Toutes les données scientifiques existantes sur le cannabis ont été passées au crible par l’Académie nationale des sciences américaine, dans une volonté d’obtenir un regard aussi objectif et dépassionné que possible sur un produit qui a radicalement changé de statut en quelques années dans le pays.
Alors, que penser du cannabis ?
Au jour où de nombreux pays dépénalisent, voire légalisent, le cannabis (à titre récréatif et/ou thérapeutique), l’Académie nationale des sciences aux Etats-Unis a publié en janvier dernier un rapport qui réalise une synthèse de plus de 10 000 travaux parus sur ses effets. Au moment de cette publication, 28 Etats américains et le District de Columbia (région de Washington) ont légalisé le cannabis à usage thérapeutique, dont 8 ainsi que DC ont également légalisé l’usage dit récréatif.
Ce travail permet de confirmer un certain nombre d’observations réalisées de longue date, ce qui contribue à dédiaboliser le produit, mais il n’en oublie pas pour autant de souligner les risques liés à l’usage. Les enquêtes récentes montrent que le cannabis est la substance illégale la plus populaire aux États-Unis, avec 22,2 millions d'Américains âgés de 12 ans et plus qui en ont consommé dans le mois précédent. Le pourcentage de consommateurs dans cette population (12 ans et plus) est ainsi passé de 6,2 à 8,3 % de 2002 à 2015. L’étude a également montré que 90 % des adultes américains consomment avant tout à titre récréatif, et 10 % pour des raisons médicales ; 36 % d’entre eux évoquent cependant un usage mixte.
Efficacité confirmée contre les douleurs chroniques
Le rapport a d’abord permis de confirmer que le cannabis (ou les cannabinoïdes qui en sont dérivés) est efficace pour réduire la douleur chronique. Ceci a été montré en particulier chez les adultes atteints de sclérose en plaques, maladie qui provoque des spasmes musculaires. L’efficacité est également avérée contre les nausées et les vomissements provoqués par les chimiothérapies chez les malades du cancer. La démonstration scientifique existe également quant à l’amélioration des troubles du sommeil chez les patients souffrant d’apnée du sommeil, de fibromyalgie, de douleurs chroniques et de sclérose en plaques. De même, l’étude conclut à l’efficacité du cannabis sur l’augmentation de l’appétit et la prise de poids chez les malades du sida, sur les symptômes provoqués par le syndrome de la Tourette et sur ceux du syndrome de stress post-traumatique.
L’action du cannabis sur le système immunitaire n’est pas tranchée par les recherches déjà réalisées mais les données suggèrent que l’exposition à la fumée de cannabis aurait un effet anti-inflammatoire. Si les travaux connus ne montrent pas de lien entre le fait de fumer du cannabis et un risque accru de cancer du poumon ou cancers de la tête et du cou, ce mode de consommation est tout de même associé à davantage d’épisodes de bronchite et une production plus élevée de mucus ; symptômes qui disparaissent cependant à l’arrêt de la consommation. Aucun lien n’a été établi avec des maladies respiratoires telles que l’asthme ou la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). Soulignons que les Américains ne consomment pas, en très grande majorité, le cannabis sous forme de haschich (résine) ni en le mélangeant avec du tabac, mais sous la forme de fleurs séchées (herbe ou marijuana). Et il est important de noter que la fumée d’herbe de cannabis, même si les informations sont contradictoires, contiendrait dans une large mesure les mêmes substances cancérigènes que le tabac (hydrocarbures aromatiques, nitrosamines, aldéhydes, etc.), parfois en concentration plus forte. L’administration médicinale du cannabis se fait ainsi à l’aide d’un vaporisateur. La vaporisation prévient le dégagement de goudron et d’autres substances nocives et cancérogènes. C’est pourquoi il s’agit d’un des rares modes d’administration validé médicalement.
Résultats contrastés sur les maladies mentales
Certains travaux amènent à penser que le cannabis accroît le risque de schizophrénie et d'autres psychoses, en lien avec la fréquence de consommation. Toutefois, et paradoxalement, la consommation de cannabis pourrait améliorer les capacités d'apprentissage et la mémoire des malades schizophrènes ou souffrant d'autres pathologies psychiatriques. Par ailleurs, il n’a pas été montré que le cannabis aggrave les symptômes négatifs de la schizophrénie (diminution de l’affectivité) chez les patients psychotiques. Les données suggèrent également qu’il augmenterait le risque de développer des troubles de l'anxiété et, dans une moindre mesure, de dépression. Fort heureusement, certaines recherches ont distingué les risques en fonction des quantités consommées et il apparaît qu’une forte consommation entraînerait un risque élevé de développer des pensées suicidaires, par rapport à des non-consommateurs.
Difficile cependant d’établir si une forte consommation est seulement corrélée à des pensées suicidaires ou bien si elle peut en être la cause. Bien que les capacités intellectuelles liées à la concentration et la mémoire apparaissent diminuées immédiatement après avoir consommé du cannabis, il n’existe aucune démonstration d’une diminution des performances académiques ou un appauvrissement des relations sociales. En la matière, il faut également prendre en compte des facteurs psycho-sociaux ainsi que de l’âge de début de consommation. Les travaux suggèrent cependant qu’une forte consommation est associée à une diminution des performances en matière d’apprentissage, de mémoire et d’attention. Ajoutons que des travaux récents, non mentionnés dans ce rapport, indiquent que le principal cannabiboïde (tétrahydrocannabinol ou THC), en association avec la lumière stroboscopique, serait efficace pour réduire l’évolution de la maladie d’Alzheimer.
Des politiques en évolution
Au final, les auteurs du rapport regrettent l’absence de données scientifiques dans plusieurs domaines du fait de l’interdiction pure et simple du produit pendant des décennies, ce qui se traduit par une absence de messages forts en termes de santé publique.
On voit ainsi que le cannabis n’est ni une panacée ni un produit diabolique et qu’il important que les sociétés modernes adaptent leurs législations et leurs politiques en la matière.
D’autant qu’au règne d’une certaine exploitation commerciale, les modes de consommation changent rapidement en Europe et ailleurs, au profit de présentations du produit beaucoup plus concentrées et dangereuses, sous forme d’huile ou de cire notamment, qui rendent caduque l’appellation même de « drogue douce ».
Pour se procurer le rapport en version papier (payante) ou pdf