« Ne crie pas si fort ! »
« Cesse de pleurer ! »,
« Calme ta joie ! » :
qu’elles sont nombreuses,
les injonctions en tous
genres que nous avons tous reçues
pour réprimer nos émotions ! Mille
fois, on nous a demandé de les faire
taire afin de devenir plus
« sages »,
plus
« raisonnables ». En famille, à
l’école ou en société, la constance,
la bienséance, la rationalité, la performance
froide ont été valorisées
et nous ont coupés de ce précieux
contact avec ce que nous vivons –
ce que nous ressentons – dans l’instant.
« Le drame calculé réussit en ce
sens qu’il nous rend acceptables au
monde adulte tout en rendant inacceptable
notre propre authenticité »,
écrit Michael Brown dans son livre
« Le Processus de la présence ». Devenus
adultes, à notre tour, qu’il nous est
difficile d’accueillir les émotions
de nos enfants ! Leurs larmes nous
touchent, nous débordent, nous
remettent en cause dans notre envie
d’être de
« bons parents » et de rendre
nos petits heureux… Et quand nous
sommes engagés dans une démarche
spirituelle, nos fâcheuses émotions
se présentent comme encore plus
dérangeantes, telle une entrave dans
l’image de l’être détaché et équanime
que nous cherchons à défendre. Une
vague de colère ou de tristesse nous
submerge, et le jugement retentit
d’autant plus sévèrement :
« Comment
puis-je en être encore là après
tout le chemin parcouru ? »
Devant tant de résistances face à nos
émotions pourtant si naturelles, ne
serait-il pas temps de changer de
regard ? Nombreux sont les spécialistes
du sujet qui nous invitent à
découvrir à travers elles une inestimable
énergie de vie, capable de
dissoudre les empreintes du passé,
de nous propulser vers notre croissance
et de révéler l’authenticité de
notre être.
Comment cela
fonctionne-t-il ?
« Imaginez un monde sans émotion, ce
serait un monde sans vie ! », s’exclame
Marie Laqueana Ponce, art-thérapeute.
Comme elle, de nombreux
autres psychologues et penseurs nous émotions. Ils nous rappellent qu’étymologiquement, l’
« é-motion » est de l’énergie en mouvement. Joie, tristesse, peur, colère, dégoût, surprise sont l’expression de la vie en nous, notre manière d’être
« en contact » avec la vie, présents à ce qui
« est ». Et chacune de ces émotions a son sens. Alors que la peur nous donne l’impulsion de nous protéger, la colère nous aide à poser nos limites. La tristesse permet de digérer les deuils, tandis que la joie nous dynamise. Grâce à elles, devant chaque situation, nous produisons une réaction adaptée qui régule notre organisme et préserve notre intégrité.
« Pleurer, crier, trembler, etc., sont des remèdes aux inévitables tensions de la vie », explique Isabelle Filliozat, auteur du best-seller
« Au coeur des émotions de l’enfant ». D’après cette psychothérapeute, en exprimant ses émotions, l’enfant affirme son identité, son individualité.
« Le sentiment de soi repose sur la conscience de ses émotions propres : je suis celui que je me sens être. Quand l’enfant n’a pas le droit de ressentir par lui-même, il ne se sent plus être », poursuit-elle.
Perdre le contact avec l’intelligence émotionnelle que nous portons en nous, c’est aussi risquer de se retrouver pris au piège de schémas répétitifs douloureux. Car par définition, l’émotion a besoin de se mouvoir, de circuler à travers nous, en étant accueillie et exprimée.
« Toute émotion bloquée, niée ou refoulée nous empêche d’évoluer et nous sautera tôt ou tard à la figure, reprend Marie Laqueana Ponce. Notre vision des choses est erronée : nous pensons qu’un événement arrive et déclenche une émotion, mais c’est tout le contraire : c’est parce que l’émotion est refoulée en nous que l’événement advient ! » Finalement, tout ce que nous attirons à nous ne serait que la conséquence de l’état actuel de notre corps émotionnel. Nous répétons inconsciemment les schémas qui y sont inscrits. Franck Lopvet, auteur du livre
« Un homme debout » , partage ainsi sa propre compréhension :
« La vie s’ingénie à nous mettre systématiquement dans les mêmes situations jusqu’à ce que, enfin, nous acceptions de ressentir ce que nous avons besoin de ressentir. En acceptant de nous laisser traverser par cette charge énergétique, nous dénouons le paquet émotionnel qui était resté coincé quelque part dans le grand canevas de notre
multidimension. »
D’où vient le stock
émotionnel ?
C’est souvent grâce à cette répétition de schémas douloureux que nous commençons à prendre conscience que nous sommes créateurs de notre vie et que nous acceptons de reprendre la responsabilité de notre existence, et de nos émotions. Pour Michael Brown, c’est essentiellement au cours de notre petite enfance, de zéro à sept ans, que notre
« empreinte émotionnelle » se dessine. Nous serions constamment en train de recréer la résonance émotionnelle de cette période jusqu’à ce que nous l’ayons pleinement intégrée.
« Nous possédons tous un thème dramatique principal qui se répète depuis que nous avons quitté l’enfance. C’est notre tragédie, notre talon d’Achille. Ce thème se manifeste par un éventail d’états émotionnels, par une histoire qu’on se raconte et qu’on peut identifier par un déroulement de circonstances physiques inconfortables. Fondamentalement, c’est une résonance, une énergie prise au piège dans le circuit de nos résistances », écrit-il.
La vie s’ingénie à nous mettre systématiquement dans les mêmes situations.
Pour Marie Laqueana Ponce, les émotions vécues dans la petite enfance ne seraient que la suite logique de celles ressenties dans nos vies antérieures.
