Alors qu’il effectue un remplacement en Auvergne, le jeune Dr Patrick Lemoine doit s’occuper d’une patiente âgée, diabétique et fragile. Il commence par envoyer quelqu’un lui faire une prise de sang. L’intervention se révèle ardue, laissant la patiente avec des hématomes et des bras ayant doublé de volume. Informé de la situation, le médecin se rend chez elle dès la première heure du lendemain, inquiet. Il ne trouve aucune trace d’œdème, seulement celle de la perforation des aiguilles sur la peau. Quel tour de passe-passe a permis à cette dame de guérir si vite?
« Je ne vous dirai rien. Vous les médecins, vous n’y croyez pas », rétorque-t-elle.
Si le domaine de la « croyance » ne relève effectivement pas de celui de la médecine, force est de constater qu’un nombre grandissant de médecins attestent de l’efficacité des « faiseurs de secret » et qu’une multitude de services hospitaliers – urgences, brûlés, radiologie… – tolèrent leurs cartes de visite dans les salles d’attente.
« Certains ont même des listes en interne », révèle le Dr Lemoine. La réalité de la promiscuité entre ces « faiseurs » et le corps médical est telle qu’elle a même fait l’objet d’une thèse. Soutenue à la faculté de médecine de Grenoble par Nicolas Perret, elle s’intitule :
Place des coupeurs de feu dans la prise en charge ambulatoire et hospitalière des brûlures en Haute-Savoie. Pas moins de 117 soignants exerçant dans trois établissements – dont vingt-cinq médecins – ont participé à l’enquête. 63 % pensent que l’efficacité des coupeurs de feu sur la douleur des brûlures est forte. 61 % estiment que la collaboration est souhaitable. Les temps changent.
Chacun sa spécificité
Jean-Luc Caradeau, auteur de
Coupeurs de feu et panseurs de secrets, annonce qu’il y aurait environ 6 000 faiseurs de secret ou rebouteux en France. Il est conscient que cette évaluation ne s’appuie sur aucune statistique car, le secret étant secret, il est impossible de dénombrer ses protagonistes.
« Disons qu’elle est plausible, car le phénomène est bien plus répandu qu’on ne le croit », précise-t-il. C’est sans compter que cette pratique se retrouve dans le monde entier et existe depuis la nuit des temps.
« Le coupeur de feu français le coupe généralement en invoquant les saints, le coupeur de feu américain, qui ne croit pas aux saints parce qu’il est protestant le plus souvent, invoque Dieu, le guérisseur taoïste utilise la puissance du chi, le musulman invoque les djenoun, mais au bout du compte, le phénomène résultant de l’opération et le but recherché sont identiques », poursuit l’auteur. Mais de quoi parlons-nous? De personnes qui semblent capables d’atténuer ou de faire disparaître chez l’homme ou l’animal, les brûlures, mais aussi les douleurs, les coupures et les plaies, les entorses, les œdèmes et les hémorragies, les zonas, les dartres, les éruptions en tout genre, les piqûres, les verrues, la jaunisse, la fièvre, etc. Chacun a sa ou ses spécificités.
Environ 6 000 faiseurs de secret ou rebouteux en France...
Une passation inattendue
La plupart des faiseurs de secret héritent d’un don familial. Un jour, sentant la mort approcher, un grand-père ou une grand-mère, un parent, un oncle ou une tante choisit un de ses descendants et lui transmet son secret. Il arrive aussi que celui-ci soit donné par un étranger. Au fil de ses visites médicales, le Dr Patrick Lemoine découvre que sa patiente diabétique vient comme lui de Thonon-les-Bains. Une complicité naît entre eux. Lorsque son remplacement arrive à terme et qu’il va lui faire ses adieux, la mystérieuse disparition des œdèmes revient dans la conversation.
« Vous avez compris ce que j’ai fait », suggère-t-elle.
