Saint-Jacques
de
Compostelle,
chemin
initiatique

Depuis vingt ans, la fréquentation du célèbre pèlerinage croît de 10 % par an. Comment expliquer cette attraction ? Quel processus est en marche sur les routes de Saint-Jacques ?
Saint-Jacques de Compostelle, chemin initiatique
Lieux mystérieux
« Deux ans que j’en rêvais ! se souvient un pèlerin. La liberté, les grands espaces… Dès la première journée, j’avais des ampoules et une tendinite. »
Dans la nuit, sa tente gèle. « En la repliant, j’avais les doigts en sang. » Son corps souffre, il se dit qu’il n’atteindra jamais Compostelle, mais poursuit la route. Travaille sur son mental, sur sa douleur.
« Vis au jour le jour ; ne t’écoute pas, avance », se répète-t-il. Il continue d’avoir mal, mais un bonheur affleure : celui d’aller au-delà de soi, de retrouver une simplicité, une humilité. « À la fin, je parcourais sans souci quarante kilomètres par jour ! » En 2015, ils ont été plus de 262 000 à marcher vers Compostelle. Ce n’est pourtant pas la plus belle des grandes randonnées. Comment expliquer cet appel ? Pas par les reliques de Saint-Jacques… Mais l’intuition d’un bénéfice intérieur.
D’une vérité à y redécouvrir.


Une lueur dans la matière


Compostelle.
Campus stella : le champ de l’étoile – celle qui, selon la légende, indiqua à un ermite l’emplacement de la sépulture de l’apôtre Jacques. Ou bien Compost stella : l’étoile à l’intérieur du sol ? C’est-à-dire l’apparition d’une lueur dans la matière, signe pour les adeptes de l’Œuvre que celle-ci est prête à s’accomplir… « Le chemin est bien une voie de retournement et de régénération, un travail alchimique dont le laboratoire est le chemin, l’athanor le corps, et la matière première notre personnalité », indique Michel Armengaud, auteur du Pèlerinage à Compostelle : une quête spirituelle. Alors cap à l’ouest, c’est-à-dire l’occident, ce qui occit, détruit ; symbole d’une incitation à mourir à soi-même pour renaître, au gré d’un axe symbolique jalonné de ponts, de portes, de cols et de sanctuaires. Solve et coagula, disent les alchimistes : se laisser dissoudre par les épreuves du chemin, et se laisser reconstruire par ce qu’il apporte.

Confronté à l’effort physique, ainsi qu’à la perte de repères et de confort, le pèlerin use son corps, son mental et sa psyché. Soumis aux quatre éléments, ainsi qu’à la variation des ambiances et des ressentis, il transforme peu à peu « la dualité antagoniste en dualité complémentaire », dit Michel Armengaud : la ville, la campagne ; le bruit, le silence ; l’eau qui désaltère et celle de la pluie… L’un donne du sens à l’autre. Jusqu’à ce qu’éclose une conscience encore supérieure : « Un jour de grande fatigue, j’ai réalisé la triple dimension de nos êtres, témoigne Michel Armengaud. Ma raison me disait : que fais-tu là, rentre chez toi ! Mon cœur m’encourageait à continuer. Une troisième voix me permettait de distinguer leur dialogue. » Finissant par lâcher les pensées parasites, l’attention se focalise sur le chemin, le pèlerin s’immerge « dans l’océan de connaissance qu’offre le livre de la nature » : contempler les étoiles, ressentir la caresse du soleil, capter le parfum d’une fleur… Le respect et la solidarité qui se nouent entre les pèlerins confortent le sentiment de communion.

« On comprend que le sentier de la vie n’a pas pour aboutissement le salut individuel, mais la réconciliation de l’homme avec lui-même, avec les autres et avec le divin », estime Michel Armengaud. Jusqu’à ces moments de grâce, souvent étrangement opportuns : un paysage sublime en conclusion d’une journée difficile, un paysan qui indique le chemin ou offre l’hospitalité, quand on est perdu ou affamé… Le pèlerin est alors « prêt à voir surgir quelque chose de plus grand que lui, de plus grand que tout, en vérité », confesse l’écrivain Jean-Christophe Rufin dans Immortelle randonnée.


Achever l’Œuvre


Compostelle, fin du parcours ? Pour les alchimistes, la cathédrale n’est qu’une étape. « Le pèlerin y arrive par la rue de la Azabacheria, dont le nom évoque un minerai de couleur noire », indique Michel Armengaud. Il y entre à l’ouest par la porte de l’Obradorio, « qui fait référence à l’Œuvre et rougeoie au soleil couchant ». Il en ressort par celle des Platerias – en espagnol, plata veut dire « argent ». Noir, rouge, blanc… De plus en plus de pèlerins poursuivent leur route à l’ouest, jusqu’au cap Fisterra – « fin de terre ». Là, face à l’horizon, il est d’usage de brûler ses vêtements, purification ultime et point d’achèvement du dépouillement. « Autour de moi, tout s’unissait : le soleil, l’eau, l’air, la roche, comme en écho à ma propre harmonie, raconte une pèlerine. En voyant le soleil disparaître pour renaître ailleurs, j’ai réalisé ce qu’était l’aboutissement d’un chemin : un nouveau départ. » Traditionnellement, le voyageur repartait en marchant, vers l’est, le levant,
le renouveau, « la grande lumière » . Nous ne rentrons plus à pied, mais il nous appartient d’achever le Grand Œuvre, en
cultivant au quotidien les enseignements du chemin. Telle la pierre philosophale, la clarté qu’on y a entrevue doit
participer à guérir le monde. Et si on la perd… on reprend la route.

À
propos

auteur

  • Réjane d' Espirac

    Autrice et réalisatrice
    Réjane d'Espirac collabore à Inexploré par la rédaction de reportages, de récits, d'entretiens, et la réalisation de documentaires. ...
flower

À
retrouver
dans

Inexploré n°34

Alchimie

dernière parution

Alchimie… Le terme sonne comme l’étrange promesse de savoirs oubliés, de pouvoirs miraculeux et de secrets bien gardés. Mythe ou réalité ? Selon les légendes, elle pourrait transformer le plomb en or, rendre immortel… Mais quelle est la véritable histoire de l’alchimie ?
Longtemps confondue avec l’occultisme, les recherches récentes montrent qu’elle est bien plus que cela, beaucoup la considérant même comme le précurseur de la chimie moderne. Et si la quête de la pierre philosophale était une quête universelle et éternelle, celle de percer les mystères de l’univers et de la conscience ?
Plongée au coeur d’un monde plus vaste qu’il n’y paraît.

flower

Les
livres
à
lire

  • Le pèlerinage à Compostelle

    Le pèlerinage à Compostelle

    par Michel Armengaud

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