Et si la synchronicité n’était qu’une autre manière de concevoir le temps ? Déroulons les principaux angles d’observation du temps qu’offrent les physiciens, et leurs conséquences sur notre perception.
Sciences
T. Luadthong
Pour qu’un coléoptère
Cetonia aurata se jette contre la fenêtre de Jung à la seconde où une patiente lui dit qu’elle a rêvé d’un scarabée d’or, il a fallu que s’agencent, très en amont de l’incident, les éléments nécessaires. Comme on planifierait une collision entre deux trains : ils doivent partir à l’heure, et tous les feux et aiguillages doivent être préréglés de manière ad hoc. Ceci contredit ce que la science nous a répété durant trois siècles : le monde est soumis à des lois causales ; le temps est un fleuve qui charrie les effets toujours du passé vers le futur ; aucune information ne saurait jouer au saumon – a fortiori pour, dans le passé, orchestrer les cascades d’événements qui produiront une synchronicité. Le caractère improbable d’une synchronicité est lié à l’idée que nous nous faisons de la causalité et du temps.
Le tempo de l’univers
Depuis que les scientifiques décrivent le monde au moyen de lois universelles, le temps est l’une de ses « grandeurs physiques » stars. La variable t intervient dans le calcul des vitesses, des accélérations, des fréquences, de l’énergie cinétique ; dans la modélisation de tout ce qui bouge et se transforme. Or l’univers est fondamentalement dynamique ; il évolue : on le sait mieux depuis Darwin, plus encore depuis Hubble… Depuis le big bang, le cosmos se métamorphose et crée de la nouveauté. C’est grâce à cette caractéristique que nous sommes là. Depuis Newton, la variable t a traversé des révolutions scientifiques, et son interprétation a changé. Mais c’est toujours la star : en physique quantique, en relativité, en thermodynamique, dans la théorie du signal... Le temps est la grandeur physique qui donne le tempo et dont dépendent presque toutes les autres. C’est aussi la mieux mesurée : les horloges atomiques, indispensables à notre confort moderne, scandent t avec une précision d’une seconde pour… l’âge de l’univers. Nous pourrions croire qu’un temps si précisément mesuré et qui rythme notre quotidien n’a plus de secret pour les physiciens. C’est une vieille connaissance, certes ; mais qui nous surprend sans cesse en révélant de nouveaux aspects de son identité.
La flèche du temps
Dans la physique classique, le temps est la coordonnée d’une matière en mouvement dans l’espace, lequel est considéré comme un cadre aussi passif qu’une table de billard. Mais avec Einstein, le temps de vient quatrième dimension : espace et temps s’imbriquent comme les fibres entrecroisées d’un tissu, faisant de l’espace-temps un tout indivisible, en mouvement, déformé par, et agissant sur ce qu’il contient. La boîte de Pandore de la multidimensionnalité s’ouvre à la théorie des cordes qui suppose l’existence de onze dimensions d’espace-temps, dont la plupart échappent à nos perceptions. Diverses théories spéculent sur des dimensions de temps supplémentaires. Avec d’autres dimensions, notre « maison » s’est considérablement agrandie : nous habiterions un « multivers » composé d’une infinité de cosmos. Mais notre rapport au temps diffère beaucoup de notre rapport à l’espace. Chacun se déplace comme il veut dans l’espace, à gauche, à droite, en avant, en arrière ; le temps, lui, nous entraîne. Il est tapis roulant, et pas vraiment
dance floor. L’asymétrie entre passé et futur est une évidence : les châteaux de sable ne s’érigent pas tout seuls à partir d’un tas de sable, les glaçons ne réchauffent pas notre whisky, et aucun Benjamin Button, à ce jour, n’a été recensé.
Cette flèche du temps prédit que les choses iront spontanément de l’ordre vers le désordre, de la complexité (improbable) vers l’uniformité (probable) ; elle nous dit que l’information s’évapore si l’on ne fait rien. La vie, qui fait précisément l’inverse, apparaît comme une contradiction – ou plutôt, un contrepoint local – à cette loi. Cette flèche du temps est un constat, mais son origine reste un mystère. En effet, toutes les équations de la physique, fondamentalement, sont réversibles par rapport au temps ; rien ne devrait permettre de distinguer si le projectionniste a passé le film du monde à l’endroit ou à l’envers. Cette différence entre passé et futur, les physiciens l’appellent une propriété émergente, une « brisure spontanée de symétrie ».
« Le cours du temps permet d’établir une différence de statut (mais pas de nature) entre les instants passés et futurs : sur la ligne du temps, demain n’est pas situé à la même place qu’hier. La flèche du temps, quant à elle, est la manifestation du devenir », précise Étienne Klein. Plus précisément, la flèche du temps est la condition du devenir, qu’il ne faut pas confondre avec notre sens de l’écoulement du temps : le relief de la montagne n’est pas la randonnée.
