Depuis l’Antiquité, les Celtes entretenaient un lien sacré avec les arbres, piliers vivants entre ciel et terre. Dans cet entretien, Bernard Rio nous invite à redécouvrir l’animisme druidique, une sagesse enracinée dans la forêt qui éclaire notre rapport au vivant.
Nature
Pexels / Johannes Plenio
On trouve dans l’antiquité celtique et jusqu’au Moyen Âge une abondante littérature se référant à l’arbre, pilier du monde sacré, de la religion et de ses prêtres : les druides. Éminent expert des sagesse ancestrales, Bernard Rio est parti en quête des celtes de l’antiquité qui se détournaient des cités pour chercher le reflet de la divinité sous les frondaisons des chênes. Qu’en est-il de leurs relations sacrées au peuple des arbres ? Comment les vénéraient-ils ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce texte gallois ancien « le combat des arbres « ? Entretien autour des liens invisibles entre les celtes, et les bois, qui pourraient bien nous inspirer un nouveau rapport à la nature. Allons avec les druides dans la forêt, nous percher dans un arbre sacré, pour y entendre ses leçons de sagesse et bâtir le monde de demain.
Les Celtes croyaient que les arbres avaient des esprits et en vénéraient certains. D’où provient cette relation sacrée avec les arbres ?
On en retrouve les premières traces dans l’ancien alphabet celtique ou ogham, où il existait une correspondance entre la lettre et l’arbre. Ainsi chaque lettre correspondait à une essence d’arbre : le druide écrivait et lisait le bois. C’est dans un texte mythologique gallois, qu’on peut en comprendre le symbolisme : le Kad Goddeu qu’on peut traduire par « Combat des arbres ». Dans ce récit, il est mentionné trente essences distinctes. Arbres, arbustes et fleurs y figurèrent les trois fonctions de la société, les essences sacerdotales, royales et médicinales. Cette description botanique recèle une règle et ses principes organisateurs. Tout à la fois calendrier des saisons et manuel philosophique, ce texte fondateur « Combat des arbres » illustrerait un recours à la forêt où étaient conservés les mots et les secrets du druidisme.
Ce lien entre les druides, les arbres, et la forêt, semble presque « originel ». Est-ce le cas ?
En effet, et l’étymologie, ou science de l’origine des mots, nous en livre le secret. Selon Pline, le mot druide proviendrait du grec dru. En langue gauloise deruos, chêne, proviendrait de dereu bois, dendron arbre, drus chêne, drumos forêt… L’analogie avec dru, fidèle en gaulois, est évidente ! Il existe en effet dans les langues celtiques une homonymie des noms de la science et du bois. Vidia, le savoir en gaulois, entre dans la composition de dru-vidia, littéralement le « vrai savoir », dont dérive le mot druidisme. La langue anglaise a conservé ce double sens de lier la connaissance et la nature, notamment avec tree arbre, true fidèle, et truth vérité. Or les druides, ceux qui savent, sont à l’image des arbres des pontifes, qui relient le visible et l’invisible, ce qui est en bas et ce qui est en haut… La langue bretonne a aussi conservé ce symbolisme, ainsi kelenn, le houx, a le sens de leçon et kellenner de professeur tandis qu’en gaëlique irlandais dos, littéralement buisson, sert à désigner un fili, c’est-à-dire un barde de cinquième rang… À ce propos les différents grades des druides de l’Antiquité font tous référence à des essences d’arbre.
Comment définiriez-vous l’animisme celtique ?
Dans l’antique forêt celtique, l’homme se conformait au sacré. Le druidisme, tout particulièrement, privilégiait un culte par les arbres qui mêlait philosophie et religion. Adorer dieu dans la nature ou la nature comme dieu ne suffirait pas à expliquer la nécessité du divin dans cette conceptualisation de la nature sacrée du monde. Il y avait dans la relation que le Celte entretenait avec le monde un entendement et une conscience qui se traduirait davantage par une émotion sceptique que par une extase naïve. La forêt celtique demeurait un lieu de savoir dont tous les aspects visibles et invisibles pouvaient être intelligibles. L’espace était couvert et ouvert à tout être qui n’entendait pas soumettre la nature à une idée verticale. Cette dimension latérale de la pensée forestière conjuguait l’animal et le sacerdotal…
Qu’est-ce qui confère à la forêt sa dimension magique unique ?
