En dépit des polémiques qui entourent la consommation du cannabis à titre de divertissement, un nombre croissant d’études scientifiques et de témoignages attestent de ses effets positifs sur des personnes gravement malades, notamment atteintes du cancer. Dans son ouvrage « Médi Cannabis », Marie Borrel nous raconte sans détours son expérience de la maladie, et l’enquête qu’elle a menée à travers le monde au sujet de l’usage thérapeutique du cannabis. En voici un extrait.
Je me sentais de plus en plus mal, assaillie de toutes parts par des malaises consécutifs au traitement anticancer. Je voyais approcher la séance suivante avec angoisse. Heureusement, je n’avais aucun doute quant à l’issue du traitement. Une sorte de « foi du charbonnier. » J’étais certaine de ma guérison. Une chance ! Mais le chemin à parcourir jusque là m’apparaissait insurmontable. Je vomissais de plus en plus, les douleurs ne me lâchaient pas, je m’affaiblissais de jour en jour. Les somnifères ne me faisaient aucun effet et je ne dormais toujours pas. Je m’assoupissais tout au plus quelques minutes, puis je me réveillais en sursaut comme si une alarme, dans ma tête, me commandait de rester vigilante vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pourquoi ? Je ne saurais le dire encore aujourd’hui. Sans doute une sorte de réflexe mental de protection dont je me serais bien passée. Je ne me voyais pas vivre les quatre mois à venir dans cet état qui, j’en étais persuadée, ne ferait que s’intensifier au fil des semaines.
Il fallait que je trouve une solution.
La solution cannabis ?
C’est alors que j’ai repensé à quelques articles que j’avais croisés au cours des mois précédents, à propos de l’usage que certains patients cancéreux font du cannabis pour atténuer leurs malaises. L’idée ne me faisait pas peur. Je fais partie d’une génération qui a traversé les années 1970 et goûté, à l’époque, à ce type de substance. Pendant mes études, j’avais fait quelques essais comme la plupart de mes amis. Cela ne s’était pas soldé par une consommation régulière, car je n’y avais pas trouvé un grand plaisir. Mais c’était dans l’air du temps. A la fin de cette décennie, j’ai quitté les rives de la Méditerranée pour m’inscrire à Paris. J’y ai rencontré de nouveaux amis, pour la plupart des artistes : comédiens, musiciens, peintres. L’herbe était parfois présente dans nos soirées et il m’arrivait d’y goûter de manière très occasionnelle, pour faire comme les autres. C’était, je crois, una manière pour nous de nous sentir « différents », de nous démarquer du monde de nos parents et de la société qu’ils avaient créée. Banale illusion de jeunesse. Une chose est sûre : recourir à présent à cette substance illicite ne me faisait pas peur, pas plus que la transgression que cela représentait. Je n’étais pas plus effrayée par le risque de dépendance, car je n’avais plus touché un joint depuis ma première grossesse en 1982, et cela s’était fait sans le moindre effort.
Quelques préparatifs indispensables
Avant de mettre en pratique cette idée, j’ai tout de même cherché des informations sur Internet. J’y ai mis le peu d’énergie dont je disposais. Très vite, je suis tombée sur des articles intéressants, dont il ressortait qu’il n’y avait ni risque médical, ni contre-indication par rapport à ma maladie. J’ai même appris que certaines communications scientifiques sérieuses mesuraient les effets bénéfiques de cette substances, et que cette pratique était officielle dans d’autres pays (j’y reviendrai en détails dans les chapitres suivants). Quelques coups de fil à des amis médecins ont achevé de me convaincre. J’étais prête.
Mais comment me procurer du cannabis ? A mon âge et dans mon état, je ne me voyais pas me lancer dans une quête de produits interdits, en allant courir les cités d’agglomération ou me promener dans les ruelles cachées du centre-ville. Heureusement, certains de mes amis ont des enfants trentenaires, et j’étais sûre de trouver, parmi eux, quelqu’un qui saurait où en dénicher. Ce fut le cas. Je ne tardai pas à recevoir, contre une cinquantaine d’euros, un pochon contenant de l’herbe séchée. Il me suffit d’acheter du papier à rouler et un paquet de cigarettes pour être tout à fait opérationnelle. Je savais encore rouler un joint entre mes doigts.