« Oui, répond le Dr Lemoine,
dans notre Haute-Savoie natale, les faiseurs de secret, on connaît », répond-il. Là, l’inattendu se produit. La dame, ressentant le besoin impératif de transmettre son don à quelqu’un de confiance, lui demande s’il veut bien le recevoir. Le jeune docteur finit par accepter.
« J’ai noté ses instructions sur un papier que j’ai depuis en permanence sur moi. Je dois dire que j’ai quand même une réticence par rapport à tout ça », précise celui qui est devenu un psychiatre de renom, auteur de nombreux ouvrages, et chargé de mission international pour le groupe Orpéa-Clinéa.
Des méthodes énigmatiques
Tous se concentrent un instant, la majorité récitent des prières ou des formules, nombreux sont ceux qui font des signes de croix ou autres gestes comme une imposition des mains ou une manipulation, quelques-uns utilisent des crèmes qu’ils ont fabriquées à base de plantes, si bien que la pratique du secret flirte avec celle des magnétiseurs, masseurs, ostéopathes et naturopathes. Cependant, elle se distingue clairement de ces dernières. Aucun diplôme n’est requis, il s’agit avant tout d’un don transmis et les faiseurs n’ont aucune prétention médicale. Leur spécificité consiste principalement en l’exercice d’un rituel – souvent religieux mais pas toujours –, tenu secret.
L’intervention ne prend que quelques minutes et peut se faire à distance. Ainsi, les faiseurs ne s’expliquent pas véritablement leur art et sont placés en position d’opérateurs d’un mystère qu’ils acceptent de perpétuer pour le bien de l’humanité.
« Je ne suis qu’un valet », dit l’un.
« Je suis au service », dit l’autre.
« Il faut avoir envie d’aider les autres, mais il faut aussi avoir envie de les supporter, parce qu’une fois la réputation établie, le patient qui s’est brûlé appelle au téléphone, et parfois même débarque à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit », signale Jean-Luc Caradeau. Pour finir, les faiseurs peuvent accepter des ¬cadeaux, mais la plupart œuvrent gracieusement.
Nous sommes à la frontière de ce que la science peut expliquer.
Une efficacité déroutante
« Mon petit frère s’est brûlé avec une marmite pleine de soupe. Mon père est parti prévenir le faiseur et quand il est revenu, le gamin ne pleurait plus. Il n’avait plus mal. Vous êtes bien obligé d’y croire quand vous voyez ça », rapporte un témoin dans le documentaire Le Secret du secret de Louis Mouchet. Cinq ans après avoir reçu son « don » et alors que le Dr Patrick Lemoine est chez des amis, la maîtresse de maison se brûle avec de l’huile bouillante. La douleur est intense à en pleurer. La femme du médecin rappelle à son mari qu’il a reçu le don de couper de feu. Celui-ci sort son papier, lit sa formule à voix basse et effectue les signes rituels.
« Quelques minutes plus tard, la maîtresse de maison n’avait plus mal et la rougeur commençait à disparaître. Elle avait une sensation de glaciation, caractéristique de ces interventions », rapporte Patrick Lemoine, sidéré par l’effet. Depuis –
« jamais dans un contexte professionnel », insiste-t-il –, il lui arrive de panser des brûlures ou des coups.
« Bien que je n’y croie absolument pas, cela semble marcher. J’ai alors essayé de théoriser tout cela. Je pense que je suis capable d’induire un effet placebo », explique l’auteur du
Mystère du placebo.
Un effet placebo?
« Le corps est un incroyable laboratoire pharmaceutique capable de fabriquer tous les médicaments de la création. Il y a donc une autonomie de guérison intrinsèque à l’organisme », explique le Dr Patrick Lemoine. Ainsi, lorsque la conviction du médecin est suffisante, que le patient est persuadé que ce qui lui est prescrit est bon pour lui, cela peut stimuler sa capacité de récupération. De nombreuses études en double aveugle ont montré que lorsque des patients reçoivent des placebos – c’est-à-dire rien de médicalement actif –, un tiers d’entre eux guérissent tout de même. L’esprit peut-il diriger la biologie?
