Ce livre est original, car il est le premier en France – et même en francophonie – à présenter le témoignage de soignants habitués à accompagner des psychothérapies assistées par psychédéliques, dans des pays et contextes où cela est légal, bien sûr. Je tiens, en effet, à rappeler d’emblée que l’usage des psychédéliques est illégal en France et que je n’incite personne à les consommer dans notre pays.

Les psychédéliques (PDL) sont des substances qui élargissent la conscience ou qui, étymologiquement, « révèlent l’âme ». Ils ne sont pas addictifs et, au contraire, peuvent aider à se sevrer de drogues addictogènes qui rétrécissent la conscience – comme l’alcool, les amphétamines, la cocaïne, l’héroïne, etc. Sous l’appellation de « PDL », nous parlons de substances comme le LSD, la MDMA (ecstasy), les champignons à psilocybine, l’ayahuasca, l’iboga, la 5-MeO-DMT, la sauge divinatoire, le cactus à mescaline, etc. (il y en a beaucoup d’autres encore).

Nous (les divers auteurs et moi-même) n’exposerons pas, ici, les résultats d’études scientifiques sur l’utilité thérapeutique des PDL, car cela a déjà été fait dans deux de mes livres La Médecine psychédélique⁽¹⁾ et La Révolution psychédélique⁽²⁾. Nous ne présenterons pas non plus un modèle approfondi des états de conscience élargis bénéfiques traversés grâce à ces substances, car je l’ai développé dans L’Éveil psychédélique⁽³⁾. Ces livres vous expliqueront comment la science a, d’ores et déjà, démontré deux choses essentielles à propos des PDL : (1) qu’ils doivent être pris dans des conditions de sécurité, avec une préparation, un accompagnement et un suivi ; (2) qu’ils sont sûrs d’utilisation, se montrent très efficaces dans le traitement de diverses pathologies physiques et/ou psychiques – même celles résistant aux traitements conventionnels – et peuvent favoriser le développement spirituel. Les PDL permettent notamment le traitement de pathologies variées comme le stress post-traumatique, les dépressions résistant aux antidépresseurs, diverses addictions (dont celle si fréquente et meurtrière de l’alcool), mais aussi certaines douleurs très invalidantes (céphalées en grappe ou algies neurovasculaires de la face, par exemple).

Dans le livre que vous tenez entre les mains, il sera question d’autre chose. Des experts feront état de leur vécu et des concepts qui leur semblent pertinents pour éclairer leur travail de prise en charge thérapeutique assisté par les PDL. Vous bénéficierez donc de la richesse des regards croisés d’une dizaine d’intervenants ayant, chacun, un arrière-plan personnel et professionnel différent.

La plupart des discours « scientifiques » réduisent l’expérience psychédélique à de simples mécanismes biologiques, socioculturels ou psychanalytiques. Mais ceux-ci ne concernent, en réalité, que la couche superficielle de l’expérience, ils ne disent rien de son essence profonde. Les chercheurs qui en parlent ainsi n’ont, en général, pas bénéficié du vécu intime, direct et répété des états élargis de la conscience, avec et/ ou sans PDL. Selon moi, seuls les « thérapeutes-chercheurs », ayant fait à la fois l’expérience personnelle des PDL et ayant aussi accompagné un certain nombre de gens sous PDL, sont en réalité les mieux placés pour élaborer des hypothèses viables pouvant prétendre expliquer et comprendre ce qui constitue le cœur de l’expérience psychédélique. C’est le cas des auteurs que j’ai contactés pour ce livre. Je les remercie vivement, avec beaucoup de gratitude, d’avoir accepté de nous révéler les arcanes de la psychothérapie psychédélique. Certains ont témoigné de façon anonyme, d’autres ont souhaité – et pu ! – le faire sous leur vraie identité. Il s’agit de Peter Gasser, Françoise Bourzat, Ansgar Rougemont-Bücking, Rosine Fiévet et Denis Dubouchet, Stephan Schillinger, Dahlila Spagnuolo, Bruno Giuliani ; ainsi que les « anonymes », Louis, Marisa L. et Florence K. Moi-même, j’ai répondu oralement à ces questions, au cours d’une interview réalisée par l’équipe du Sommet de la Conscience (Ana Sandrea et Stéphane Tétart), pour leur édition de mars 2022 ; qu’ils soient remerciés ici d’en avoir autorisé la publication.

