De plus en plus d’études soulignent que la répression des émotions peut être à l’origine des maladies et notamment du cancer. Ce qui ne s’exprime pas s’imprime, et ce qui s’imprime déprime... Ainsi, se libérer du stress et des traumas « stockés » au fil du temps pourrait initier la guérison.
« Il n’y a pas des maux du corps et des maux de l’âme, les deux sont la même chose » soulignait Georg Groddeck, le père de l’approche psychosomatique. Pour ce précurseur, qui a inspiré nombre de tenants actuels de la médecine corps/esprit, la maladie ne vient pas de l’extérieur ; on se rend malade. Ce n’est pas le Dr Julien Drouin qui le contredira... De médecin généraliste, il est devenu psychothérapeute, spécialisé en libération émotionnelle. La maladie de son père, en 2012, lui fait toucher du doigt le lien délétère entre stress, émotions et cancer – auquel il a consacré un ouvrage très documenté (1).
À 60 ans, son père prépare le marathon de Bordeaux, quand on lui diagnostique un cancer du colon et du foie, dont il décède. Une question taraude Julien Drouin : comment un marathonien sexagénaire qui mange bio, sans antécédent familial d’un tel cancer, peut-il tomber ainsi malade ? Rapidement, il s’oriente vers le stress psychologique.
« Superdiplomate, mon père exprimait peu ses émotions et fuyait les conflits. Au cours de l’enquête émotionnelle, j’ai découvert un stress passé inaperçu, non exprimé. Quelques mois avant le diagnostic, il avait appris sur un réseau social la vente, par ma mère (dont il était divorcé), de la maison familiale qu’il souhaitait nous léguer. Il a ruminé cette rage, même si l’orage semblait être passé. »
Le « mal a dit »
« Toute maladie tire son origine d’un état de stress post-émotionnel », corrobore le Dr Alain Exposito, initiateur de la Gefühltherapie (Thérapie de l’émotion). Selon l’auteur de
Mortelles émotions (2), « mourir d’amour » (ou de chagrin) n’est pas qu’une expression...
« Il arrive que nous soyons durablement submergés par l’émotion. Le cerveau, qui devrait commander et proposer des solutions, est alors complètement dépassé. C’est le corps qui va venir à sa rescousse, lui qui est pourtant notoirement incompétent pour régler un problème psychique. Doué d’une énergie propre et hors contrôle, il va développer une série de réponses inadéquates qui s’appellent les maladies psychosomatiques. On dit que la personne somatise, c’est-à-dire exprime dans son corps un malaise spirituel ou psychique. » De l’importance de ne pas séparer la médecine du corps de la médecine psychique... À travers la maladie, le corps parle, il appelle... Le « mal a dit ».
L’expression des émotions est donc cruciale.
« Quand le message s’exprime par le corps, que la blessure psychique s’inscrit dans le corps, c’est que la verbalisation, la conscientisation n’ont pas pu passer », explique la psychothérapeute Isabelle Filliozat, spécialiste des émotions.
Depuis la publication de son livre novateur,
Le corps messager (3), paru en 1988 et réédité en 2018, les intuitions d’Isabelle Filliozat ont été vérifiées par les avancées de la science.
« J’intègre à présent les neurosciences et le microbiote intestinal dans la compréhension des mécanismes en jeu dans la maladie. Cela permet de relier le psychisme à l’organisation du cerveau (des cellules cérébrales) et au microbiote. Prenons l’eczéma ; j’avais l’intuition clinique que la racine de cette maladie était liée au fait de ne pas s’être senti investi. Mais sans preuve... Or, on sait à présent qu’un choc affectif ou un trauma important vécu par un des deux parents durant la grossesse bouscule le microbiote de la maman et cela impacte la construction neuronale du fœtus. On retrouvera cet impact plus tard, et il aura un retentissement », explique-t-elle.
Stimuler le nerf vague, libérer les émotions réprimées
Parmi les outils de la psychologie énergétique, qui fait le pont entre le corps et l’esprit, l’EFT (Emotional Freedom Technique) a montré son efficacité. « La stimulation des points d’acupuncture par tapotements est une composante active de l’EFT, ce n’est pas seulement un placebo », explique le Dr Julien Drouin, qui accompagne les patients atteints de cancer dans ce travail de libération émotionnelle. Des études ont montré que la stimulation transcutanée du nerf vague permet d’éteindre les zones cérébrales de la peur... tout comme le fait une mère qui prend instinctivement son enfant dans les bras pour l’apaiser. « Cela entraîne une augmentation des ondes cérébrales thêta, synonyme de relaxation profonde. Ces ondes gouvernent la partie de notre esprit située entre le conscient et l’inconscient et qui conserve en mémoire les souvenirs, les émotions et les croyances. Au niveau biologique, l’EFT, en désactivant la réponse de stress (combat-fuite-figement) et en activant la réponse de relaxation, entraîne une diminution du taux de cortisol, l’hormone du stress », explique-t-il.
Syndrome de la cocotte-minute
Ces blessures psychiques engrammées dans le corps/esprit, le Dr Julien Drouin les connaît bien.
