• Inexploré TV
  • Inexploré

L’Éveil
:
Graal
de
la
quête
spirituelle

L’éveil est l’objet de nombreux fantasmes et idées fausses. Processus graduel ou réalisation soudaine, selon les traditions spirituelles, l’éveil est la prise de conscience de notre vraie nature. Cependant, une chose est d’en prendre conscience, une autre est de la vivre pleinement.
L’Éveil : Graal de la quête spirituelle
Savoirs ancestraux
Pour essayer de dire ce qu’est l’éveil, il faut commencer par dire ce qu’il n’est pas. L’éveil n’est pas un intérêt nouveau pour les questions spirituelles, bien que cet intérêt puisse être un premier pas sur la voie. L’éveil n’est pas la cessation des souffrances, la guérison de toutes les maladies ou encore l’acquisition de pouvoirs surnaturels. L’éveil n’est pas non plus un état d’extase permanent qui « déconnecte » de la réalité matérielle. Selon les définitions les plus couramment employées, l’éveil est la dissolution du je, du moi, de l’ego, de la personnalité, et, finalement, la disparition de la personne elle-même. Il n’y a plus personne, et donc, « personne ne s’éveille », entend-on souvent dans la bouche des authentiques enseignants spirituels. Pour le commun des mortels qui est pleinement identifié à la fois à son corps et à sa personne, ce genre d’affirmation plonge d’emblée dans la perplexité, et c’est bien le but car il s’agit précisément de se « désidentifier » de ce que nous croyons être. La notion essentielle à saisir est alors que ce qui disparaît révèle ce qui était déjà là, notre nature profonde et véritable, et qui se trouvait simplement masqué, voilé par ces couches de croyance.


« Tu es cela »


Cette nature véritable qui est la nôtre, quelle est-elle ? La réponse est à la fois simple et vertigineuse : elle est l’absolu, elle est l’un, elle est tout ce qui est, ou encore la conscience de « je suis ». L’hindouisme enseigne ainsi (dans les Upanishad du Vedânta) que « atman est brahman », c’est-à-dire que la conscience individuelle, âme, soi ou atman en sanscrit, est identique à l’absolu, l’unique, dieu impersonnel ou brahman. Toute distinction ou séparation est illusoire. « Tu es cela », affirme par exemple la Chandogya Upanishad. L’absolu lui-même est inconcevable car il est, par définition, au-delà des mots et des concepts. Par conséquent, le langage réduit, enferme et déforme ce message d’identité ; c’est pourquoi il a donné lieu à d’innombrables débats et commentaires qui ont abouti à autant d’écoles et de courants au sein même de l’hindouisme puis dans le bouddhisme qui en est issu, et aussi dans le taoïsme chinois. La quête de l’éveil est donc une quête métaphysique, une recherche de sa véritable nature par-delà les apparences. Mais on se heurte immédiatement à moult paradoxes, que n’ont pas manqué d’exploiter certaines écoles comme le bouddhisme zen et ses fameux « koans », qui visent à déstabiliser le chercheur par des impasses logiques. L’un de ces paradoxes est que la recherche elle-même est un piège, car elle présuppose que son objet est « ailleurs », alors qu’il est déjà là, de toute éternité.

« Vous êtes ce que vous cherchez », enseignait Nisargadatta Maharaj.


« Vous êtes ce que vous cherchez », enseignait Nisargadatta Maharaj, l’un des « éveillés » du XXe siècle, ou encore : « Ce que tu cherches est si proche de toi qu’il n’y a pas de place pour une voie. » Ces enseignements viennent du courant de l’Advaïta Vedânta, la voie la plus radicale d’enseignements de la non-dualité, celle qui supprime la distinction entre l’objet et le sujet. Il n’y a donc « rien à chercher », disent les enseignants de cette voie, tels Ramana Maharshi, autre grande figure contemporaine de ce courant. Suffit-il alors de « réaliser » notre vraie nature ? Pas davantage, répondront certains, car cela est déjà « réel ». Il faut seulement reconnaître et accepter car, dans le taoïsme en particulier où il est question de non-agir (Wu Wei), on ne trouve l’éveil que lorsqu’on abandonne la recherche.


