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sauvage,
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quoi
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Sept ans d’immersion en nature sauvage, dans la forêt de Louviers (Normandie). C’est le temps qu’a passé Geoffroy Delorme, alors âgé de 19 ans. Seul, sans abri, avec la nature et les animaux pour seule compagnie. Sa rencontre « extraordinaire » avec un chevreuil va lui ouvrir les portes d’un autre monde et lui donner les clés pour faire « un » avec son environnement. L’auteur nous partage son expérience.
7 ans de vie sauvage, ça ressemble à quoi ?
Nature

Sept ans de vie en nature sauvage, c’est un sacré challenge ! Comment cette aventure a-t-elle débuté ? Votre enfance vous y a-t-elle préparé ?


Mon enfance a été singulière. Mes parents avaient choisi l’option de l’école à la maison. Sur le plan social, j’étais totalement isolé, je n’avais pas de copains. Nous vivions en lisière de forêt. Il m’arrivait de m’endormir en priant pour que je me transforme en renard, capable au petit matin de m’enfuir en trottinant vers cette immensité sylvestre qui me faisait tant rêver. L’école par correspondance me permettait de gérer mon temps à mon gré. Ainsi, je passais mes loisirs à flâner, observer, contempler, m’imprégner des sons, des bruits, des odeurs… merles et sansonnets étaient devenus mes amis.


À la lecture de votre livre, il y a comme une évidence pour vous à vivre en forêt !


J’ai vécu cette expérience comme une initiation, un passage auquel je ne pouvais me soustraire, avec des étapes à franchir et des paliers à respecter. De nombreux obstacles se sont présentés : on ne va pas se mentir, c’est plus difficile de vivre dans la nature sauvage qu’en société. Nous sommes hyperprotégés et totalement pris en charge. Dans la nature, nous sommes face à nous-même, avec l’obligation d’activer nos capacités de survie, pour faire face au froid, à la faim, aux animaux. Trouver un abri, se nourrir et dormir est loin d’être acquis.

Ce qui m’a poussé à poursuivre l’aventure a été cette passion, un peu folle, de la forêt. Elle m’a permis de faire de cet environnement mystérieux et inquiétant l’objet de ma quête : découvrir une nouvelle façon « d’être » et non « d’avoir ».


Vivre seul en forêt demande un apprentissage. Quel est votre premier conseil ?


Développer une connaissance relationnelle avec la nature. Au début, le premier réflexe de « survie » est de construire une cabane, pour se protéger, du froid, de la pluie, des animaux. Les priorités tournent autour de ce qui est utile, de ce qui ne l’est pas. C’est un peu une lutte « contre », et puis au fil du temps, il y a un lâcher-prise. Mon approche n’a rien à voir avec le survivalisme. L’idée maîtresse est : comment accepter au mieux les contraintes ? La prise de conscience de l’environnement, ici la forêt, est la clé pour vivre en immersion. Alors émerge une nouvelle philosophie.


Dans cette immersion en nature, l’animal a été votre guide. La rencontre « extraordinaire » avec un chevreuil, le départ d’une amitié de 7 ans, a orienté la plupart de vos comportements en forêt. Racontez-nous.


J’avais trouvé l’excuse de la photographie animalière, je passais des heures entières en attente, j’observais. Au fur et à mesure de mes sorties forestières, les animaux sauvages reconnaissaient mon odeur, mes attitudes. Ils m’acceptaient dans leur environnement. Puis, un matin, j’ai croisé ce chevreuil. Nous sommes restés longtemps à nous regarder, nous sentir… Il se montrait curieux. Il fallait que j’en sache plus sur cet animal. Ma passion pour la vie sauvage a vraiment commencé avec lui… J’en ai croisé d’autres, mais avec Daguet, le nom que je lui ai donné, une histoire a commencé.

Apprendre à le connaître m’a donné des clés pour mon immersion. J’ai cherché à comprendre ce qui se passait entre nous, et j’en suis arrivé à cette conclusion : notre rencontre a eu lieu lors d’une phase de quête de territoire chez les chevreuils. Pour ne pas « subir » ma présence sur le sien, l’animal a cherché à m’intégrer. À force de nous croiser, il m’a accepté. Nous nous sommes presque testés, en quelque sorte. Quels étaient les risques pour chacun de nous ? En nature sauvage, il y a des relations qui se nouent presque par nécessité. Nous étions sur le même territoire et nous partagions les mêmes conditions de vie : une tempête, un prédateur, la recherche de nourriture. Quand il n’y a pas de hiérarchie, une relation est possible. Nous apprenons les uns des autres… un principe qui vaudrait également hors de la forêt, avec les humains.


En étudiant leur comportement, vous avez pu adopter de meilleures règles de vie, notamment pour votre sommeil. C’est-à-dire ?


En forêt, il faut renoncer à certaines conventions, telles que manger à heures fixes, ou dormir la nuit. J’ai découvert la complexité de la vie nocturne. Impossible de faire des nuits complètes. Chouettes, renards, sangliers font un vacarme assourdissant. S’ajoute le froid. Au bout de quelques semaines, le manque de sommeil me provoquait des hallucinations. Si je voulais survivre, je devais adopter une stratégie différente. C’est en observant les chevreuils que j’ai trouvé ma réponse. Le repos se fait par cycles courts dans la journée comme la nuit, une à deux heures en moyenne, en fonction du climat. J’ai décidé d’adopter ce rythme.

