« Avec la capacité de rêver, l’humain convoque une intelligence aussi vaste de la perception qui dépasse de toute part la conscience », observait la psychanalyste Anne Dufourmantelle (décédée l’été dernier), auteure d’un ouvrage inspiré sur l’intelligence du rêve (1). Dans l’univers onirique, tout est possible ! Jamais en panne de scénarios, le rêve, inspiré, inspirant et même initiatique, nous connecte avec l’infini de nos potentialités, au-delà des limitations du corps physique.

Pure intelligence, qui n’est pas passée au tamis du mental, des conditionnements et autres interdits, le rêve réconcilie les temps, abolit les distances, anticipe les événements, fait revivre les morts, amplifie les sensations, délivre des messages initiatiques, solutionne les problèmes, guérit et permet même la télépathie... Il nous ouvre à des mondes inconnus, à des capacités extraordinaires : voler, traverser les murs, marcher sur l’eau ou parler à un serpent, tout est à portée de rêve !

Une pointe éveillée vers le futur

Le rêve augure. « Il est une projection logique vers le futur, qui essaie de prédire l’avenir », partage l’ethnopsychiatre Tobie Nathan. Une jeune mère thaïlandaise, prénommée Pawadee, a ainsi rêvé au cataclysme de décembre 2004, sept jours avant qu’il ne se produise... Dans ce rêve prémonitoire, une vague énorme submerge la chambre de son enfant, située au rez-de-chaussée. Un rêve si réel qu’elle déménage la chambre de sa fille à l’étage, avec le reste de la famille... juste avant le tsunami. « Je suis parvenu à la conclusion qu’il existe, au sein de la catégorie des rêves créatifs de plus haut niveau, une catégorie de rêves qui prédisent l’avenir. Si cela est vrai, cela voudrait dire que l’avenir est, d’une façon ou d’une autre, à notre portée dans le présent », explique le psychologue Michael Katz, en introduction du livre de Namkhaï Norbu, Le yoga du rêve.
« Les véritables rêves prémonitoires donnent des images directes de l’événement à venir – ou à peine déformées – avec des détails parfois extrêmement précis », souligne le psychologue et psychothérapeute Erik Pigani. En nous connectant au « hors-temps » (zeitlost) décrit par Freud, le rêve offre une incroyable puissance de vision. « Il est une prescience merveilleuse. Un présage, non pas au sens d’une boule de cristal, mais au sens littéral d’une annonciation – la gestation d’un monde à venir que nous portons déjà et dont les prémisses nous sont données dans l’énigmatique présence à nous-mêmes du rêve », notait Anne Dufourmantelle.
Antonio Zadra, professeur de psychologie à l’Université de Montréal, à la tête d’une importante banque de rêves, souligne la part de mystère des rêves prémonitoires. Il partage le cas d’un chercheur travaillant dans une agence aérospatiale, sujet à un rêve répétitif durant lequel il sauve une collègue piégée par un incendie. Cette dernière ne le prend pas au sérieux... jusqu’au jour où ce chercheur, entendant le même bruit d’explosion que dans son rêve, se précipite juste à temps pour la tirer des flammes (2).
« Il ne faut plus confiner le rêve à un rapport au passé. Changer la flèche du temps, mettre le rêve en rapport avec le futur non pas en termes de programmation, mais en termes de prémonition, de providence, de prophétie. Ce n’est qu’à partir de cette position que l’on peut retrouver le génie du rêve », conseille le psychiatre et psychanalyste Pierre Lembeye (3).

Le songe en partage

Ariel vit à Buenos Aires, en colocation avec un couple. Une nuit, il fait un rêve étrangement sensuel impliquant sa colocataire. Au réveil, la jeune femme lui avoue avoir fait un rêve étrange... pareil au sien ! Ce songe partagé, télépathique, est venu mettre à jour leur désir secret dans l’alcôve mystérieuse de l’espace sans tabou du rêve. Il leur a permis de dissiper l’équivoque en plein jour.
Tout comme il abolit les limites de l’espace et du temps, le rêve nous permet d’expérimenter notre interconnexion sensible avec le tout, donc avec l’autre. En se référant aux recherches menées par le docteur Van de Castle sur les phénomènes psi (perceptions extrasensorielles), on s’aperçoit que 25 % des cas de télépathie se produisent pendant les rêves. Cette télépathie au cœur du rêve a fait l’objet d’expérimentations poussées, menées notamment par l’équipe du Dream Research Laboratory du Maimonides Medical Center (New York, Brooklyn).

Concrètement, tandis qu’un individu émetteur essayait de transmettre une image sélectionnée aléatoirement, le récepteur isolé dans une autre pièce était éveillé après chacune de ses phases REM (sommeil paradoxal) par l’expérimentateur qui notait ses rêves. Au cours d’une session où l’image sélectionnée était un tableau de Degas, L’école de danse, le rêveur-récepteur rapporta : « J’étais dans une classe avec peut-être une demi-douzaine de personnes ; il y avait la sensation d’une école ; une petite fille essayait de danser avec moi. »
Pour expliquer ce phénomène, il semblerait, études à l’appui, que lorsque nous rêvons, les bruits alentour cessent et l’information que nous ignorons en état de veille peut alors accéder à nous. Il arrive aussi qu’une personne rêve qu’un proche lui dit au revoir... juste avant de mourir réellement. Ce type de rêve est souvent assimilé à une prémonition. Or, les études tendent à démontrer qu’il s’agirait plutôt d’un rêve télépathique. (...)