Dans le monde celtique, la sylve, le bois, possède dans l’imaginaire les mêmes aspects que l’autre monde… Ce serait un espace à l’intérieur du monde qui refléterait une lumière semblable au reflet d’un miroir, ce serait un espace intérieur, un lieu de mémoire et de réflexion. « Le désert est monothéiste » écrivait Ernest Renan dans Histoire du peuple d’Israël. La forêt celtique est polythéiste pourrions-nous ajouter. Si, à l’instar des guerriers Fiana Irlandais, les ermites ont été tentés par les bois, c’est sans doute que la retraite forestière offre un perpétuel retour au sacré. Lorsque l’enchanteur Merlin abandonne la cour du roi Arthur, il fuit aussi la ville close et l’obscurité qui s’étend sur le royaume de Bretagne… Le conseiller du roi, le druide, redevient le sauvage, le philosophe qui se perche dans l’arbre et s’accorde avec les puissances de la terre et du ciel. Le sylvain devient cueilleur de pommes, non la pomme du péché originel mais la pomme de connaissance. Par ailleurs, entre autres usages admis dans le folklore hérités du paganisme, on retrouve notamment l’incubation du dormeur dans un lieu sacré. Le conseil divin lors d’un songe et l’apparition d’une divinité à une personne endormie au pied d’un arbre étaient monnaie courante dans la religion des campagnes.
Malgré les interdictions religieuses, les pratiques animistes liées à l’arbre et à la forêt ont perduré. Quelles étaient-elles ?
Quoique les conciles aient frappé l’arbre d’interdit avec constance, les croyances populaires ont conservé les traces d’une irréductible dévotion. L’homme l’érigea en confesseur et en intercesseur, en un véritable jumeau végétal. Il le priait, l’implorait, l’honorait et le secouait ou le menaçait s’il n’était pas entendu. Les superstitions recensées hier par les folkloristes et aujourd’hui par les ethnologues donnent un aperçu des rites saisonniers de fertilité. Elles induisent aussi une dimension métaphysique. Déposer des offrandes au pied d’un arbre, n’est-ce pas lui reconnaître et lui conférer un pouvoir ? Il ne s’agissait pas seulement d’obtenir une copieuse récolte de fruits ou la guérison d’une personne malade. L’hommage rendu aux arbres dépassait le vulgaire négoce pour relever du domaine culturel.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’un rite ancien, toujours actuel ?
Il me vient d’emblée un rite à Bonnoeuvre, en Loire-Atlantique, avec le « chêne aux clous » attirant toujours aujourd’hui des pèlerins qui viennent tourner sept fois, dans le sens solaire, autour de l’arbre avant d’y planter un clou afin d’être soulagés de leurs maux. Ce chêne aux clous est un pilier de la forêt universelle. Chaque pointe martelée dans l’écorce renforcerait la colonne du temple sylvestre et résonnerait dans le monde d’en haut. Le transfert, de la maladie, de l’homme à l’arbre relève à la fois de la croyance, de l’usage et du contrat.
En quoi la vision animiste celte de la nature peut nous aider aujourd’hui ?
À Jules Michelet, historien français, qui prétendait : « avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le monde, pas avant : celle de l’homme contre la Nature », le druide répond que l’homme s’insère dans son environnement et doit s’en accommoder sans essayer de le dénaturer et de se dénaturer. Cette conception globale de l’homme et de la nature dépasse les dichotomies de la société consumériste. Elle rassemble sans opposer les notions de nature et de culture, d’animalité et de spiritualité, l’intellect et les sens, l’individu et la société… Si l’homme moderne se complaît à fonctionner sur une base duelle, opposant ainsi l’animal au végétal, le végétal au minéral, distinguant dans l’une les notions de vivant, de croissance et de mobilité, et dans l’autre une immobilité et une intangibilité… Le Celte de l’antiquité privilégiait quant à lui un milieu qui ne s’opposait et ne se fractionnait pas. Sa préférence allait à un espace animé, illimité, plein, pluriel, cyclique et polyconcentrique. Si la Rome impériale puis chrétienne a tenté d’extraire l’homme de son milieu en l’enfermant dans une urbanité et une dualité, la société celtique se tournait vers la nature pour y enseigner la liberté et le foisonnement, la réalité et l’imaginaire, l’actualité et l’éternité. Nous inspirer à nouveau de cette vision pourrait nous aider à relever les défis environnementaux, et sociétaux actuels.
Directrice de la collection l’Éveil du féminin et créatrice du blog uneaura4étoiles dédié à ce mouvement, elle suit des enseignements chamaniques et participe à des cercles de femmes depuis une quinzaine d’années. Catherine contribue au magazine Inexploré depuis plusieurs années en tant que journaliste. ...
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