Et si l’enchanteur Merlin n’était pas seulement un personnage de légende, mais le reflet d’un ancien chamane ? De ses transes prophétiques à son lien avec
la nature et l’invisible, la figure du mage arthurien porte les traces d’un savoir ancestral. Des retrouvailles qui connectent aux racines spirituelles d’un mythe universel.
Savoirs ancestraux
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Le célèbre enchanteur de la légende arthurienne n’est pas qu’un magicien de contes pour enfants : la richesse de son mythe lui confère une dimension universelle et intemporelle. On le présente souvent comme un druide celte, un mage ou un prophète. Mais Merlin pourrait bien être tout cela à la fois – et peut-être même autre chose de plus essentiel. Alors… et si Merlin était un chamane ?
Les pouvoirs prêtés à Merlin par les récits médiévaux présentent d’étonnantes similitudes avec les pratiques des chamanes traditionnels. À commencer par la transe prophétique : dans plusieurs textes, Merlin connaît des accès de folie visionnaire. La littérature galloise ancienne le dépeint, sous le nom de « Myrddin », comme un être qui sombre dans une sorte de frénésie délirante après la bataille d’Arfderydd au VIe siècle ; cet épisode de démence le pousse à partir vivre en ermite dans la forêt. Ces moments d’ensauvagement évoquent le parcours initiatique de nombreux chamanes. Chez les peuples sibériens ou chez les peuples autochtones d’Amérique, l’apprenti passe en effet souvent par une phase de rupture avec la société, d’isolement dans la nature et de confrontation aux esprits, prélude nécessaire à l’acquisition de ses dons. De même, la folie de Merlin dans les bois cache un processus de transformation : retiré du monde des hommes, il apprend le langage de la forêt et des animaux, et en reçoit le don de prophétie. Son initiation est une épreuve et un dépouillement.
Le mage qui parle aux esprits
La communication avec l’invisible est un autre trait partagé par Merlin et les chamanes. Le devin de la légende arthurienne converse ainsi avec des entités que nul autre ne perçoit. Dans L’histoire des rois de Bretagne de Geoffroy de Monmouth, chroniqueur gallois (XIIe siècle), le jeune Merlin dévoile par exemple l’existence de deux dragons enfouis dans une grotte, cause occulte de l’effondrement d’une tour, une vision que seul son œil intérieur de mage pouvait appréhender. Cette capacité à dialoguer avec les esprits ou les forces cachées de la nature fait écho aux rites chamaniques, au cours desquels le praticien invoque les esprits d’ancêtres, de totems animaux ou de la terre pour obtenir des révélations.
Autre point commun majeur : la métamorphose et le voyage entre les mondes. Les romans du Moyen Âge attribuent à Merlin la faculté de prendre l’apparence d’un animal, cerf majestueux ou faucon, et même de traverser les airs. Des talents étrangement proches de ceux des chamanes, capables de projeter leur âme hors de leur corps, de parcourir les mondes céleste et souterrain, ou de prendre symboliquement la forme d’un oiseau.
Faut-il y voir une simple coïncidence ? Pour Philippe Walter, professeur de littérature médiévale, et auteur de Merlin ou le savoir du monde, la réponse est claire : non. Les aventures de Merlin puisent selon lui dans la « tradition chamanique indo-européenne ». Autrement dit, derrière le Merlin littéraire se profilerait le souvenir d’antiques hommes-médecines. Philippe Walter souligne que les écrivains du Moyen Âge n’ont pas inventé de toutes pièces la figure de l’enchanteur : ils s’inspiraient de légendes orales bien plus anciennes, elles-mêmes héritées de mythes eurasiatiques où le chamanisme tenait lieu de pivot central. Merlin serait ainsi l’héritier d’une lignée de « prophètes sauvages » remontant à la nuit des temps, à l’image de ses analogues celtiques Lailoken en Écosse et Suibhne Geilt en Irlande, tous poètes inspirés, mi-fous mi-sages errant dans la nature. Même sa venue au monde légendaire rappelle des thèmes chamaniques : un être surnaturel qui féconde une mortelle, laquelle donne naissance à un enfant à mi-chemin entre l’humain et l’Autre Monde.
Une mémoire chamanique sous la plume des clercs
Si Merlin puise aux racines du chamanisme archaïque, sa figure n’est pas demeurée intacte au fil des siècles. La version que nous connaissons aujourd’hui a été façonnée par des siècles de réécritures et de filtrage culturel. Au Moyen Âge, notamment, le Merlin sauvage des traditions celtiques est peu à peu domestiqué, christianisé pour correspondre à la sensibilité des cours féodales. Les récits gallois primitifs et bretons, dans lesquels Merlin apparaissait comme un homme des bois illuminé de sagesse, ont été recyclés par les clercs des XIIe et XIIIe siècles dans leurs romans en prose. Cette domestication littéraire passe d’abord par une christianisation du mythe. Geoffroy de Monmouth introduit l’idée selon laquelle Merlin est le fils d’un démon et d’une vierge. Cette origine diabolique justifie aux yeux des clercs ses pouvoirs surnaturels, tout en faisant de lui un être que le baptême et la volonté de Dieu ramèneront du bon côté. Plus tard, Robert de Boron intègre Merlin à la quête du Saint Graal : dans son Merlin en prose (vers 1200), l’enchanteur devient le prophète providentiel annonçant la venue du Graal et guidant les élus vers cette relique sacrée. Ainsi, le Merlin chamanique et païen s’efface peu à peu derrière un Merlin prophète providentiel au service du plan divin. La figure subversive du druide païen est neutralisée : Merlin n’est plus le conseiller ambigu d’Arthur, mais un agent de la chrétienté naissante.
Philippe Rosset est écrivain, enseignant, poète et voyageur. Ses intérêts s’étendent à l’archéologie, à l’étude des sagesses anciennes et à l’exploration de la conscience.
Son travail repose sur une approche interdisciplinaire, au carrefour de la mythologie, de la philosophie, de la littérature et de la science. Dans son livre « Merlin, la magie de la conscience », publié aux éditions Véga, Philippe Rosset avait réussi à synthétiser l’ensemble des thématiques qui occupent les recherches sur le ...
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