Le temps n’existe pas ?
Une mode récente chez les physiciens théoriciens est d’affirmer que, fondamentalement, le temps n’existe pas (1). À l’instar des matérialistes qui, parce que leurs algorithmes peuvent singer l’empathie ou la composition musicale, prétendront que la conscience n’a pas de réalité, les physiciens concluent au caractère illusoire du temps parce que leurs modèles peuvent se passer de la variable t. Pour ces « éternalistes », « l’univers-bloc » est une globalité où tout est donné d’emblée, où passé et futur sont mélangés. Le présent y perd toute signification. Les « histoires » des choses et des êtres y sont des « lignes temporelles », serpentins de peinture figés dans une toile de Pollock. C’est une vision atemporelle mais aussi déterministe, peu compatible avec la vision probabiliste du monde que nous a donnée la physique quantique. Pour Julian Barbour, il n’existe que des « maintenant » ; notre sens d’une continuité temporelle serait illusoire. Selon une théorie du mathématicien Alain Connes et du physicien Carlo Rovelli, le temps serait une propriété thermodynamique émergente, comme la température. Qu’elle soit placée au big bang ou ailleurs, l’origine du temps demeure un mystère. La réflexion sur l’intemporalité de l’univers prend des airs de débat métaphysique : Dieu omniscient connaîtil le futur ? Ou s’intéresse-t-il au devenir et au potentiel créatif de sa création ?
(...)
L'accès à l'intégralité de l'article est réservé aux abonnés « Inexploré digital »
Morvan SALEZ est docteur en astrophysique et techniques spatiales. Ancien chercheur au CNRS, il a reçu le prix Antoine d’Abbadie de l’Académie des Sciences pour la réalisation avec son équipe d’un instrument de l’Observatoire spatial Herschel, lancé par une fusée Ariane en 2009. Il s'intéresse à de nombreuses recherches allant de la physique fondamentale à la biologie.
Il est aussi conseiller scientifique, romancier, scénariste, auteur-compositeur interprète, activités auxquelles il se consacr ...
À
retrouver
dans
Inexploré n°35
Synchronicité
Hasards, coïncidences, rencontres fortuites... Autant de termes que nous utilisons pour rationaliser la théorie de synchronicité initiée par Carl Jung. Pouvons-nous la contrôler ou en avoir l’intuition et nous relier à son pouvoir éclairant ? Que disent les scientifiques à son sujet ? Et si ce concept était lié à notre compréhension du temps et connecté au monde des rêves ?
Le gouvernement vient d’annoncer un nouveau plan cancer, destiné à lutter contre le fléau. Et si c’était l’occasion d’interpeler la médecine sur les causes profondes de nos maladies et les moyens de mobiliser nos forces de guérison?
Considérés comme des drogues dangereuses, les psychédéliques constituent
pourtant une véritable thérapeutique, de plus en plus étudiée par les scientifiques et
les praticiens. Mais au-delà du soin, ils ont également la capacité d’ouvrir l’esprit et la
conscience. Retour sur l’amalgame drogue/psychédélique, qui n’est ...
C’est à la fois l’emblème féminin le plus connu du christianisme et finalement le personnage que l’on connaît le moins. Plusieurs auteurs se sont penchés sur les mystères de la Vierge, et ont révélé une femme bien plus forte et ...
24 janvier 2021
La Vierge Marie - Souveraine inspiratrice du christianisme
Sur les souhaits repose un essentiel de la pratique spirituelle du bouddhisme et de l’hindouisme. Leur puissance transformatrice révèle à la fois la force de l’esprit humain, mais aussi ses capacités d’amour, dans l’intention altruiste et le désir d’éveil qui ...
Comment une truie peut-elle devenir le messager d’éveil d’une âme en quête de sens ?
Romancière de l’intime, chroniqueuse jubilatoire pour France Inter, Isabelle Sorente nous amène droit au cœur de la souffrance animale et nous convie à éveiller nos consciences, ...
De moins en moins pratiqués, ou dénaturés par les impératifs de notre société de consommation, les rituels familiaux tendent à disparaître. Pourtant, ils s’avèrent être un socle pour la famille,
une occasion de resserrer les liens, mais aussi d’accompagner les jeunes ...
Entre les synchronicités et l’Univers, il y a nous qui vivons ces étranges coïncidences. Et si la physique quantique résonnait avec ce qui se passe dans la conscience ? Rencontre avec un chercheur passionné de la psyché et de ses ...
Aujourd’hui, le lien existant entre un propriétaire et son animal de compagnie est davantage admis et compris. La perte de celui-ci est désormais considérée comme un véritable deuil. Une nouvelle conscience qui se retrouve dans la pratique des vétérinaires. Devenus ...
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement
technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour
permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et
sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de
cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces
cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur
notre site.
[En savoir plus][Accepter][Refuser]