Médecine et spiritualité, deux domaines qui semblent diamétralement opposés… et pourtant. Jacques Besson, psychiatre et professeur honoraire de psychiatrie, est interrogé par Natacha Calestrémé dans cet extrait du dernier livre de celle-ci Se donner toutes les chances, publié aux éditions Albin Michel. Il nous livre sa vision et son expérience dans le domaine.
Art de vivre
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Natacha Calestrémé : Malgré les progrès de la science, les problèmes de santé mentale ont pris une telle ampleur qu’ils sont devenus une priorité de l’Organisation mondiale de la santé. N’est-on pas passés à côté de solutions à notre portée et ne faudrait-il pas imaginer d’autres manières d’aborder la maladie ? Jacques Besson : Cela fait des années que je travaille pour montrer la légitimité scientifique de concevoir la médecine en trois ordres : somatique, psychique mais aussi spirituel. Un ordre permet de donner une cohérence à l’intérieur d’un système. Le premier ordre de la santé est biomédical, moléculaire et correspond aux médecines conventionnelles, médicamenteuses et chirurgicales. Le deuxième ordre est psychique et concerne les disciplines qui traitent les comportements, les maladies psychosomatiques et mentales. Et il existe un troisième ordre bien connu, en Orient notamment : la santé spirituelle, qui aborde la question du sens et de ce qui nous relie à plus grand que nous. C’est ce que le professeur de neurologie et de psychiatrie Viktor Frankl appelle « l’auto-distanciation » et « l’auto-transcendance ». Il s’agit de notre capacité à nous désassocier de notre maladie et à accéder à notre pouvoir d’autoguérison en élargissant notre conscience sur un plan transpersonnel (qui dépasse notre moi, notre ego). La maladie – et j’évoque là toutes les maladies – est presque systématiquement multifactorielle. Et dans ce champ des possibles, elle est alors l’expression des liens avec quelque chose qui nous dépasse, d’autant plus que nous n’en sommes pas conscients. Et cet ordre spirituel, totalement compatible avec l’ordre psychique et l’ordre biomédical, est souvent occulté.
Le Dalaï-Lama, que j’ai interrogé sur cette vision des choses, m’a dit : « La santé spirituelle devrait être une priorité pour l’Occident, mais il n’est pas nécessaire de se convertir au bouddhisme parce qu’en Occident vous avez tout ce qu’il faut dans vos racines, votre histoire pour développer la santé spirituelle à partir de votre patrimoine le plus profond. »
N. C. :
Que signifie le terme de « santé spirituelle » pour nous, Occidentaux ? J. B. :
La « spiritualité », ce sont toutes les pensées qui nous éloignent de la matière. Ce sont les croyances qui nous relient à plus grand que nous, l’Univers pour certains, la nature, la lumière, ou une déité pour d’autres. La santé spirituelle, ce sont donc les forces de vie auxquelles on se connecte pour le salut de notre âme. Si vous me permettez une parenthèse historique, j’aimerais rappeler qu’en 1948 l’OMS a défini la santé comme « un état complet de bien-être physique, psychique et social ». Ce que les gens ignorent, c’est qu’il était prévu d’y ajouter une quatrième dimension qui était le bien-être spirituel. Mais l’URSS, à l’époque, s'y était violemment opposée et l’OMS n’a pas pu valider cette quatrième dimension. Il a fallu attendre la déclaration de Bangkok, en 2005, pour faire reconnaître – et c’est peu connu – la dimension spirituelle de la santé.
La santé spirituelle : un plus dans la thérapie
N. C. :
En quoi la spiritualité peut-elle avoir une incidence sur la santé, et notamment sur la santé psychique ? J. B. :
Avant de vous répondre formellement, je précise, en tant que psychiatre, que l’Association américaine de psychiatrie, qui a défini en 2013 les critères pour établir un diagnostic psychiatrique (le fameux DSM–5), recommande de faire l’anamnèse (le recueil des antécédents du malade) culturelle et spirituelle des patients. J’attire votre attention sur le fait qu’une recommandation aux États-Unis, ce n’est pas anodin : si vous ne vous y soumettez pas, vous êtes condamnable en justice. J’ai dirigé pendant plusieurs années la commission Révision des pratiques cliniques psychiatriques en Suisse romande et j’ai vu des situations où un défaut d’anamnèse spirituelle a provoqué la mort de patients. Je me souviens d’un jeune homme schizophrène, en très mauvais état, qui avait été hospitalisé. Il s’était rétabli progressivement à l’hôpital en faisant ce qu’il appelait des « purifications bouddhistes ». L’équipe médicale était très heureuse, le jeune homme allait beaucoup mieux, il se purifiait, se purifiait… Jusqu’au jour où il s’est jeté dans le lac Léman, et il en est mort. J’ai consulté le dossier sous un angle extrajudiciaire pour voir si l’hôpital avait fauté. Et je me suis rendu compte que personne ne s'était inquiété de savoir ce que représentait cette purification pour ce jeune homme. Il se prétendait bouddhiste, il faisait des purifications, il allait mieux, alors tout allait bien. On ne peut pas leur jeter la pierre. Il y avait une « incompétence spirituelle ». Car ce que le jeune homme faisait n’avait rien à voir avec le bouddhisme ni avec des purifications, c’était une aberration théologique. Dans sa logique, la mort était probablement la purification ultime. Il aurait fallu l’interroger. J’ai édité un rapport qui a valeur de jurisprudence en Suisse, et qui exige de faire l’anamnèse spirituelle des patients pour savoir si leur vision spirituelle est pondérée, mystique ou délirante.
