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À Besançon, une structure de « psychiatrie citoyenne » ouverte sur la ville a pour objectif de briser l'isolement des patients souffrant de troubles psychiques en recréant du lien social et en les responsabilisant. Reportage. (Lu sur Lemonde.fr)
Une maison de « fous » où il fait bon vivre
Art de vivre
Sur la passerelle en bois de l'ancien couvent des Capucins, Olivier passe la balayette. « Ces deux messieurs vont faire un reportage », lui lance Jean-Marie, le directeur de l'établissement. « Ça va être cool ! », s'exclame Olivier en posant son outil avant de nous serrer chaleureusement la main.

Au rez-de-chaussée, le cloître résonne de rires, de bonjours matinaux, de bises échangées et de prénoms sonores. Derrière le bar de la buvette, Jérôme sert des cafés allongés : « Vous prenez du sucre ? ». Dans le jardin, au pied du cerisier, quelques pensionnaires ont pris place autour de deux tables en fer forgé. L'atelier philo va commencer. « C'est fumeur ? », lance un convive. « C'est bien parti pour », lui rétorque son voisin. La tablée part dans un grand éclat de rire. Le cendrier se remplit. Sur une tasse de café est écrit : « Je t'aime tellement. » Bienvenue chez les « fous ».

Depuis 1999, ce couvent du centre-ville de Besançon appartient à une association, Les Invités au festin, fondée par la psychiatre Marie-Noëlle Besançon. Rebaptisé la « Maison des sources », l'établissement, qui portait assistance aux pestiférés au XVIIe siècle, a été transformé en lieu d'accueil pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Treize résidents, des malades dont l'immense majorité a passé plusieurs années en hôpital psychiatrique, y habitent en permanence. Un accueil de jour est également ouvert à une centaine de malades logeant à l'extérieur, en famille, à l'hôpital ou en ville.

Influencée par l'antipsychiatrie anglosaxonne et le mouvement du psychiatre italien Franco Basaglia, qui aboutit à la fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie à la fin des années 1970, Marie-Noëlle Besançon a élaboré cette structure de « psychiatrie citoyenne » ouverte sur la ville. Son objectif : briser l'isolement, qui enferme dans la maladie et la chronicise, en recréant du lien social et en faisant confiance au pouvoir soignant de la chaleur humaine.

Cette démarche originale s'inscrit dans un paysage psychiatrique dévasté. En vingt ans, la moitié des lits d'hôpitaux, environ 50 000, ont été fermés, « pour des raisons essentiellement budgétaires », explique Elie Winter, psychiatre à Paul-Giraud de Villejuif. Ces fermetures n'ont pas été compensées en nombre suffisant par l'ouverture de structures alternatives, si bien que beaucoup de malades stabilisés se retrouvent livrés à eux-mêmes à leur sortie de l'hôpital. On estime que 1 % de la population, soit 700 000 personnes, souffrent de troubles schizophréniques en France.

Cette carence en structures d'aide à la réinsertion sociale a des conséquences dévastatrices sur la vie des psychotiques : certains restent hospitalisés alors que leur état ne le justifie plus, d'autres vivent à la charge de leurs familles, souvent dépassées, les plus isolés échouant dans la rue et parfois en prison. Selon la première étude épidémiologique sur la santé mentale en prison, réalisée en 2004, huit hommes incarcérés sur dix présentent une pathologie. Pour près de 10 % d'entre eux, il s'agirait d'une schizophrénie.

Un pont entre l'hopital et la société


De son expérience à l'hôpital, Marie-Noëlle Besançon est sortie forte d'une conviction : la maladie mentale est avant tout une pathologie relationnelle, et ce n'est qu'en rétablissant ce lien à l'autre, au monde et à soi-même que le malade pourra envisager un retour à une vie autonome.

La relation à l'autre, c'est ce qui a changé la vie de Soraya (« Ici, j'ai appris à serrer les gens dans mes bras »), résidente à la « Maison des sources » depuis près de quatre ans. Dans sa chambre, accompagnée de Zoro, le chat de la maison, elle raconte sa maladie, ses premiers pas ici et sa rencontre avec René, l'ancien SDF devenu cuisinier en chef de la maison [...]

La Maison des sources ne se pose pas en alternative à l'hôpital. Elle se pense comme un lieu intermédiaire, un pont entre l'hôpital et la société, et n'accueille que des malades stabilisés. Les résidents continuent d'être suivis par leur médecin à l'extérieur de l'établissement, et il arrive qu'en cas de crise certains soient renvoyés à l'hôpital pour une courte période.

La particularité de cette maison-relais est qu'elle ne dépend pas de l'hôpital, à la différence d'autres structures comme les CMP (Centres médico-psychologiques). En dehors d'une psychiatre référente, aucun de ses intervenants ne vient de l'univers hospitalier. « Ici, on ne s'occupe pas de la maladie, on s'occupe du reste. Ce n'est pas un lieu de soins, mais un lieu qui soigne », résume Serpil Godin, 32 ans, responsable de l'accueil de jour et des activités.

« On développe la partie saine qui est en eux »


Autour de Serpil Godin et d'une poignée de salariés, une cinquantaine de bénévoles participent à la vie de l'établissement, à travers différentes animations (café philo, atelier poterie, taï-chi, peinture, informatique, atelier vidéo, gym, photo, etc.) et les sorties. A première vue, il est impossible de déterminer qui fait quoi, de distinguer les malades des accompagnants. Bénévoles, salariés, résidents et « participants » (les malades de l'accueil de jour) se mêlent dans une joyeuse convivialité.

« Le monde psychiatrique, c'est le règne de la distance, de la séparation entre le soignant et le malade, explique Edith Robert, responsable de la maison-relais. Ici, tout le monde est à égalité. Ce sont les liens qui donnent envie de vivre. On ne renvoie pas les gens à leur maladie. Plus on développe la partie saine qui est en eux, moins la maladie prendra de place. »

La chaleur humaine ne suffit pas. Pour envisager de renouer un jour avec une vie autonome, les malades doivent se responsabiliser en participant aux tâches de la vie en communauté (les repas, la vaisselle, le ménage, etc.), les différents ateliers et les petits boulots proposés à la buvette et à la « boutique », où l'association vend des fripes et des objets d'artisanat. Olivier, qui s'occupe du ménage, fait ainsi partie des « participants » salariés (26 heures par mois au smic horaire). A la buvette, Jérôme est un malade bénévole, et René, le cuistot de la maison, est un ancien SDF.

Cette responsabilisation se construit aussi à travers le respect du règlement intérieur. « A l'hôpital, ils étaient tellement mal qu'on ne leur demandait rien. Ici il y a un cadre, des règles qui les ramènent à la réalité », explique Edith Robert. Avec un système d'avertissements qui peut conduire, au bout de trois, à une exclusion définitive. « En général, un seul suffit », précise-t-elle.

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