« L’idée lui vint d’aller consulter une femme veuve, qu’on appelait la mère Fadet […] C’est comme qui dirait qu’au moyen du secret, elle guérissait les blessures, foudres et autres estropisons […] Comme, dans la campagne, on n’est jamais savant sans être quelque peu sorcier, beaucoup pensaient que la mère Fadet en savait encore plus long qu’elle ne voulait le dire, et on lui attribuait le pouvoir de retrouver les choses perdues, mêmement les personnes. »

Ces lignes sont issues de La Petite Fadette. Dans ce roman publié en 1849, George Sand met en scène la petite-fille d’une sorcière berrichonne. Elle y parle de feux follets, de charmes, de divination. L’écrivaine connaissait bien la région : elle y avait grandi. Toute sa vie, elle resta attachée à cette terre et à sa culture populaire peuplée de spectres de lavandières, de pierres capables d’apparaître et de disparaître, de fées, d’esprits malveillants rôdant autour des mares, de paysans meneurs de loups, de lueurs harcelant les voyageurs et d’animaux fantastiques, gardiens de trésors. S’étirant du Loiret à la Creuse, au cœur de la France, le « royaume de l’Ours », selon les origines celtes du mot Berry, serait-il porteur d’une énergie particulière ?

On dit qu’autrefois, les druides élurent résidence du côté de Bourges. « La densité vibratoire du sol y serait plus puissante qu’ailleurs, et plus sensibles [y seraient] les courants telluriques qui le traversent », avance Bénédict Deloeuvre en 2009 dans un article de Télérama. Pour Marie du Berry, auteure du roman Marie Sorcelle, qui conte les voyages « dans le temps de ses aïeux » d’une jeune Berrichonne « panseuse de secrets », l’aura de mystère qui nimbe la région ne date que du XIX^e siècle et aurait été portée par les écrits de George Sand. « Il y eut aussi ceux de son ami et voisin Germain Laisnel de la Salle, auteur d’un recueil intitulé Croyances et légendes du Centre de la France », ajoute-t-elle. Un siècle plus tard, des conteurs locaux comme Jean-Louis Boncœur s’emparèrent à nouveau de ce patrimoine, « fiers peut-être de redonner à une région de plus en plus déshéritée l’originalité, les pouvoirs aussi, qu’elle était en train de perdre », estime Bénédict Deloeuvre.

Des savoirs diabolisés

En Berry comme ailleurs, se perpétuent depuis la nuit des temps d’étranges savoirs. De l’Asie à l’Amérique en passant par la Bretagne et la Corse, on parle d’hommes et de femmes entretenant un lien privilégié avec d’autres mondes : médiumnité, communication animale et végétale, voyage de l’esprit par-delà l’espace et le temps, connaissance des plantes et des rituels de guérison… Dans nos régions, cet héritage s’est retrouvé mis à mal par deux siècles de chasse aux sorcières. Si les premiers procès eurent lieu à la fin du Moyen Âge, c’est surtout entre 1560 et 1660 que la vague fit rage. « Un peu plus de cent mille individus en Europe ont été poursuivis au titre de la sorcellerie, et près de la moitié ont été brûlés », indique l’historien Jacques Roehrig, auteur de Procès de sorcellerie aux XVI^e et XVII^e siècles. En France, 9 500 furent assignés en justice, 5 070 périrent dans les flammes. Beaucoup étaient des gens de la terre ou des gardiens de troupeaux. « Parce qu’ils vivaient le plus souvent en dehors du village, on croyait que ces familiers de la nature en connaissaient les secrets, en particulier ceux des plantes sauvages, avec lesquelles ils étaient censés fabriquer des mixtures maléfiques et leurs antidotes », explique l’historien. On pensait également qu’ils pouvaient « mener les loups », afin de défendre leur troupeau ou attaquer celui du voisin. Voire, s’ils « crevaient la faim », se transformer en loups-garous « à la recherche d’enfants à croquer »…

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