N. C. :
Si je comprends bien, il est recommandé aux thérapeutes, psychiatres et médecins suisses d’établir quelles sont les croyances spirituelles du patient ? C’est cela ? J. B. :
Oui. Interroger le patient sur sa dimension spirituelle permet d’écarter d’éventuels désordres psychiques dans le cas de pathologies et surtout de profiter d’un effet de levier concernant sa guérison en utilisant le bénéfice de ses croyances sur sa santé. Comment le patient parle-t-il de ses croyances, de sa vie spirituelle ? Est-ce sous une forme aberrante ou viable ? Lui permettent-elles d’éveiller sa conscience, d’accroître sa foi en lui et en la vie ou, au contraire, sont-elles morbides ou mortifères ? Se poser la question est essentiel pour donner au patient la chance de mieux s’investir dans l’acte de guérison. C’est l’une des choses que nous faisons dans le cadre du Spirituel Care [accompagnement spirituel]. Depuis 2019, l’obtention d’un certificat de spécialisation en accompagnement spirituel est même proposée au CHUV. Nous avons intégré un questionnaire nord-américain appelé HOPE, composé de quatre questions qui permettent, au lit du malade, que ce soit en ambulatoire ou à l’hôpital, d’aborder la dimension spirituelle :
– H [sources of Hope] : Est-ce que vous avez une espérance en quelque chose de plus grand que vous ? une croyance en une conscience universelle, des forces qui dépassent l’ego ou la volonté ? Cela donne une idée de la dimension de la transcendance du patient.
– O [Organized religion] : Est-ce que vous pratiquez une religion : chrétienne, musulmane, juive, bouddhiste, etc. ?
– P [Personal spirituality] : Que faites-vous personnellement ? Quelles sont vos pratiques ? Et là, on obtient des indications très intéressantes parce qu’on est au-delà de la pensée, on est dans la description de ce que la personne fait concrètement : méditation, prière, qui elle prie, comment elle prie, les rituels qu’elle peut avoir.
– E [Effects on medical care and end-of-life decisions] : Une question d’ordre éthique : seriez-vous d’accord pour intégrer cette dimension à votre traitement et, notamment, rencontrer un professionnel de l’accompagnement spirituel ?
En Suisse, nous avons des accompagnateurs spirituels dans les hôpitaux. Autrefois, on les appelait des aumôniers, mais aujourd’hui ils sont ouverts à toutes les spiritualités. Ils ont lâché leur obédience parce que les durées de séjour en milieu hospitalier sont courtes et qu’il faut pouvoir aider tout le monde. Le patient a peut-être un cancer, une maladie grave, une maladie chronique et on lui propose un accompagnement spirituel qui consiste en l’apport de prestations spirituelles complémentaires à son traitement médical, par du personnel formé dans le champ spirituel au lit du malade, indépendamment des religions et des confessions. Les patients disent oui ou non. Et c’est tout à fait intéressant parce que certains sont très croyants mais ne veulent pas parler de leur foi ; d’autres ont recours à des rituels mais n’ont pas de théologie particulière, d’autres encore font partie d’une secte, ils le revendiquent, ils pratiquent mais ne veulent rien en dire. Mener des investigations de manière systématique a fait l’objet en 2001 d’un article expertisé par le Journal of Family Practice, une source reconnue scientifiquement. Des études ont été menées au Canada pour savoir si les patients voulaient que la spiritualité soit intégrée à leur traitement, et 80 % des patients le souhaitaient… Mais 80 % des médecins de ne le souhaitaient pas… Une enquête a également montré que la prise en compte des besoins spirituels est perçue par les patients comme innovante et nécessaire à cause de la maladie et de tout ce qu’elle bouleverse dans la vie d’une personne. Précisons que la spiritualité, à la différence de la religion, se réfère « à des pratiques non organisées ou structurées qui peuvent faire partie de l’expérience personnelle sans forcément signifier une appartenance à un quelconque groupe religieux ».
N. C. :
Si le patient est demandeur, pourquoi tant de résistances ? J. B. :
Par méconnaissance du sujet, probablement. Je suppose qu’ils résumaient la spiritualité à la religion et, dans un État laïque, c’est d’autant plus tabou. Alors qu’il s’agit simplement d’un système de pensée qui nous relie à des forces qui nous dépassent – et chacun y met le sens qu’il veut : les forces de la nature, de la lumière, d’un dieu… Alors, oui, ce point est complètement occulté par la médecine officielle. Et pourtant, la spiritualité est naturelle et universelle. Les humains, depuis toujours, ont un besoin de liens et de sens. Dès qu’il y a eu un humain debout, il y a eu une orientation à prendre, des besoins de cohésion, de se regrouper et ces besoins naturels et universels peuvent se transformer en religion, en rituel, en tradition, en culture…
Et puis, dans le système de pensée occidentale, certains considèrent qu’être scientifique et spirituel, ce n’est pas compatible. La perspective que l’humain ait une âme qui soit en relation avec une force supérieure… ce ne serait pas conciliable avec une vision scientifique. [...]
Natacha Calestrémé, Se donner toutes les chances, éd. Albin Michel, 2023, p. 155 à 161.
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