Quel est votre constat, en tant que thérapeute, sur la situation actuelle du développement de l’humain ?
L’avènement de la psychologie humaniste, de la révolution sexuelle et du développement personnel a mis l’accent sur la responsabilité individuelle et sur le
« droit au bonheur et à l’épanouissement individuel », en vogue aujourd’hui. D’autre part émerge une nouvelle vision du développement humain, fruit de la rencontre de plusieurs facteurs : la recherche en psychologie (en particulier l’exploration des états modifiés de conscience) ; le développement des sciences de pointe, notamment en physique et en biologie ; et la crise planétaire de cette fin de millénaire, qui touche autant les domaines économique, social, culturel, écologique que le spirituel. Nous sommes en pleine mutation.
Quelle place occupe le transpersonnel dans la saga des thérapies ?
De tout temps, l’homme a cherché à mieux se connaître. Dans les grandes lignes, le neurologue autrichien Sigmund Freud et la psychanalyse ont découvert l’inconscient et comment se fabriquent les névroses. Puis le psychologue américain Abraham Maslow et la psychologie humaniste ont ouvert la porte du corps et des émotions. Survient ensuite l’ère de la psychologie transpersonnelle, née de la rencontre de plusieurs thérapeutes, dont Maslow et Stanislav Grof, le psychiatre américain d’origine tchèque, révélant le potentiel thérapeutique des états non ordinaires de conscience et nous invitant à nous reconnecter avec notre dimension spirituelle.
Bernadette Blin
Bernadette Blin est psychologue et psychothérapeute transpersonnelle, Gestalt-thérapeute, superviseuse et formatrice en psychothérapie. Elle s’est investie dans le développement de la psychothérapie transpersonnelle en France et en Europe. Elle a créé l’IRETT (Institut de recherches et d’études en
thérapies transpersonnelles), qui a donné naissance au CesHum (l’École du transpersonnel). Elle est présidente d’EUROTAS (Association européenne du transpersonnel) et membre d’honneur du GRETT.
Il y aurait donc de nouveaux enjeux en matière de santé...
Dans la vision transpersonnelle, il ne s’agit plus seulement d’apaiser les souffrances d’un ego blessé, bien que la recherche d’un équilibre et d’un mieux-être psychologiques reste prioritaire. Mais il s’agit aussi de donner aux individus la possibilité de s’expérimenter dans des dimensions suprahumaines ou transpersonnelles. K.G. Dürckheim faisait la différence entre la
« petite thérapie » qui vise à résoudre des symptômes et la
« grande thérapie », celle qui nous révèle à nous-mêmes. L’enjeu pourrait être l’éveil de la conscience. Cette conscience au-delà du moi ou de l’ego, notre essence, en quelque sorte, qui peut nous guider si nous savons l’écouter.
Quel pourrait être l’apport du transpersonnel pour accompagner la mutation ?
Ce travail sur la conscience et sur les différents niveaux de conscience est la base de cette approche thérapeutique, tant dans ses composantes théoriques que dans ses pratiques thérapeutiques. Elle ne propose pas un seul travail sur l’ego, qui en réalité est un outil au service de notre être profond et non notre identité ; elle permet également de mobiliser nos ressources créatives et de nous soutenir dans la quête du sens de notre vie, tant sur un plan vertical (relier la terre et le ciel, l’humain et le divin) qu’horizontal (nous relier aux autres et à la nature). La découverte de
« qui-nous-sommes-vraiment » transforme notre vision de nous-mêmes, des autres et de l’univers. En réalité, le transpersonnel porte une responsabilité sur le plan personnel et collectif : il projette d’élargir le champ de conscience du
« moi », pour au final se relier à l’ensemble.
En ce sens, ce courant est un levier important pour favoriser l’émergence d’une société dont les piliers seront des valeurs spirituelles de partage et d’amour, au détriment d’une société de consommation et de compétition. Le temps de l’individualisme forcené est révolu, la notion d’interreliance est devenue centrale. Quand je travaille sur moi, je travaille pour le monde. Nous ne sommes pas séparés, mais connectés, et nous devons faire vœu de fraternité, de sororité. Si notre seule quête est notre développement personnel, avec le risque de l’inflation de l’ego, c’est le monde de l’avoir-plus et du faire-mieux qui règne en priorité, avec le cortège de conséquences que nous connaissons dans la crise à laquelle est confrontée de notre société occidentale.
Que voulez-vous dire par interreliance ?
