire set efficace et votre métabolisme fonctionne à son maximum. Vous entretenez votre poids de forme sans trop d’efforts. Vos sensations de faim et de rassasiement sont bien réglées. Vous n’emmagasinez plus de graisse abdominale. Vous dormez mieux. Votre teint s’éclaircit. Vous n’êtes plus anxieux et déprimé. Votre vitalité augmente… Tout cela parce que votre microbiote est en bonne santé !
À l’inverse, si vous mangez n’importe quoi et vivez n’importe comment, il se dérègle, s’appauvrit et ne peut plus agir efficacement ? Rapidement, vous vous sentez mal dans votre peau. Vous avez toujours une sensation de faim à combler. Vous accumulez de la graisse au niveau de l’abdomen, celle qui est le plus difficile à éliminer. Vous vous sentez fatigué, stressé, anxieux. Et, surtout, vous devenez de plus en plus sensible à tous les maux qui passent.
Le microbiote en chiffres
> La communauté vivante que vous abritez à l’intérieur de vous représente un total de 10^14 bactéries (c’est-à-dire cent mille milliards, dix fois plus que le nombre de vos cellules) composées de plus d’un millier d’espèces.
> Cette masse de bactéries possède plus de 3,3 millions de gènes différents, c’est-à-dire 150 fois plus que votre propre génome. En faite, si l’on appliquait à ces chiffres la loi du plus fort, on serait obligé de reconnaître que notre corps n’est que la maison qui sert à abriter le microbiote…
> Le microbiote pèse entre 1,5 et 2 kilos de votre poids total, grosso modo un poids équivalent à celui du cerveau.
> Il est composé de bactéries utiles et d’autres pathogènes. Environ 99% d’entre elles sont « résidentielles », c’est-à-dire fixées à votre intestin, et 1% sont « opportunistes ».
> Le microbiote passionne de plus en plus la science, il a fait l’objet de plus de 2000 études ces dix dernières années, et ce n’est pas fini !
La naissance du microbiote
Votre microbiote est né pendant le premier trimestre de grossesse de votre maman. Lorsque vous étiez dans son ventre, à l’abri de son placenta, votre organisme s’est imprégné de ses propres bactéries. Plus précisément, de celle de sa bouche qui ont essaimé dans son tube digestif puis son placenta. Si la mère a une flore buccale dégradée, la flore placentaire qu’elle va léguer à son enfant le sera donc aussi. En effet, le placenta n’est pas stérile, comme on le croyait avant 2014. Il est colonisé par des germes non pathogènes appartenant à la flore buccale de la maman : Firmicutes, Tenericutes, Proteobacteria, Bacteroidetes, Fusobacteria. Pendant la grossesse, ces microbes sont entrés dans vos oreilles, vos yeux, votre bouche, vous avez été également recouvert par les microbes qui tapissaient le col de votre mère.
Ensuite, durant les tétées, vous avez enrichi votre microbiote en pleine croissance avec les microbes du téton de votre mère et de son lait. Un lait qui, d’ailleurs, contient des oligosaccharides, une sorte de prébiotique que le bébé n’est pas capable de digérer mais que le microbiote apprécie beaucoup. C’est-à-dire que la maman mêle une nourriture spécifique au microbiote à celle de son bébé ! Faut-il qu’il soit important…
Et enfin, durant vos trois premières années, vous avez complété ces apports par les bactéries de votre environnement, des animaux et des personnes qui vous entourent.
C’est le scénario idéal, celui qui permet l’installation d’un microbiote riche, complet et efficace. Un microbiote équilibré qui est capable de combattre les pathogènes que vous ingérerez tout au long de votre vie et les infections que vous rencontrerez.
- Première constatation : grâce à la fécondation, vous avez hérité vos gènes de vos deux parents, mais votre patrimoine microbiotique (c’est-à-dire, je vous le rappelle, les 9/10e des cellules de votre organisme) est le cadeau de votre mère seule. Cela ouvre des horizons sur la relation mère-enfant…
- Deuxième constatation : la prise d’antibiotiques (qui tue les endobiotes buccaux de la maman) durant le premier trimestre de la grossesse amoindrit la qualité de la flore du fœtus.
- Troisième constatation : la flore du bébé nourri au biberon à base de lait de vache modifié et « amélioré » se complètera avec des bactéries… de vache.
Les enfants (et les adultes) qui sont dans ce cas devront en tenir compte toute leur vie. S’ils ne sont pas très attentifs à leur alimentation, leur microbiote atypique, immunodéficient, risque, un jour ou l’autre, de provoquer des probl !mes tels qu’asthme, allergie, maladie coeliaque et infections cutanées.
Enfin, chez les femmes, la stérilité peut être provoquée par une flore buccale très altérée, pour deux raisons : d’une part leur placenta est incapable de se former normalement (ce qui est le cas avec Porphyromonas gingivalis, le germe qui engendre des caries), d’autre part leur intestin grêle est endommagé, perméable et habité par une flore déséquilibrée, provoquant des carences et une inflammation générale qui perturbent leur fertilité.
Votre microbiote vue de l’intérieur
Votre ami caché est surtout composé de bactéries dont le nombre et les variétés sont impressionnantes. Pour l’instant, on en a dénombré, selon les personnes, de 300 à 1000 espèces différentes qui restent pour la plupart confinées à l’intérieur du tube digestif car elles sont anaérobies, c’est-à-dire que l’oxygène les tue. C’est la raison pour laquelle on n’avait pas connaissance de leur présence et de leur diversité avant d’être capable de les étudier in situ.