« Absolument ! Ce n’est d’ailleurs plus discuté par personne. Chez un parkinsonien, il a été démontré, imagerie médicale à l’appui, que le placebo entraîne la fabrication de dopamine », détaille le psychiatre. Ainsi, il se pourrait que les faiseurs de secret plongent leurs clients dans un état légèrement hypnotique, dans lequel l’esprit de la personne stimulerait son organisme. Cependant,
« comment l’effet placebo pourrait-il intervenir pour faciliter la repousse des poils d’un chien à l’emplacement d’une vieille brûlure, ou la sédation de la douleur d’un patient qui n’est pas au courant de l’action du coupeur de feu? », questionne Jean-Luc Caradeau. L’effet placebo n’expliquerait pas tout.
Bien que je n’y croie absolument pas, cela semble marcher.
La question du magnétisme
Il est une autre certitude à prendre en compte : tous les organismes émettent et utilisent de l’énergie électromagnétique. Ainsi, les faiseurs de secret sont souvent des magnétiseurs qui, plus ou moins consciemment, réharmonisent cette circulation énergétique nécessaire au vivant.
« S’il y a des périodes où je ne fais pas le secret, j’ai les mains qui brûlent. Pour éliminer ça, il faut aller contre une matière vivante. Moi, j’ai mon arbre », confie une coupeuse de feu dans Le Secret du secret. Un autre explique :
« Je ne suis qu’un trait d’union entre la nature et vous. Je prends beaucoup de magnétisme à la nature, j’essaie de vous en redonner un peu. » Reste qu’il est difficile d’expliquer comment les magnétiseurs peuvent travailler sur de longues distances, parfois à partir d’un simple nom. Des études menées ainsi par les chercheurs Dean Radin et Marilyn Schlitz à l’aide de dispositifs qui neutralisent les ondes électromagnétiques montrent que les guérisseurs font plus que manipuler de l’énergie. Ils arrivent à faire passer une information qui défie les lois de la matière et de l’espace-temps.
Une intervention inexpliquée
Nous sommes à la frontière de ce que la science peut expliquer. Comment comprendre le niveau informationnel sur lequel les faiseurs de secret semblent agir? Quelques-uns optent pour la version laïque des champs morphogénétiques de Rupert Sheldrake – des champs de mémoire qui informeraient tout le vivant et avec lesquels il serait possible d’interagir. Beaucoup nomment des saints ou des divinités, selon leur système de croyance. L’intervention de forces intelligentes ou spirituelles reste le scénario le plus avancé.
« Cette explication est à la fois la meilleure et la pire. C’est la meilleure parce qu’elle est la seule qui explique la totalité des phénomènes de guérison obtenus. Mais c’est aussi la plus contestée et la plus mise en doute », souligne Jean-Luc Caradeau. La majorité des faiseurs de secret ne s’en soucient guère. Ils continuent de travailler en affirmant :
« Le pouvoir du coupeur de feu, celui de tous les panseurs de secret, relève du monde invisible, de ces réalités non physiques dont certains nient l’existence. Dans ce domaine, tous les apprentissages consistent en des prises de contact avec des réalités inconnues », rapporte Jean-Luc Caradeau.
Un exemple type
Le téléphone sonne. La faiseuse de secret décroche et demande l’emplacement de la brûlure, le nom, le prénom et la date de naissance de la personne. « Restez à l’appareil, je vous le fais tout de suite », dit-elle. Elle ferme les yeux, se concentre, puis marmonne son secret en tenant le téléphone précieusement dans les mains. Elle fait un signe de croix et demande à la personne de dire trois Notre Père et trois Je vous salue Marie. La scène, qui a duré quelques minutes, est extraite du documentaire
Le Secret du secret de Louis Mouchet.