Peter Morgan est un scénariste inspiré et éclectique, auteur de plusieurs films qui lui ont valu de nombreuses récompenses. Parmi les plus récents, The Queen, réalisé par Stephen Frears, met en scène la reine d’Angleterre et Tony Blair à la mort de Lady Di ; Le dernier roi d’Écosse retrace quant à lui le parcours du dictateur ougandais Amin Dada. Avec Au-delà, Peter Morgan aborde avec un style nouveau, le thème de la mort et offre à Clint Eastwood un scénario à la fois original et subtil.
Différentes histoires circulent sur la genèse du scénario de ce film, dans quelles circonstances l’avez-vous écrit ?
Au début, j’ai écrit le script pour moi-même. Et comme je n’étais pas payé pour et que j’étais pris par d’autres engagements professionnels, il est resté sur mon bureau en souffrance. Puis un de mes amis est mort et j’ai pensé que je voulais aller plus loin. La première chose à faire était de trouver un producteur et de discuter avec lui. Je me disais : « Peut-être que je devrais uniquement raconter l’histoire de la femme française, ou bien celle de l’Américain, ou celle des jumeaux. » Je voulais entamer un échange créatif. Au lieu de cela, le scénario a été pris et tourné tel quel. Je ne l’ai plus jamais retouché, ce qui est une expérience bizarre.
Etait-ce la première fois que vous faisiez l’expérience d’une écriture intuitive de cette nature, d’une telle inspiration ?
Oui… Peut-être… Vous avez raison. C’est la première fois que j’écrivais quelque chose sans avoir déjà pensé à ce que j’allais en faire ensuite. C’était presque comme des souvenirs que j’aurais eus, comme un poème… Je n’y ai jamais pensé en termes commerciaux. C’était privé.
Mais en voyant le film, on sent une grande connaissance, sur la médiumnité, sur les EMI. Le film n’est que la partie émergée de l’iceberg. Comment avez-vous procédé pour ces recherches ?
J’ai beaucoup lu, et parlé à beaucoup de gens. Mais je pense qu’on écrit toujours sur la partie émergée de l’iceberg. Si vous en montrez ou en dîtes trop, c’est comme si vous essayiez de persuader les gens de quelque chose. Et ce n’était pas mon intention. Je voulais que ce soit suggestif plutôt que littéral. C’est pour cela que j’ai délibérément essayé d’écrire d’une façon simple, avec une économie de moyens. C’est aussi la manière dont Clint réalise les films. Il est très minimaliste, et il laisse les acteurs être instinctifs. Il n’y a pas de montage débridé. Même si j’avais travaillé sur le scénario pendant deux ans et fait des changements, je suis certain qu’il m’aurait dit : « Montre-moi ton premier script. C’est ce que je veux tourner. »
Quels aspects des EMI avez-vous retenu en particulier pour créer le personnage de Marie ?
J’avais lu des choses sur les gens qui ont travaillé dans les unités de soins palliatifs et sur le type d’expériences que vivaient certains patients. J’ai par exemple lu le travail de Peter Fenwick, qui a fait beaucoup de recherches sur les points communs dans les expériences de gens qui étaient cliniquement morts et qui sont ensuite revenus. Et j’ai essayé de rester proche de ces descriptions que l’on retrouve chaque fois. Mais j’étais très nerveux à l’idée de les mentionner, parce que seule une petite communauté de gens comprend ce qu’est une EMI, et beaucoup ont des préjugés et des doutes à ce sujet.
Le docteur Rousseau, qui donne à Marie des éclaircissements sur les EMI, a une clinique en Suisse. Est-ce une référence à Elisabeth Kübler-Ross, qui est née à Zürich ?
D’une certaine façon. C’est d’ailleurs une partie du film sur laquelle j’aurais adoré travailler plus. Je me souviens que l’actrice qui jouait le rôle du docteur m’a appelée pour me demander à quoi je pensais quand je l’avais écrit. Pour être franc, j’aurais voulu faire plus de recherches pour être plus spécifique, et que cette partie soit plus précise, plus scientifique. Bien entendu, je me serais plus inspiré d’Elisabeth Kübler-Ross. Mais Clint ne m’aurait pas laissé changer le script de toute façon, il était enthousiaste à l’idée de filmer la séquence telle qu’elle était écrite. Enfin, j’aime l’idée qu’elle se passe en Suisse. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais ça faisait sens pour moi.
Matt Damon est un médium qui souffre d’avoir cette capacité. Quelle a été votre source d’inspiration ?
Parfois nous avons des dons que nous ne voulons pas. Ce don est le résultat d’une maladie, d’une opération qui a changé sa capacité à se connecter avec différents niveaux de conscience. Et je ne pense pas qu’il le voulait, qu’il l’ait demandé ; parfois, les dons sont, non pas une bénédiction, mais une malédiction. Et cela a de grosses conséquences sur ses relations avec les autres, sa vie amoureuse. Je suis sûr que pour toutes sortes de gens qui sont médiums, clairvoyants, guérisseurs, l’intimité est vraiment un problème.