La mutation passe par un changement de notre vision du monde, à commencer par le fait que nous sommes interreliés. Une évidence dont on peut faire le constat, au travers notamment d’expériences d’états non ordinaires de conscience. Ainsi, notre travail serait celui d’un tisserand, comme l’exprime si bien Abdennour Bidar, dans son livre Les tisse- rands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde. Il évoque la nécessité de restaurer le lien à notre moi profond, le lien de fraternité et de coopération avec les autres et le lien de reliance et d’émerveillement à la nature. Du point de vue de la thérapie transpersonnelle, retisser le lien avec les autres et le monde qui nous entoure commence par la connexion avec soi, son origine, d’où on vient, au-delà du petit moi et de nos identifica- tions. L’idée même d’être une identité séparée est une invention égotique. Dans une vision transpersonnelle, l’amour et le partage nous enrichissent. Nous sommes tous Un, nous participons tous à une même réalisation. Si le tissu du monde est déchiré, nous devons le retisser.
Et comment cette thérapie procède-t-elle ?
Un processus thérapeutique classique s’intéresse à l’histoire biographique de la personne, à ce qui lui est arrivé depuis sa naissance. Elle ne tient pas compte de ce qui s’est passé avant, notamment de l’importance du vécu de la naissance et de la vie périnatale sur son développement. Nous ignorons l’ensemble plus vaste dans lequel s’inscrit notre histoire, la possibilité de vies antérieures, les liens subtils qui nous unissent à la nature, notre relation au monde des archétypes et des symboles qui tissent une trame avec laquelle nous avons à dialoguer. La psychologie transpersonnelle est liée à la métaphysique.
Elle nous permet de nous resituer dans notre quête de l’essentiel, la nature de qui nous sommes vraiment, de pourquoi nous sommes ici. Nous sommes cet axe entre la terre et le ciel, en tant qu’être humain nous vivons cette expérience incroyable. Les outils transpersonnels sont pluriels : par exemple, la méditation, le travail avec les rêves, l’art-thérapie, la respiration holotropique, l’hypnose transpersonnelle, le mandala de l’être… Tous ont pour principal objectif de restaurer la reliance à notre âme, à sa dimension transcendante, qui va irriguer tout le reste. Par ailleurs, ce courant permet de comprendre des phénomènes tels que les NDE, la médiumnité, les expériences mystiques et celles dites « extraordinaires » qui sont autant de portes à prendre en compte, parce qu’elles nous révèlent notre véritable nature. L’un des éléments qui la caractérisent, c’est l’importance qu’elle accorde aux états modifiés de conscience et à la dimension spirituelle de l’être humain.
Le temps de
l’individualisme forcené est révolu, la notion d’interreliance est devenue centrale.
La thérapie du futur intègre donc la spiritualité...
Dans la mesure où nous sommes avant tout des êtres
spirituels faisant une expérience humaine, comme l’a si bien exprimé Teilhard de Chardin, ne pas intégrer la dimension spirituelle au cœur même de la thérapie, c’est comme ignorer la dimension fondamentale de notre essence. Enfants, nous avons été très rapidement contraints à nous adapter et nous restreindre. Progressivement, nous avons perdu cette connexion avec notre origine, qui nous sommes, au-delà ou en deçà de nos adaptations. Il nous faut la retrouver. Quand on réalise que nos blessures les plus profondes viennent de notre coupure, notre déconnexion avec notre dimension spirituelle ou divine, réintégrer la spiritualité dans la thérapie est vital pour nous, individuellement et collectivement.
Quelle est votre vision du changement ?
Il faut absolument sortir d’une vision centrée sur soi, pour se relier au collectif et au plus grand que soi. Chacun a une responsabilité et la question à se poser est comment je peux contribuer à réparer ce tissu déchiré du monde, à augmenter mon ouverture de cœur, à célébrer ce vivant ? Comment participer à la transformation qui évitera notre extinction ? Le changement pour le monde ne peut être décrété ; il ne peut survenir que de l’intérieur et se propager à un nombre suffisant d’individus pour provoquer une bascule. Mon intuition est qu’à un moment, tout ça va basculer, comme le met en évidence la théorie du centième singe de Ken Keyes Jr. Un principe qui rejoint la célèbre maxime de Gandhi :
« Sois le changement que tu veux voir dans le monde », que je traduirais ainsi : changer le monde passe par se changer soi-même, parce que nous sommes le monde.