Si l’on vous demandait de représenter les silhouettes d’une personne accablée et d’une personne conquérante, il y a fort à parier que c’est par la position du dos et des épaules, plus ou moins droits ou voûtés, que vous chercheriez à exprimer la différence. Au quotidien et dans nos interactions sociales, notre posture s’ajuste essentiellement de manière inconsciente, aux facteurs extérieurs comme intérieurs, à nos pensées, sentiments, émotions, intentions…

À l’instar de nos cousins les grands singes, si nous nous sentons dominés ou menacés par un congénère, nous savons d’instinct prendre une position de soumission : baisser la tête, voûter les épaules et replier nos membres pour prendre moins de place et envoyer un message pacifique. Amy Cuddy, psychologue sociale américaine, a démarré ses recherches sur le langage non verbal de la posture en l’abordant de manière classique, sous l’angle de la communication… Avant de se poser la question de l’intériorité. Si la plupart des vainqueurs d’une course sportive marquent leur triomphe en levant les bras au ciel, des coureurs non-voyants le feront également : ce n’est donc pas un code d’imitation sociale. Ainsi, qu’est-ce qui, physiologiquement, pilote ces comportements inconscients ?

La biologie du vainqueur

Que se passe-t-il dans le corps ? Pourquoi les humains qui se sentent victorieux ouvrent-ils les épaules et prennent-ils de la place, tandis que les humains qui se sentent vaincus s’affaissent et se replient ? En mesurant les dosages hormonaux de testostérone (liée au dynamisme et au désir d’agir) et de cortisol (lié au stress et au repli), Amy Cuddy a pu corréler la posture physique d’ouverture et de victoire à un haut niveau de testostérone et un bas niveau de cortisol, l’inverse étant vrai pour les postures physiques de repli. Et si c’était la posture physique elle-même qui influait sur cet état hormonal ? C’est ce que la chercheuse affirme avoir prouvé dans ses études. En demandant à des volontaires de prendre des postures physiques d’ouverture durant deux minutes (bras en l’air, mains sur les hanches, dos droit, jambes ouvertes…) ou de fermeture (bras croisés, dos voûté, tête baissée, jambes croisées…), elle a mis en évidence une modification significative de l’équilibre testostérone/cortisol, de la confiance en soi, et des interactions qui en découlent, au point de proposer une méthode d’affirmation de soi passant par l’exercice de postures victorieuses ! Susana Bloch, professeure de neuropsychologie, directrice de recherche du CNRS durant 23 ans, avait dès les années 1960 orienté ses recherches en ce sens, et déterminé les « schémas effecteurs » qui peuvent, par un travail intentionnel sur la posture, l’expression du visage, le tonus et la respiration, induire précisément toute la gamme des émotions. Yves Marc, professeur de théâtre et formateur, créateur du Théâtre du Mouvement, utilise ces schémas depuis des dizaines d’années dans la formation des acteurs : « C’est une technique extrêmement puissante. Par le travail sur la conscience du corps, avec des schémas respiratoires précis, on peut créer l’émotion, c’est-à-dire la ressentir et non l’imiter. C’est purement la manifestation corporelle qui amène à l’émotion. »

L’expérience prouve donc que corps et psychisme dialoguent en permanence, notre posture physique pouvant être à la fois le résultat de notre état psychique… et sa cause. De nombreuses études et observations portant sur les personnes âgées ont mis en relief ce mécanisme. Les soignants savent à quel point la stimulation des capacités intellectuelles, les émotions positives, le maintien des liens affectifs ont des effets significatifs sur la mobilité physique, et à quel point il est important de l’entretenir pour conserver ses capacités cognitives. C’est bien une boucle de rétroaction qui est à l’œuvre, sans qu’on puisse précisément dire, à l’instant T, qui de la poule ou de l’œuf a lancé le mouvement et qui l’alimente.


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