Tous ont répondu aux sept mêmes questions. Mon objectif n’est pas de réaliser la synthèse de leurs réponses, mais plutôt de vous laisser vous imprégner des différents points de vue développés – tous intéressants, cohérents, riches et complémentaires. Ce sera à vous de sentir et de découvrir ce qui vous sera le plus utile… Voici ces sept questions, elles seront présentées plus en détail juste après cette introduction :

1. Quelles sont la nature et l’importance de l’expérience spirituelle lors d’une psychothérapie assistée par psychédélique (PAP) ?
2. Quels sont les mécanismes psychologiques (classiques ou originaux) à l’œuvre dans une PAP ?
3. Qu’est-ce que la conscience ? Et quel est son rôle dans une PAP ?
4. L’usage plus étendu des psychédéliques ou la pratique courante des PAP vont-ils favoriser le changement de paradigme scientifique, pour sortir de la prédominance du matérialisme (selon lequel tout n’est que matière) et conduire au postmatérialisme (tout vient de la Conscience, et la matière n’est qu’un état particulier de la Conscience) ?
5. Un usage qui serait plus répandu des psychédéliques ou une pratique des PAP qui serait devenue courante pourraient-ils participer (avec d’autres facteurs) à une sortie salutaire du modèle néolibéral ne proposant comme idéal et comme « valeurs » que la compétition et le chacun pour soi, pour nous amener à la création d’un monde plus solidaire, empathique et coopératif ?
6. Que faut-il développer comme qualités pour être un bon accompagnant de PAP ?
7. L’existence des esprits, des mondes parallèles ; est-ce une réalité, ou n’est-ce qu’une construction mentale, une hallucination ?

La portion principale du livre est organisée en deux parties : dans la première, quatre experts en psychothérapie assistée par psychédéliques répondent oralement au questionnaire au cours d’une interview vidéo ; dans la seconde, les autres experts en PAP répondent par écrit.

Il y a une huitième question que je n’ai pas posée aux intervenants, mais qui me semble centrale : est-ce que les PDL doivent être réservés à des sujets malades, dans des cliniques spécialisées, ou serait-il souhaitable – pour le bien individuel comme collectif – qu’ils puissent être utilisés par le plus grand nombre, pour le développement spirituel ? Dans la conclusion de l’ouvrage, après avoir répondu en faveur de la seconde proposition, je dévoilerai un Manifeste pour l’utilisation des enthéogènes⁽⁴⁾ dans le développement spirituel, coécrit avec Stephan Schillinger⁽⁵⁾.

L’utilisation des psychédéliques, à visée curative ou spirituelle, existe en réalité depuis des millénaires dans des contextes chamaniques. Ces substances ont aussi influencé de nombreux penseurs grecs et romains de l’Antiquité, à l’origine de notre pensée occidentale (philosophes et tragédiens, comme Platon et Euripide). Elles ont même contribué à la naissance des principales religions monothéistes, en inspirant leurs prophètes et mystiques. Ici, je propose l’expression « nouvelles thérapies psychédéliques », car les experts qui témoignent ne sont ni chamanes ni religieux et utilisent principalement des substances de création récente (comme le LSD) et/ou provenant de la recherche chimique (comme la MDMA et la kétamine, ou la psilocybine synthétique), mais pas les « grandes plantes chamaniques » comme l’ayahuasca, l’iboga ou les cactus à mescaline.

Enfin, précisons que j’utiliserai souvent le terme « transpersonnel » dans cet ouvrage. Cet adjectif caractérise une psychologie, une psychopathologie, et des psychothérapies explorant et utilisant à visée thérapeutique les états élargis de la conscience et les potentialités spirituelles propres à l’être humain. Les PAP pourraient être considérées comme une catégorie particulière dans l’ensemble des psychothérapies transpersonnelles. En France, la pionnière de cette approche est Bernadette Blin. Elle est cofondatrice et formatrice au CesHum⁽⁶⁾ et a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet, parmi lesquels Manuel de psychothérapie transpersonnelle⁽⁷⁾.

(1) Olivier Chambon, La Médecine psychédélique, op. cit.
(2) Olivier Chambon, Jocelin Morisson, La Révolution psychédélique, op. cit.
(3) Olivier Chambon, L’Éveil psychédélique, op. cit.
(4) Le mot « enthéogène » signifie l’aspect sacré des PDL lorsqu’ils sont consommés dans un cadre valorisant leur potentiel spirituel.
(5) Auteur de La Sagesse interdite, publié chez Véga en octobre 2022, portant sur la religion, la spiritualité et les psychédéliques ; intervenant dans cet ouvrage aussi.
(6) École de formation à la psychothérapie transpersonnelle, au chamanisme, à l’hypnose et à la respiration holotropique (accréditée par le Grof® Legacy Training).
(7) Bernadette Blin, Brigitte Chavas, Manuel de psychothérapie transpersonnelle, InterÉditions, 2011.


D^r Olivier Chambon, préface de Bernadette Blin, Les nouvelles thérapies psychédéliques, des experts témoignent, éditions Guy Trédaniel, p. 17-21.