La qualité de votre microbiote dépend de multiples facteurs environnementaux : votre alimentation, les médicaments, et les suppléments alimentaires que vous prenez, votre mode de vie (êtes-vous fumeur ou pas, buveur ou pas, sportif ou sédentaire, nerveux ou décontracté ?...) et de facteurs génétiques. Il dépend même, sans doute, de votre humeur et de votre état d’esprit (êtes-vous d’un tempérament gai ou triste, optimiste ou pessimiste ?).
La composition du microbiote
> Sa flore dominane « résidentielle » représente 99% du total et comprend environ 10^9 bactéries par gramme. Elle est composée en grande partie de bactéirues strictement anaérobies et capable de former des spores (Clostridium, Peptococcus) et de bactéries incapables d’en former (Bifidobacterium, Lactobacillus), ainsi que des bactéries qui préfèrent se développer dans une petite quantité d’oxygène (Escherichia Coli, et autres « coliformes », Enterococcus faecalis).
> Elle comprend ensuite une flore « opportuniste » qui représente 1% du total et qui est riche de 10^3 bactéries par gramme. Sa composition varie d’une personne à l’autre : elle peut contenir des levures et des moisissures, des bacilles et des entérobactéries diverses.
Ces deux types de flores comprennent à la fois des bactéries utiles et d’autres qui sont possiblement pathogènes.
Vos gènes hérités interagissent en permanence avec les gènes bactériens de votre microbiote grâce à leurs métabolites (des acides aminés, des vitamines, des antioxydants, des nucélotides…). Mais cela ne se passe pas de la même façon à tous les étages du tube digestif, où les récepteurs de l’épithélium, son revêtement interne, sont différents : les bactéries sont ainsi plus nombreuses en bas (dans le côlon) qu’en haut (dans l’estomac).
Quand tout va bien dans votre tube digestif, son épithélium recouvert d’une couche de mucus forme une barrière efficace contre les germes et leurs toxines. Dans cet abris, le microbiote prépare les nutriments pour qu’ils passent la barrière intestinale et aillent nourrir vos cellules ; il synthétise les vitamines K et B, des enzymes et des hormones ; il lutte contre les pathogènes en entrant en compétition avec eux pour les nutriments (donc, en les affamant) et en sécrétant les substances antibiotiques adaptées à l’ennemi qu’il veut combattre – contrairement aux antibiotiques sur ordonnance qui réduisent la flore microbiotique et peuvent faciliter, par exemple, la colonisation de vos intestins par le Clostridium difficile, une bactérie pathogène qui provoque une colite parfois grave.
Les pathogènes
> Ce sont d’abord des microbes (on dit aussi des germes) qui rendent malade et peuvent même tuer, rapidement ou en prenant leur temps. Nous les combattons depuis soixante-dix ans grâce aux antibiotiques, mais ils s’adaptent et deviennent résistants. Ils ne se transmettent presque jamais d’une personne à l’autre.
> Ce sont aussi, parfois, des micro-organismes qui, en principe, ne sont pas pathogènes mais qui, dans certaines conditions, deviennent assez virulents pour tuer des personnes saines. Par exemple, la majorité des souches d’Escherichia coli vivent dans l’intestin de la plupart des gens sans leur faire aucun mal. Pourtant, souvenez-vous, en 2011, de la vague d’infection qui a touché, en Allemagne, 4000 personnes ayant mangé de pousses de soja contaminées, provoquant des lésions rénales chez 800 d’entre elles et tuant 50 personnes…
> Les pathogènes sont aussi des virus comme la rougeole, la variole, la grippe, la peste, la poliomyélite, le choléra, la typhoïde ou la scarlatine qui, tant que l’homme vivait en petites communautés isolées ne pouvaient pas se répandre rapidement et se mettaient en latence le temps de trouver de nouveaux hôtes. Ces virus n’ont pas été préjudiciables à l’homme, jusqu’à ce qu’il se rassemble en populations villageoises ou citadines plus importantes parmi lesquelles ils ont pu circuler et proliférer. Il existe donc, aujourd’hui, de nombreux pathogènes épidémiques, les « anciens » qui ont évolué et des nouveaux, comme les grippes porcines et aviaires, Ebola, Hantavirus et VIH.
Le microbiote et l’immunité
Des scientifiques se sont interrogés : qu’arriverait-il à un animal qui grandirait sans microbiote ? Ils ont donc élevé des souris nées par césarienne dans des couveuses stériles et observé ce qu’il se passait lorsqu’un animal est à 100 lui-même au lieu d’être à 90% son microbiote. Ils n’ont pas été déçus par les résultats…
Les souris ont développé diverses anomalies, comme un intestin hypertrophié mais qui ne possédait pas les plis et les cryptes habituels, un cœur atrophié, des gènes du cerveau activés alors qu’ils auraient du être en repos et, surtout, une hypersensibilité aux infections car des groupes entiers de globules blancs étaient inactifs. Ces souris sans microbes avaient donc un système immunitaire défectueux. Il suffisait de leur inoculer une centaine de fermes pour qu’elles tombent malades, alors que des souris normales peuvent en rencontrer un million de fois plus sans en souffrir. (…)