Au-delà du sujet et de l’objet


« L’éveil est un saut au-delà de la dualité sujet/objet », écrit José Le Roy dans son livre Le saut dans le vide, qui met en parallèle différents écrits sur l’éveil en provenance de nombreuses traditions, aussi bien de l’Orient que de l’Occident, où l’on parle plutôt d’expérience mystique. « Nous croyons, en effet, être un sujet percevant des objets à distance (…). Mais ce mode de relation est illusoire et mental. En réalité, il n’y a aucun sujet percevant des objets. La prise de conscience de cette illusion est l’éveil. » Que reste-t-il alors ? « La totalité du réel se donne dans une présence-absence sans dualité. Personne ne voit des objets ; il y a vision. » Il est intéressant de noter que ce type de constat ne provient pas seulement de plusieurs traditions spirituelles, mais qu’on le retrouve également dans des réflexions très contemporaines issues de la philosophie de l’esprit et même des neurosciences. Ainsi le neurobiologiste Francisco Varela parlait d’« énaction » pour décrire la coémergence du monde et de notre « point de vue situé » sur le monde.

En effet, la conscience de « ce que nous voyons » émerge simultanément à celle de « ce que cela fait de voir ». Au bout du compte, il s’agit d’une seule et même conscience et la triade « observateur – observation – observé » ne fait qu’un, comme l’enseigne l’advaïta. C’est le langage qui introduit de la « séquentialité » dans cette expérience, car dire « je – vois – une table – devant moi » crée une séparation et une durée qui sont illusoires. En réalité il n’y a pas de discontinuité entre le voyant et ce qui est vu ou, comme le disait le philosophe Maurice Merleau-Ponty, « entre la chair du corps et la chair du monde ». C’est ce type de prise de conscience qui a amené un mystique comme l’Anglais Douglas Harding à enseigner une méthode d’éveil appelée « vision sans tête » : ce que je vois du monde depuis mon point de vue situé comprend mon propre corps et, au-dessus des épaules, non pas une tête mais un espace qui accueille l’univers entier ; et tout cela ne fait qu’un.


« Réaliser » ce qui est déjà là


On peut trouver ces considérations trop philosophiques ou intellectuelles mais elles incitent au contraire à revenir à « l’expérience pure », selon la formule du philosophe Michel Bitbol, expérience simple et directe qui n’est pas une abstraction mais le fruit d’une déconstruction de l’acte de percevoir et d’une suspension du jugement. « La plus grande difficulté dans l’éveil réside dans sa simplicité, ce qui rend complexe le fait d’en parler sans en dénaturer la pureté », écrit l’enseignant Alain Chevillon. C’est bel et bien le mental qui rend complexe ce qui relève en effet d’un vécu « pur et simple ». Et puisque l’éveil est « une disparition, une dissolution du je individuel qui est limité dans le temps et l’espace », poursuit Alain Chevillon, la phrase « je suis éveillé » est une contradiction logique. Attention donc aux faux gourous qui prétendent avoir atteint l’éveil, car certains sont aussi très forts pour employer un langage qui… fait illusion parce que le « je » en est exclu.

Une autre question importante est de savoir si l’éveil est le fruit d’un processus. Il faut en fait distinguer l’éveil qu’on dira permanent et ce qui constitue des « expériences d’éveil ». Les expériences d’éveil sont ces moments où la prise de conscience de l’illusion est authentique mais fugace et sporadique. On parle dans les traditions orientales de samadhi (hindouisme et bouddhisme) ou de satori (bouddhisme zen) pour désigner un éveil transitoire ou permanent, selon les écoles. La plupart des enseignants spirituels expliquent que l’état d’éveil permanent, qu’on appellera aussi « réalisation » ou « illumination », est extrêmement rare. Et dans la majorité des cas, l’éveil est, en effet, présenté comme le résultat d’un long travail d’introspection (méditation ou yoga) et d’étude, même si les voies plus radicales de l’Advaïta Vedânta ou du Dzogchen dans le bouddhisme enseignent qu’il existe des « raccourcis ».


