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Vous
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Au cours des millénaires, l’être humain a trouvé un intérêt à se rapprocher de l’animal, au travers de la domestication. Troublant la délimitation entre sauvage et domestique, des relations aux modalités éclectiques ont été tissées…
Vous avez dit sauvages ?
Art de vivre
« Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde », soufflait le renard au petit prince (Saint-Exupéry). Depuis l’aube de l’humanité, l’être humain n’a eu de cesse de vouloir maîtriser la nature pour en tirer des bénéfices. La domestication des animaux fut pour lui un moyen d’accompagner l’accroissement démographique et la sédentarisation. Mais entre les éléphants sauvages kidnappés dans la nature, puis dressés pour divertir les touristes, et les vaches élevées dans des hangars, est-il si simple de distinguer le sauvage du domestique ? D’une façon générale, est jugé comme domestique un être vivant dont les humains contrôlent le cycle de reproduction, et que l’on considère, à cet égard, comme dépendant d’eux. Jacqueline Studer, conservatrice au Muséum national d’histoire naturelle de Genève et spécialiste de l’archéozoologie, explique(1) : « En archéozoologie, nous définissons un animal domestique quand son apparence diffère de celle de son ancêtre sauvage sur plusieurs points tels que sa taille, sa coloration, etc. »

Apparue il y a plus de 15 000 ans en divers endroits de la planète, la domestication a souvent été associée à la sédentarisation et à l’accroissement démographique. Eva-Maria Geigl est directrice de recherche au CNRS et coresponsable d’une équipe spécialisée en paléogénomique à l’Institut Jacques Monod à Paris. Elle relate qu’au début de la domestication, les animaux sauvages fuyaient la compagnie humaine : « Il faut imaginer que dans ce processus, au début certainement inconsciemment, on a aussi sélectionné les individus qui étaient moins peureux, moins stressés par la présence de l’humain, et moins agressifs aussi. C’était probablement le cas pour les bovins, dont l’aurochs était l’ancêtre sauvage. » Comme on peut par ailleurs le lire sur le site du Muséum national d’histoire naturelle(2), les domestications préhistoriques se sont faites très progressivement, sur plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires : « On parle plutôt d’entrée en familiarités entre humains, animaux et plantes. Elles pouvaient donc difficilement être intentionnelles, au sens de croisements ciblés pour produire une lignée sur mesure. » Eva-Maria Geigl illustre cette notion avec l’exemple du peuple sumérien, qui pratiquait involontairement la sélection : « Déjà, trois mille ans avant notre ère, on trouve des moutons couverts de laine, alors que les mouflons n’en possèdent pas. C’était certainement un hasard si les Sumériens se sont rendu compte que les mouflons pouvaient en produire, puis il y a eu une sélection dans ce sens. »


Des modifications interespèces


La domestication passe par un processus que Jacqueline Studer nomme « les trois prisons ». Les villageois sédentarisés capturent d’abord l’animal et le privent de sa liberté pour le garder auprès d’eux. Ils lui imposent ensuite un régime alimentaire différent de ses rations sauvages habituelles. Enfin, ils contrôlent les accouplements et choisissent dans la progéniture les individus dont les caractéristiques sont les plus avantageuses (docilité, force, capacité à produire de la laine, du lait, etc.). « La première domestication intentionnelle d’un animal sauvage a provoqué un changement important dans la tête de l’être humain. Imaginez ! Pour la première fois, il s’empare de la nature. Il se place au-dessus d’elle », souligne Jacqueline Studer. Sans grande surprise, les conséquences de ce processus sont souvent délétères pour les animaux… mais aussi pour les humains. Ainsi, en Asie du Sud-ouest, au tout début du Néolithique, « les chèvres et brebis étaient dans des enclos dans les villages. C’était une vie difficile pour ces animaux, comme en témoigne l’apparition de pathologies sur leurs os. Les bouquetins et mouflons sauvages sont des animaux de montagne qui sautent dans tous les sens et sont très habiles, ils ne sont pas faits pour être entassés ainsi », décrit Eva-Maria Geigl. En enfermant les animaux dans les villages, puis en les faisant entrer dans les maisons, on a par ailleurs assisté à l’émergence des premières zoonoses, ces maladies transmissibles de l’humain à l’animal, qui représentent une menace d’envergure aujourd’hui. Au XVIe siècle en France, l’exploitation de l’animal prend un tournant décisif. Descartes, dont la pensée imprégnera longtemps les esprits, affirme alors qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre un automate et un animal. Dans sa Lettre au marquis de Newcastle, il compare même l’animal à une horloge, composée de pièces mécaniques. Eva-Maria Geigl constate qu’« avec l’idéologie cartésienne, on pense couronner la création, on se donne le droit d’exploiter toute la planète, oubliant qu’on a scié la branche sur laquelle on est assis. Mais cette image est fausse – et c’est la biologiste de l’évolution qui vous parle –, car nous sommes un animal comme les autres, avec des capacités que d’autres n’ont pas, et ce sont ces capacités-là qui nous mènent au bord du gouffre… »

« Tu es responsable de ce que tu as apprivoisé. » Le petit prince


Une situation qui se modifie


Mais le pire est encore à venir. Il faut attendre le XXe siècle, avec la découverte des lois de l’hérédité, puis les apports du « génie génétique » pour que l’humain puisse intervenir directement sur le génome, avec des conséquences parfois dramatiques. À cette époque, on a doublé le nombre d’espèces et de races domestiquées ! Ce mécanisme est aujourd’hui répandu, avec pour résultats des dérives génétiques affaiblissant les animaux, une maltraitance systémique et des marées de « bêtes » que la planète ne peut, hélas, plus porter… L’ère de l’exploitation du vivant néglige tout à la fois la santé des écosystèmes et le bien-être animal. « Le problème est le manque de diversité génétique au sein d’un cheptel (ou d’une population ou d’une race), une grande consanguinité et/ou des caractéristiques qui les rendent malades, comme certaines races de chiens et de chats », relève Eva-Maria Geigl. Sélectionner certaines caractéristiques a enfin eu pour effet d’en éliminer d’autres.

Toutefois, la domestication a également des répercussions favorables, en fonction du point de vue d’où l’on se place. Tout dépend si l’on regarde l’individu ou l’espèce, explique l’experte : « Si un individu domestiqué peut se trouver dans une situation désagréable, l’espèce a énormément gagné de la domestication ! Elle a été répartie partout, même là où elle n’était pas avant, elle a vu sa population croître énormément, et elle n’a pas disparu – contrairement à des espèces sœurs qui sont restées sauvages. Par exemple, les bovins qui représentent plus d’un milliard d’individus, tandis que leurs ancêtres sauvages, les aurochs, ont disparu et que l’espèce sœur, les bisons, a failli disparaître ! »

(...)

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auteur

  • Aurélie Aimé

    Journaliste
    Journaliste, réalisatrice et auteure, Aurélie Aimé est spécialiste du monde des spiritualités et de l'écologie. Son parcours professionnel lui a permis d’explorer inlassablement ces sujets et de partager ses découvertes. D’abord, elle a été journaliste et animatrice télé sur M6, spécialiste de « récup’ » et d’ « astuces de grands-mères » pour l’émission 100% Mag. Puis en 2014 elle a rejoint la rédaction de l'INREES, de Kaizen, puis de Natives, entre autres. Elle est l’auteure de plusieurs ou ...
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