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La
fausse
fatalité

Notion souvent mal comprise des Occidentaux, faisant l’objet de nombreuses interprétations chez les maîtres d’Orient dont il est originaire, le karma serait un élément déterminant pour nos vies. Essayer d’en saisir quelques aspects pourrait nous aider sur notre chemin.
La fausse fatalité
Savoirs ancestraux
Parfois associé à tort à une idée de destin ou de fatalité, le karma, en sanskrit, signifie « acte » ou « action » et nécessite une compréhension particulière du temps et du continuum de la vie. En effet tout acte physique, oral ou mental entraîne une conséquence positive, négative ou neutre, mais dont la rétribution ne se ferait pas forcément dans l’immédiat. Ce serait l’accumulation, ainsi que la réunion d’un certain nombre de conditions, qui feraient que le karma arriverait « à maturité » et engendrerait des « rétributions ». Le karma est donc indissociable de la notion de réincarnation, ce qui en retire une vision globale à l’individu qui n’a accès qu’à sa vie actuelle. D’où cette tentation de penser qu’on ne peut agir dessus, qu’on en est tributaire. Il est cependant possible d’en comprendre les mécanismes ainsi que la responsabilité qui en découle.


Karma originaire


Dans les traditions indiennes, la notion de karma, bien que signifiant « acte », ne revêt pas toujours les mêmes conséquences. Les écrits Upanishads de l’Inde des Ve et VIe siècles soulignent l’importance pour l’humain d’assumer ses actes, associés aux cycles des renaissances. Chez les jaïns de l’Inde également, le but de l’existence est de n’accomplir que des actes vertueux afin de blanchir son karma. Le bouddha originel a transmis cette notion en expliquant l’importance de la compréhension de la production conditionnée des phénomènes, c’est-à-dire du caractère transitoire et impermanent de toute chose. Pour le courant des theravâda du Sud-Est asiatique, seule l’intention volontaire compte et il existe un certain nombre de « résultats » qui ne sont pas issus de karmas antérieurs, car ce courant accepte l’existence d’un monde extérieur. Dans toutes les écoles, le karma est « une intention, indispensable à la perception des objets, dont la fonction permet à l’esprit de se diriger. C’est un mouvement de la pensée momentané. Chaque intention laisse une trace karmique appelée empreinte, une énergie potentielle véhiculée par l’esprit qui en est imprégné, infléchissant les choix futurs et créant des automatismes d’action », explique Philippe Cornu, historien du bouddhisme, dans son encyclopédie (éd. Seuil). Le karma est donc constitué d’une intention et son développement provoque une rémanence dans la conscience, suivie d’actes, car la pensée est action, puisqu’elle est créatrice ne serait-ce que de vibrations et d’états de l’esprit. Ce sont les conséquences de ce mécanisme qui prendraient forme dans nos vies.


L’illusion du moi


Avec l’idée d’une action, il y a la notion illusoire d’un « je » agissant, ce qui implique le binôme cause/effet. Comme l’explique Jean-Philippe Galdi, qui transmet les enseignements de Swāmi Brahmānanda, frère spirituel de Yogananda, « le mot karma désigne cause et effet dans le fonctionnement du mental, dans notre comportement et dans l’univers. Il y a une cause à la situation présente, mais aussi à l’émotion présente. Le sens du moi, “je pense, je parle, je fais, j’agis”, est une illusion parce que dans l’unité de la pensée, il n’y a pas de dualité ». Si notre façon de penser est erronée, car motivée par l’ego, elle se charge d’une émotion face à une situation et elle va créer un karma. Tant qu’il y aura cette illusion, des émotions s’élèveront et engendreront du karma et donc des conséquences par ricochets. Philippe Cornu précise : « Tout acte intentionnel destiné à perpétuer le sentiment du moi crée un karma, motivé par l’ignorance et le désir d’une identité durable. »

Chaque intention laisse une trace karmique appelée empreinte.