Au retour de ma troisième séance de chimiothérapie, mon matériel n’attendait sur ma table de nuit. J’étais de plus en plus chancelante, et secouée de nausées. L’idée de porter quoi que ce soit à mes lèvres, quoi que ce fût, ne m’enchantait guère, mais je me disais qu’il fallait au moins essayer. J’ai donc mélangé quelques pincées d’herbe avec un peu de tabac (la valeur d’un quart de cigarette en tout) et roulé un tout petit joint pour tester l’effet du produit sur moi. Couchée le plus confortablement possible, ma cuvette à portée de main, j’aspirai la première bouffée. Dans les deux ou trois minutes qui ont suivi, j’ai senti la nausée refluer d’un coup, comme une vague qui se retire de la grève. Je n’osais pas y croire. Lorsque j’eu terminé, je me sentais déjà beaucoup mieux. « C’est dans ta tête », me suis-je dit alors. Tout cela me semblait trop « magique ». J’étais persuadée qu’il s’agissait d’autosuggestion, et que le malaise reviendrait rapidement. Il n’en fut rien.
D’autres bénéfices
Goûtant un apaisement que je n’avais pas connu depuis des semaines...
Obsédée par l’absence de nausées et de vomissements, je n’ai pas fait attention tout de suite aux autres effets de la substance. Je rêvassais tranquillement, goûtant un apaisement que je n’avais pas connu depuis des semaines. Lentement, j’ai plongé dans le sommeil. J’ai dormi profondément, pendant deux heures. Un autre miracle. Un autre début de nausée m’a réveillée. Je me suis dit qu’il fallait prendre les devants, avant que le malaise ne s’installe à nouveau. Cela servirait aussi de test : une fois, cela peut être du au hasard ; plusieurs fois, cela relève de l’effet objectif. J’ai roulé un autre petit – tout petit – joint, et je l’ai fumé. La sensation désagréable a reflué, et je me suis endormie à nouveau pour plusieurs heures. A mon réveil, j’avais sinon faim, du moins envie de manger. Depuis le début de mon traitement, ma cousine m’apportait régulièrement des plats cuisinés, qu’elle remportait inévitablement quelques jours plus tard sans que j’y aie touché. Ce soir-là, j’avalai avec plaisir quelques cuillérées de graines de couscous aux herbes, sans aucun réflexe de régurgitation.
J’ai passé le reste de la soirée à regarder la télé, sans vraiment faire attention aux images qui défilaient devant mes yeux. Je me sentais très apaisée. J’avais l’impression que le temps avait changé d’essence. Au lieu de s’égrener dans une affreuse lenteur, avec des grincements de sable, il coulait de manière fluide et douce. Je ne guettais plus l’avancée des chiffres sur le réveil de ma table de chevet, dans l’espoir que chaque minute emporte avec elle un peu de mon malaise. Quand le sommeil s’est à nouveau manifesté, je me suis laissée… glisser. L’attente de l’insomnie, qui me remplissait d’inquiétude lorsque le jour s’enfuyait, ne montra pas le bout de son nez.
Je me suis laissée... glisser.
Mes paupières se sont closes sans que j’y porte vraiment attention. Une fois encore c’est la sensation de nausée qui m’a réveillée au petit matin. J’ai répété mon traitement improvisé et je me suis rendormie. Le lendemain, je me sentais comme lavée d’une partie de ma fatigue. Régénérée. Je me suis levée pour me préparer une tasse de thé, mais je n’ai pas pu l’avaler, car les nausées recommençaient à se manifester. Je n’ai fait ni une ni deux : je me suis préparée une autre « cigarette thérapeutique » et je me suis recouchée. Lorsqu’en fin de matinée, j’ai ouvert la porte à l’infirmier qui venait me faire une piqure chaque lendemain de chimio, je l’ai entendu me dire avec un grand sourire « vous avez meilleure mine aujourd’hui. » Je lui ai répondu que je me sentais mieux, en effet, sans m’étendre sur les raisons de ce bien-être.