« Faire un avec le cosmos »


Qu’il s’agisse d’épiphanie dans un contexte plutôt chrétien ou d’expérience paroxystique en psychologie transpersonnelle, le fait est que l’éveil est aussi une notion entièrement laïque. Il est très significatif que le philosophe américain Sam Harris y ait consacré son dernier ouvrage, lui qui avait pourfendu les religions et les croyances dans le précédent. Spécialiste des neurosciences, Sam Harris a ainsi intitulé son livre S’éveiller. « Il est tout à fait possible de perdre le sens d’être un moi séparé et de faire l’expérience d’une sorte de conscience ouverte et illimitée ; de se sentir, en d’autres termes, faire un avec le cosmos », écrit-il. Les neurosciences ont montré que les aires cérébrales impliquées dans le sens d’être soi et d’avoir une position dans l’espace étaient inactivées dans la méditation profonde, ce qui est cohérent avec l’expérience décrite.

La triade « observateur – observation – observé » ne fait qu’un.


Il s’agit dans tous les cas de rechercher la source, de retourner l’attention vers soi-même pour trouver « ce qui regarde en nous ». « Qui pose la question ? », répondait quasi invariablement Ramana Maharshi à toute question qu’on lui adressait, obligeant l’interlocuteur à ce retournement constant de l’attention. Enfin, même si le contexte oriental y fait moins de place, l’éveil est également associé en Occident à l’amour, puisqu’il s’agit de « tomber amoureux de ce qui est », comme y invite l’enseignant britannique Jeff Foster. Si, en effet, nous ne sommes pas (seulement) nos corps et nos pensées, nous sommes aussi cela, qu’il ne s’agit aucunement de mépriser. S’il s’agit donc, au départ, d’engager un processus de désidentification du moi et du corps, l’éveil véritable consistera à boucler la boucle en réintégrant ces éléments incarnés de notre identité dans la totalité de notre être. Et l’on est, ici, de nouveau confronté à un paradoxe, celui de devoir aimer le monde, tel qu’il est, pour pouvoir le changer. « Arrêtez d’attendre que le monde vous rende heureux, écrit Jeff Foster. Arrêtez de faire que votre joie intérieure dépende des choses extérieures – des objets, des gens, des circonstances, des expériences, des événements – qui sont en dehors de votre contrôle direct maintenant. » Puisqu’il lève le voile de l’illusion, l’éveil est aussi « apocalyptique » (une révélation), comme le souligne très justement Marie-France de Palacio dans un livre fort.

S’éveiller est donc à la fois simple et compliqué, parce que cela relève d’un lâcher-prise que nous n’avons pas appris à effectuer dans un monde où il faut au contraire être « en contrôle » permanent, et qu’il procède d’une forme de grâce que l’on ne maîtrise pas davantage. Mais quand le « je » disparaît et que le « je suis » se révèle, un autre mode d’être au- monde se fait jour, qui consiste à être-le-monde, ni plus ni moins.

À
propos

auteur

  • Jocelin Morisson

    Journaliste, auteur et conférencier
    Jocelin Morisson est journaliste scientifique, auteur et traducteur, passionné par les liens entre science et spiritualité. Il collabore à l’Inrees et au magazine Inexploré, et a signé plusieurs ouvrages dont trois dans la collection Enquêtes Extraordinaires dirigée par Stéphane Allix aux éditions de La Martinière : Intuition et 6e sens ; La Voyance ; L’expérience de mort imminente. Il est également l’auteur d’un essai, L’Ultime Convergence, co-auteur avec Philippe Guillemant de La Physique de ...
flower

À
retrouver
dans

Inexploré n°37

Être soi

dernière parution

Appréhender nos émotions et la complexité de l’égo, trouver sa place dans le monde, s’ouvrir à notre multidimensionalité, traverser les épreuves et se reconstruire, parfois commencer un chemin spirituel… Tous ces questionnements qui élaborent le Soi semblent aujourd’hui incontournables. Et si nous cherchions tous à aller mieux pour que le monde s’améliore ?