Faisant fi de l’impermanence et du caractère transitoire de toute chose, produit momentané de conditions multiples, nous perpétuons un cycle infernal d’actes essentiellement destinés à maintenir nos croyances et notre confort égotique. Chez les bouddhistes tibétains, « le karma naît d’une intention égocentrique produite par la croyance au “moi” (…) qui n’a pas d’existence réelle, mais le karma, ou acte intentionnel, est une tentative toujours renouvelée de lui forger une réalité », explique Philippe Cornu, l’ego étant avide d’exister, il répète les actes qui vont conforter son illusion. Ainsi vont s’élever dans l’esprit des émotions éphémères, pourtant à l’origine de nombreux actes, générant du karma.


En Occident


Dans l’adaptation occidentale du concept de karma, on retrouve toujours l’idée de vies antérieures, sans lesquelles la continuité des rétributions n’aurait pas de sens. Mais alors, comment agir sur notre karma s’il s’est créé lors de vies passées ? Claire Thomas, médium et karmathérapeute, explique que l’on peut alléger les informations et les schémas karmiques que l’on répète de siècle en siècle, notamment en portant à la connaissance les mécanismes. « Le karma, c’est trois choses : premièrement, l’âme et l’ego. On arrive avec cette dualité, ce yin et ce yang, cette partie blanche qui est l’âme et cette partie noire qui est l’ego. La deuxième partie, c’est une loi qui dit : “Je fais du positif, j’attire du positif. Mon âme vibre avec des informations qu’elle va envoyer et je vais avoir le reflet de ce que j’envoie”. La troisième partie, c’est de l’information. On arrive sur terre comme un “œuf” plein d’informations. On peut le casser jusqu’à devenir totalement léger en nettoyant les blessures les plus profondes, en se libérant des informations dont on n’a plus besoin aujourd’hui », explique-telle.

Puisque nous sommes sur un chemin que notre âme choisirait afin d’évoluer, d’expérimenter et de se développer, le karma serait, également dans le regard occidental, à l’origine de nos retours incessants. « Le karma nous permet de nous réincarner parce qu’on ne règle pas tout en une vie. Nous revenons avec ce que nous n’avons pas terminé, pour nous libérer de souffrances devenues inutiles, comprendre que nous devons lâcher toutes ces règles, ces illusions qui nous gouvernent, que nous avons créées et acceptées », précise Claire Thomas. Paradoxalement, nous aurions voulu venir sur cette terre pour créer des illusions et, ensuite, pouvoir nous en détacher.


Se libérer


Au regard de la tradition bouddhiste, il existe plusieurs manières de se libérer du karma, ou du moins d’en alléger les conséquences. Bien qu’un karma arrivé à maturité ne puisse qu’être accueilli, il serait possible d’agir sur celui non encore advenu, ou encore potentiel. Les pratiquants se voient proposer un certain nombre de méditations, de mantras ou d’actions à faire en vue de « purifier » le karma, car il serait possible d’équilibrer les effets négatifs en faisant de bonnes actions et ainsi de couper avec les habitudes.
La rencontre avec un maître éveillé est également dite révélatrice, car elle permettrait de changer sa vision. Jean-Philippe Galdi explique : « Aux côtés d’un être qui a réalisé qu’il n’y a pas de cause et d’effet, ni de “je agissant”, on peut percevoir la totalité de l’instant présent comme étant conscience. La lumière de sa présence nous transmet cette unité, dans une transparence qui se révèle en nous, et l’illusion de la dualité prend fin. » Dans cette optique, le karma devient une notion précieuse, car il nous motive, il nous pousse à être conscients de nos actions, mais aussi à rechercher la libération. « Tant qu’on ne reconnaît pas notre véritable nature, nous menons une réflexion afin de réaliser qu’il existe une loi d’interdépendance entre l’intérieur et l’extérieur. Finalement, le plus beau karma, c’est d’avoir un corps humain, car cela signifie avoir les conditions de se libérer totalement de l’illusion de la dualité », ajoute l’enseignant.
Prendre conscience qu’il n’y a pas de dualité permettrait de cesser de générer les émotions perturbatrices à l’origine du karma. Puisque tout est « un », et si l’ego n’est plus pris au sérieux, nous n’avons plus besoin d’être en réaction à ce qui nous arrive. S’il n’y a plus de séparation, il n’y a plus de « combat » ni de « survie » face à l’altérité. Mais finalement, comme dit l’adage bouddhiste, « si la montagne était lisse, nous ne pourrions pas la gravir », ce qui sous-entend que les épreuves nous permettent de nous améliorer, de comprendre qui nous sommes et de faire évoluer notre âme.