Marie, une Française qui a vécu une EMI, ne parvient pas à se faire entendre en France et doit aller en Grande-Bretagne pour cela. Est-ce qu’il y a quelque chose de particulier avec la France au sujet de ces expériences ?
Il se trouve qu’une actrice de renommée internationale, déjà récompensée par un Oscar, voulait le rôle. Et j’ai demandé à Clint : « Pourquoi as-tu laissé le rôle tel qu’il est, français, si tu avais une superstar qui le voulait ? » Moi-même, je vis en Autriche, je parle allemand, ma mère et mon père étaient allemands, je suis marié à une autrichienne, il aurait été beaucoup plus logique d’écrire le rôle de Marie pour une « Maria », à Vienne, et de le faire jouer par cette actrice. Mais pour moi, Marie ne pouvait être que française. Et Clint m’a dit que c’était aussi son sentiment. Nous n’avons pas intellectualisé à ce sujet. Pour nous, c’était instinctivement correct.
Il semble que vous et Clint Eastwood ayez beaucoup agi par instinct pour faire ce film, sans chercher à rationaliser…
C’est tout à fait exact. Clint dit que des films qu’il a faits, ou des scénarios sur lesquels il a travaillé, ont été corrompus, voire détruits, par trop de pensée et de préoccupations. Ce n’est pas qu’il est allergique à la pensée, mais il résiste beaucoup à la tentation de l’analyse. C’est au coeur de tout ce qu’il fait, avec les acteurs, les monteurs, les scénaristes… Il pense que s’il y a une impulsion créatrice à l’origine d’une oeuvre, il faut s’y fier. Nous n’avons pas la même vision du processus créatif. En ce qui me concerne, j’aurais sans doute voulu que ce soit plus névrotique. Je suis toujours névrotique ! J’aurais voulu, dans certaines parties du film, être plus précis, faire plus d’ajustements. Mais c’était formidablement intéressant pour moi de travailler avec quelqu’un comme lui. Sa façon de faire est presque orientale, au sens spirituel.
Etiez-vous surpris que Clint Eastwood et Steven Spielberg réagissent si positivement à votre scénario ?
J’étais très surpris, je le suis encore un peu. Je suis encore sous le choc.
A mon sens, le film propose une manière inédite de considérer les expériences extraordinaires comme la médiumnité ou les EMI, sans dogmatisme, avec une sorte d’ouverture interrogative. Est-ce que cela fait partie de vos motivations, d’essayer de contribuer à une nouvelle approche de ce type de questionnement ?
C’était en tout cas ce que j’espérais. Sur ce point, je ne sais pas dans quelle mesure je suis innocent, dans quelle mesure je suis coupable. Je pense que j’ai écrit le premier script presque comme un haïku, un poème japonais, très simple, très dénudé. Et j’ai pensé que plus tard, je retravaillerai dessus et deviendrai plus précis, que je donnerai plus de réponses. Je dois à Clint Eastwood de m’avoir arrêté dans cette démarche. La vérité est sans doute que Clint mérite plus de louanges que moi. Mais quant à la question que vous me posez sur mes intentions, c’est exact à cent pour cent.
On dit qu’aux Etats-Unis, des millions de gens ont vécu une EMI. Comment le film a-t-il été reçu là-bas ? Avez-vous senti que vous touchiez le public ?
J’aimerais vous dire que ça a provoqué un débat ou un consensus national. Mais je ne pense pas que ce soit le cas. N’oubliez pas que le lobby religieux est très puissant aux Etats-Unis. Et je pense que pour la plupart des Américains, la construction du film posait problème. Qu’un tiers de l’action se déroule en France, en français, un tiers à Londres, un tiers à San Francisco, je pense que l’audience américaine a fait des efforts pour comprendre… Si ça avait été une histoire plus simplement construite, avec une controverse au cœur du film — est-ce que les EMI existent ou non ? — cela aurait provoqué un débat plus vif. Mais ce film, justement, est attentif à ne pas offrir de point de vue trop tranché. Aux Etats-Unis, il faut y aller un peu plus fort pour provoquer le genre de débat que vous suggérez.
Etes-vous curieux de savoir comment le film va être reçu en France ?
D’après mon expérience, les films sont reçus partout plus ou moins de la même manière. C’est très rare qu’un film soit un grand succès dans un pays et un désastre complet dans un autre. En France, en Grande-Bretagne, en Europe, je m’attends un peu aux mêmes réactions qu’aux Etats-Unis. Pour certains, c’est un film trop lent, trop abstrait, et distant, pour que les spectateurs puissent s’y impliquer émotionnellement. D’autres, une communauté plus petite sans doute, ont intensément aimé ce film, à cause de son honnêteté, parce qu’il ne tentait pas de les manipuler. Ils ont été très reconnaissants d’être autorisés à se faire leur propre opinion, à penser, à réfléchir. Beaucoup de gens considèrent qu’en Amérique, le cinéma est devenu une expérience agressive, impliquant contrôle et manipulation. Avec ce film, Clint offre quelque chose de différent. La sensibilité d’Au-delà est sans doute plus européenne que tout ce qu’il a fait jusqu’à présent.