Les chevreuils mettent du temps avant de se coucher, ils cherchent, ils grattent le sol, et ils se couchent. Les animaux savent repérer les endroits les plus énergisants… J’en ai fait l’expérience, alors que je me sentais épuisé. L’un d’eux m’a cédé sa place, et à mon réveil, je me suis senti « ré-énergisé ». Grâce aux chevreuils, j’ai développé mon ressenti tellurique.


L’autonomie alimentaire est cruciale en immersion nature. Les plantes semblent ne pas avoir de secrets pour vous ! Comment avez-vous acquis cette connaissance ?


Mon père était féru de botanique. Je n’ai pas reçu de transmission de connaissance, je dirais que je me suis montré attentif lors de nos promenades qui duraient des après-midis entières, à la rencontre des plantes. J’ai approfondi cette base didactique avec des bouquins de botanique, j’ai étudié, regardé ce qui se mange, ou pas. Tout le monde peut s’y mettre. Il faut respecter la période d’apprentissage pour différencier les plantes comestibles des autres. Ortie, menthe, origan, lamier… L’angélique, par exemple, personne n’en cueille, elle ressemble à s’y méprendre à la ciguë, une plante mortelle. J’ai fait des erreurs bien sûr, avec l’oseille par exemple, qui pourrait paraître l’alliée de nos salades. Eh bien, en grande quantité, elle est toxique.

Dans un deuxième temps, j’ai observé les animaux. Pour trouver à manger en forêt, il faut se créer un territoire qui concentre nourriture et protection. J’ai commencé par reproduire l’organisation des écureuils. Je cachais nourriture, eau potable et outils au pied d’un arbre… Une cache vite dévastée par les sangliers… C’est ensuite en les suivant, eux, les renards, les blaireaux, que je me suis également initié au chapardage. Puis les chevreuils m’ont montré la voie. Pour survivre, la stratégie la plus efficace consiste à consommer ce qui est à sa disposition. Je faisais sans le savoir de l’éthologie, pour devenir peu à peu l’hôte de la forêt.

L’autonomie totale est un objectif que l’on atteint au terme d’une longue transition.
Cela ne s’improvise pas.


Quelles sont les expériences qui vous ont le plus marqué ?


Sans hésiter, une naissance et une mort… Un matin de juin, dans la fraîcheur de l’aube, une de mes amies chevrettes, Étoile, met bas sous mes yeux. Le plus beau cadeau que la vie puisse nous offrir. J’ai ressenti au fond de moi une immense joie, comme si c’était moi qui l’avais mis au monde. Plus tard, je vais assister à la mort de mon amie, lors d’une chasse, sans que je puisse la sauver. Tenaillé entre la culpabilité de n’avoir rien pu faire et l’acceptation de cette vie fauchée par une balle, je lui ai offert une cérémonie. La terre étant trop difficile à creuser, je me suis résolu à lui offrir une sépulture discrète, en la recouvrant de mousse et de fougères, le tout surplombé par un petit toit. La vie en forêt m’a replacé dans les grands cycles de la vie.


Vous insistez sur l'aspect d'une nouvelle conscience. Que voulez-vous dire ?


L’immersion en nature sauvage repose sur une adaptation physique et mentale qui demande du temps. Cela commence par le simple fait d’aller dehors par tous les temps, et de plus en plus longtemps. Pour une rencontre environnementale et climatique. La peau, le corps va s’habituer. Le mental peut se mettre en alerte sur les dangers encourus : froid, chaud, faim, animaux… Bien sûr, il y a des risques. Il faut réussir à se balader dans cet entre-deux, à naviguer. Il y a une conscience à aiguiser, corps/mental/conscience… Le premier travail dans le sens de cette connaissance relationnelle se fait avec notre corps, notre premier écosystème, notre territoire. Alors il est possible de partir à la rencontre d’autres contrées, qui vont nous faire grandir.


Votre récit est ponctué des mots « liberté » et « sauvage ». Est-ce que ce sont les cadeaux de cette aventure ?


Nous avons souvent une idée faussée de la liberté. Il ne s’agit pas de faire ce qu’on veut quand on veut, qui s’apparente davantage au chaos. La liberté est liée à une contrainte. Si on souhaite vivre une expérience d’immersion en nature, on ne peut pas déroger aux lois de la nature. Comme on peut le voir dans le film Into the Wild(1), dont l’issue est fatale. Les accepter est la clé, alors la confiance arrive et nous faisons les bons choix pratiques, en termes de survie et d’autonomie alimentaire. C’est une aventure, il faut consentir à ensauvager son corps pour découvrir la liberté.


(1) L’Homme chevreuil : sept ans de vie sauvage, éditions Les Arènes, 2021.
(2) Into the wild, un film réalisé par Sean Penn, 2007.

À
propos

auteur

  • Catherine Maillard

    Journaliste
    Directrice de la collection l’Éveil du féminin et créatrice du blog uneaura4étoiles dédié à ce mouvement, elle suit des enseignements chamaniques et participe à des cercles de femmes depuis une quinzaine d’années. Catherine contribue au magazine Inexploré depuis plusieurs années en tant que journaliste. ...
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