L’instant présent, c’est le futur


D’ici là, nous avons la possibilité d’agir pour notre futur, en prenant conscience que les actes que nous commettons dans l’instant sont porteurs du karma de demain. C’est là que se joue notre libre arbitre, en générant des actions qui auront des conséquences positives ou négatives, selon notre choix. Même s’il serait plus constructif de sortir du jugement bien/ mal, le fait de concevoir que tout acte a ses conséquences nous rend responsables de nos actions. Elijah Ary, enseignant du bouddhisme et réincarnation reconnue d’un maître tibétain, explique que la maturation d’un karma a aussi de bons côtés. Si quelque chose de difficile nous arrive, nous allons avoir tendance à nous décourager et penser que c’est notre « mauvais karma », si cela est advenu, nous ne pouvons en effet plus rien y faire.
« Cependant on n’est pas obligé de continuer à le subir. Pas besoin d’être fataliste, car si on le tourne autrement, le mûrissement d’un karma négatif, c’est le résultat de quelque chose du passé, mais en se réalisant, il s’allège. Cela ne veut pas dire qu’on a un stock de plus en plus grand ! On pourrait se dire “ouf c’est fini”, comme un soulagement ! », commente Elijah. Puisque tout est intention, la manière dont nous accueillons ce qui nous arrive est également génératrice de karma pour demain. Le maître zen Olivier Wang-Genh associe la notion de karma avec l’instant présent : « C’est maintenant que tu renais. C’est maintenant que tu te réincarnes. C’est de ce maintenant que nous apparaîtra l’instant suivant. Voilà la réalité du karma : c’est l’action de maintenant qui crée les conditions. »
En se reconnectant avec l’instant présent, avec l’éthique de l’action juste, nous créons notre avenir, et ainsi peuvent se déployer la compassion et la relation à l’autre, puis la vision juste de l’univers, et l’éveil qui absout la dualité. Ainsi, nous cesserons de créer du karma et nous sortirons du cycle des réincarnations successives.

La méditation libératrice
La méditation est l’un des outils nous permettant de comprendre l’utilité de l’incarnation. Grâce à ce corps, nous pouvons prendre conscience de la souffrance et du cycle des renaissances. En travaillant avec notre esprit dans la méditation qui associe le corps, nous pouvons dissiper les voiles, apaiser le mental et réduire l’importance de l’ego. Et inversement « une compréhension juste du karma aide à dissiper le problème rencontré dans la méditation. La méditation est une technique, mais aussi une partie vitale du développement éthique », précise l’enseignant Traleg Kyabgon dans son ouvrage (1). Il est reconnu chez les bouddhistes du courant tibétain que le mantra Om Mani Pedme Hung, récité lors de méditations, libérerait de mauvais karmas en nous connectant à l’amour et la compassion.

(1) Traleg Kyabgon, Le karma - Ce qu’il est - Ce qu'il n'est pas - Pourquoi il est important , Éd. Ifs, 2017.


À
propos

auteur

  • Mélanie Chereau

    Journaliste et rédactrice en chef adjointe d'Inexploré magazine
    Melanie Chereau est journaliste et auteur de plusieurs ouvrages. Ses thèmes de prédilection sont la spiritualité, la naturopathie et les médecines douces. Elle pratique le bouddhisme depuis plus de 17 ans, est formée en Reiki et en aromathérapie. ...
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