Nous avons envisagé ce dossier avec Inexploré comme une gymnastique de haut vol, avec pour toile de fond le prisme vertigineux de cette nouvelle conscience, pour inspirer notre incarnation quotidienne dans notre monde évolutif. Un beau chemin pour nous aider à dévoiler la pierre des sages qui sommeille au fond de nous, et éclairer les jours qui arrivent d’éclats de joie, d’amour, de sérénité et de lucidité... Meilleurs vœux à toutes et à tous !

flower

Les
livres
à
lire

Voir tous les livres

Les
articles
similaires

  • Morrnah Nalamaku Simeona - Aux origines de la méthode Ho’oponopono
    Inspirations

    Guérisseuse, dépositaire d’un héritage ancestral hawaïen, Morrnah Nalamaku Simeona a transformé un ancien rituel de pardon, appelé Ho’oponopono, en un puissant outil de développement personnel et spirituel. Retour sur la vision inspirante de sa créatrice, le succès mondial de cette ...

    11 octobre 2021

    Morrnah Nalamaku Simeona - Aux origines de la méthode Ho’oponopono

    Lire l'article
  • Soigner corps et âme ?
    Santé corps-esprit

    À l’origine, médecine et spiritualité étaient inséparables, comme en témoignent les soins traditionnels qui nous sont parvenus. Puis ces deux notions ont séparé le corps et l’esprit, particulièrement en Occident. Qu’ont-elles en commun et en quoi les réunir à nouveau pourrait-il ...

    23 juin 2022

    Soigner corps et âme ?

    Lire l'article
  • L’apocalypse des insectes : quelle conscience, pour quelle cohabitation ?
    Nature

    La vie complexe des insectes, qui s’éteint peu à peu, possède une intelligence qui interpelle, et les cercles de pensée alternatifs tentent de répondre à cette question : comment mettre davantage de conscience dans une cohabitation bienfaitrice avec leur monde ...

    12 mai 2022

    L’apocalypse des insectes : quelle conscience, pour quelle cohabitation ?

    Lire l'article
  • La norme et moi ?
    Art de vivre

    Notion apportant plus de questions que de réponses, la norme est cependant un point de repère, même s’il fluctue avec les époques et les lieux. En écho à la norme sociale, que dit de « moi » ce désir de ...

    26 juillet 2021

    La norme et moi ?

    Lire l'article
  • Plantes, hallucinations et hallucinogènes
    Savoirs ancestraux

    Aziz Khazrai, médecin chirurgien parti étudier le chamanisme amazonien, nous parle de son expérience avec les plantes. Quelle est la nature des visions induites par ces plantes ? Ces visions sont-elles plus que de simples hallucinations ?

    22 mars 2010

    Plantes, hallucinations et hallucinogènes

    Lire l'article
  • Sexe : de la jouissance à l’extase
    Art de vivre

    Grâce au tantra, Margot Anand nous invite à sortir de l’ignorance sexuelle pour explorer la relation comme une voie de réalisation spirituelle, nous invitant à passer du sexe ordinaire au sexe sacré...

    5 mars 2017

    Sexe : de la jouissance à l’extase

    Lire l'article
  • Quatre femmes gardiennes de leur vie
    Art de vivre

    Des femmes extraordinaires, aventurières de la vie, guérisseuse de l’âme, chamane, journaliste, auteure se dévoilent dans leurs derniers livres parus chez Mama Éditions, dont le vingtième anniversaire sera célébré cet automne. Agnès Stevenin, Audrey Fella, Martine Gercault et Michka se ...

    16 septembre 2020

    Quatre femmes gardiennes de leur vie

    Lire l'article
  • Mesurer l’énergie vitale de nos assiettes
    Santé corps-esprit

    Et s’il était possible de mesurer le niveau vibratoire de nos aliments et l’impact qu’ils ont directement sur notre corps ? Du radiesthésiste Bovis dans les années trente, aux récentes mesures photographiques du couple Kirlian, retour sur des résultats étonnants…

    15 avril 2020

    Mesurer l’énergie vitale de nos assiettes

    Lire l'article
Voir tous les articles

Écoutez
nos podcasts

Écoutez les dossiers audio d’Inexploré mag. et prolongez nos enquêtes avec des entretiens audio.

Écoutez
background image background image
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur notre site. [En savoir plus] [Accepter] [Refuser]