« J’ai observé, chez nombre de patients atteints de cancer, le “syndrome de la cocotte-minute” : quand ils viennent me voir, il y a une accumulation de colère, de rage, de tristesse au centre de la cocotte. Pourquoi ? Parce qu’il y a un “couvercle” fermé, fait de peur. En les interrogeant, on se rend compte qu’intervient souvent, durant l’enfance, la perte (réelle ou symbolique) d’un parent, un ami, voire un animal de compagnie. Cet événement va graver dans le subconscient la peur de perdre ceux que l’on aime. Ce programme pousse à fuir le conflit, à ne jamais dire “non”, à avoir peur de déranger, de faire de la peine. Même si on a des avis, des besoins, on ne les dira pas, par crainte de perdre l’amour. Du coup, on n’exprime pas ses émotions et la colère s’accumule... La pression monte, elle va déséquilibrer le système nerveux autonome. Jusqu’à arriver à un moment où se produit l’événement de trop, qui va faire exploser la cocotte-minute », analyse Julien Drouin. Cette intoxication émotionnelle fait le lit, des années plus tard, de différentes maladies.
Toute maladie tire son origine d’un état de stress post-émotionnel.
Notion clé de son livre, le stress vécu comme modéré (se faire crier dessus ou être humilié par ses parents ou d’autres figures d’autorité) connaît paradoxalement l’association statistique la plus forte avec le développement, entre autres, du cancer colorectal, du sein et de la prostate.
« La répétition de ces microblessures émotionnelles crée le risque. Lors du traitement de libération émotionnelle, il est donc important de dépister ces événements considérés comme banals ou normaux », relève Julien Drouin.
Réprimer, c’est renforcer
James Gross, un chercheur en psychologie des émotions, a découvert que les personnes qui essaient de supprimer une émotion désagréable échouent. Alors qu’elles pensent que rien ne se voit à l’extérieur, à l’intérieur, leur système limbique reste activé (IRM à l’appui). Essayer de ne pas ressentir une émotion ne fonctionne pas et, dans certains cas, cela se retourne contre soi. Mais mettre des mots dessus fait une grande différence.
« Pour réduire l’activation, conseille le Dr Drouin, il suffit d’utiliser quelques mots pour décrire l’émotion et idéalement d’utiliser un langage symbolique, avec des métaphores, des couleurs... » Résultat : le cortex préfrontal s’active, ce qui réduit l’activation du système limbique.
Reconnaître consciemment une émotion réduit son impact. Ce qui explique, peut-être, que les femmes, plus enclines à exprimer leurs émotions, ont un meilleur taux de rémission (face au cancer).
« Pleurer, par exemple, est un mécanisme naturel de libération émotionnelle. Trop souvent, on dit encore qu’un garçon ne doit pas pleurer... Or, pleurer allège la charge allostatique », signale Julien Drouin. La charge allostatique est le stress émotionnel qui pèse sur le système nerveux autonome. Ce dernier régule les fonctions biologiques du corps, notamment la prolifération des cellules souches du cancer.
« Quand vous avez une charge allostatique qui grossit au fur et à mesure de l’existence, cela provoque l’activation du système sympathique, qui nous met en tension. Celui-ci libère des neurotransmetteurs stressants et inhibe les neurotransmetteurs relaxants. Activé, le système sympathique modifie l’expression de nombreux gènes, créant un terrain à même de favoriser la prolifération des cellules souches du cancer. Inversement, lorsque vous libérez cette charge allostatique, le système nerveux autonome bascule en réponse “réparation/relaxation”, activant le système parasympathique et libérant un neurotransmetteur essentiel : le GABA (acide gamma-aminobutyrique) qui inhibe la libération d’hormones de stress et bloque la prolifération des cellules souches du cancer », éclaire le Dr Drouin.
Désamorcer le bug émotionnel
Si nos émotions peuvent nous intoxiquer, tout ce qui permet de les libérer peut donc, a contrario, activer la réponse de relaxation et entraîner la libération du GABA endogène. « Je conseille toujours à mes patients de faire ce qu’ils aiment (méditer, marcher, danser, chanter, faire du théâtre), car c’est la meilleure façon d’activer la réponse de relaxation », partage Julien Drouin. Il existe aussi de nombreux outils qui aident à la libération émotionnelle.
Dans son livre, le Dr Drouin expose les liens qu’il a étudiés entre libération émotionnelle et rémissions spontanées de cancer.
« J’ai notamment lu les travaux de Bernie Siegel. Ce chirurgien, qui a répertorié 57 cas de rémissions spontanées de cancer, a observé que ceux qui ont guéri avaient libéré leurs émotions, et notamment fait la paix avec leurs proches. » Et si, justement, ce chemin de libération des émotions permettait certes d’activer les pouvoirs de guérison qui sont en nous, mais aussi de revenir à soi ?... De renouer avec le sens profond de sa vie ?
C’est en tout cas ce qu’appelle de ses vœux Antoine Sénanque, auteur de
Guérir quand c’est impossible (4). Ce médecin, qui écrit sous son pseudo de romancier, prône une médecine spirituelle, plurielle, capable de multiplier les chances de guérir, au-delà même de la maladie.
« La médecine spirituelle ne rejette ni les soins conventionnels, ni le recours aux influences mentales bénéfiques, ni le rendez-vous avec le sacré », affirme-t-il. En se penchant sur les guérisons miraculeuses recensées à Lourdes, il a constaté que pour qu’il y ait miracle... il faut l’avoir demandé. Libérer les émotions réprimées et réconcilier le corps et l’esprit campent donc au cœur des guérisons inespérées. Dont acte.
(1) Dr Julien Drouin,
Cancer. Et si nos émotions pouvaient nous guérir ? , Éd. Guy Trédaniel, 2018.
(2) Dr Alain Exposito,
Mortelles émotions, Éd. Frison-Roche, 2010.
(3) Isabelle Filliozat et Hélène Roubeix,
Le corps messager, Éd. Desclée de Brouwer, 2016 (nouvelle édition).
(4) Antoine Sénanque,
Guérir quand c’est impossible, Éd. Marabout, 2018.