« Tout se prolonge, nous précise-t-elle. Personnellement, j’ai eu une enfance sordide et au fil de mon chemin, de mes introspections, il est devenu évident que c’était une continuation de mes vies passées, tout était déjà là, tout continue d’être là. » Pour cette thérapeute, auteur du livre «
Le tunnel de l’oubli », nos émotions peuvent également venir de ce que l’on capte du champ collectif dans lequel nous baignons en permanence. Elle qui est très proche des animaux témoigne ressentir régulièrement dans ses méditations la souffrance du règne animal. Le psycho-praticien Stéphane Drouet le confirme :
« La physique quantique nous enseigne que toutes nos expériences sont stockées sous forme d’informations dans le champ d’énergie qui nous entoure, tel une base de données qui enregistre tout. Cette mémoire est disponible à tout être humain notamment au travers des émotions qu’il ressent. »
La clé
Il arrive un moment où nous en avons assez d’être conduits inconsciemment par nos vieilles empreintes émotionnelles. Alors, comment faire pour reprendre le volant de notre véhicule et participer librement à notre destin ?
« Pour être intégré, chaque aspect doit être ressenti », répond Michael Brown. Pour ce penseur américain, les événements déclencheurs qui nous déstabilisent émotionnellement sont des
« messagers ». Rien ne sert de
« tirer sur le messager » car la vie en possède une réserve illimitée ! Rien ne sert de vouloir tout quitter ou changer les circonstances extérieures de nos vies car c’est à l’intérieur que l’attention se doit d’être portée.
« Il s’agit de choisir d’être présents à notre douleur et à notre inconfort de manière inconditionnelle. Nous n’essayons pas de les réparer, les changer, les comprendre, les transformer, les guérir ou de les manipuler de quelque manière que ce soit. Il n’y a rien d’autre à faire que de leur être présents », écrit-il.
Dans cette optique, nul besoin de savoir précisément d’où vient l’émotion qui surgit. Ce qui importe est ce qui se passe dans le ressenti actuel et de vivre l’émotion telle qu’elle est, quelle qu’elle soit, sans jugement.
« Le but n’est pas de faire disparaître l’émotion mais le refus qui la sous-tend, explique le psychiatre Christophe Massin. L’acceptation permet de retrouver une circulation fluide, une véritable spontanéité. Ce n’est pas tant une technique, mais un état d’esprit, une intention de ne plus se protéger vis-à-vis de ce que nous portons en nous de plus dérangeant. » Isabelle Padovani, spécialiste de la communication non-violente ajoute :
« La douleur, la première flèche, n’est pas évitable. Mais la souffrance, notre “non” à la douleur, notre résistance mentale, elle, est évitable. Toutes les traditions spirituelles nous demandent d’essayer de cesser l’alimentation des émotions par les pensées et non de supprimer l’émotion pure. Celle-ci est de l’ordre de la “vivance” et le but de l’éveil est bien d’être vivant ! »
On le comprendra, la démarche exige une grande honnêteté et aiguise notre aptitude à être véritablement présent à ce qui est. Pour Michael Brown, nos multiples états émotionnels sont diverses qualités d’énergie qui servent différentes intensités de mouvement. Il nous appelle à rétablir une neutralité dans notre relation à ces énergies, sans en privilégier ni en bannir aucune sorte.
« Bien et facile ne sont pas des mesures de réussite. Ils sont même généralement des indicateurs d’évitement, de résistance et de déni », précise-t-il. Franck Lopvet le rejoint sur ce point :
« Être bien n’est pas une fin en soi. Si ressentir une émotion cataloguée comme négative me permet de libérer une charge émotionnelle qui me pèse depuis vingt ans, et bien je suis très content de pouvoir plonger dans cette douleur ! »
Réunification
et authenticité
Pour Franck Lopvet, qui postule que nos vies passées, présentes et futures coexistent simultanément, chaque émotion que nous acceptons de ressentir est une clé énergétique, une opportunité de récupérer un petit bout de soi dispatché dans les couloirs du temps, et par là même, une occasion de nous réunifier, de redevenir
« un ». Et la joie adviendrait du fait de savoir qu’on est en train de se réparer soi-même, depuis le
« multivers », à chaque instant de nos vies, à chaque émotion qui passe :
« Beaucoup de chercheurs spirituels parlent d’acceptation, d’amour inconditionnel, d’équanimité. Souvent, ils cherchent à fuir, car ils ne peuvent pas supporter la douleur de l’humain, la mort des enfants, le massacre des baleines, la déforestation... Ne voulant plus être bouleversés, refusant d’être fragiles et vulnérables, ils aboutissent à un mensonge qui est une fausse plénitude. Personnellement, j’en ai assez de me dispatcher. Par conséquent, j’accepte, ici et maintenant, de vivre toutes les émotions qui se présentent, simplement. Pour moi, le but c’est de retrouver la spontanéité de l’enfant, pleurer quand ça pleure, rire quand ça rit. »
Nos émotions peuvent venir de ce que l’on capte du champ collectif dans lequel nous baignons.
Au final, quand on accepte de ressentir tous les hauts et tous les bas que la vie nous amène, quand on accepte de se reconnaître dans tous les miroirs, autant dans les ombres que dans les lumières, quand on ne cherche plus à ne voir que les reflets positifs de notre image, quand on peut vivre notre véritable humanité dans notre défaillance comme dans notre solidité, on fait tomber les masques, l’authenticité jaillit et la paix advient.
« Heureusement nous sommes dans un monde binaire, relatif, où l’on peut faire l’expérience de la joie, parce que dans le monde de l’absolu, on ne peut pas. En se séparant parmi nos multiples incarnations, l’Unité se permet de sentir, de jouir des sens et de se rencontrer », conclut Franck Lopvet.