Je suis de la tradition de l’écrivain pèlerin,
qui voyage, voit des choses et essaie de partager
son expérience. Dans le sens où ce
voyage doit être aussi bien un voyage extérieur
qu’intérieur », dit de lui Paulo Coelho.
Ainsi peut se résumer son oeuvre : la quête de
soi, tout autant que de sens et de cet au-delà de soi.
Profondément catholique, initié dans sa jeunesse
à l’occulte et l’alchimie, voyageur ouvert aux spiritualités
du monde, Paulo Coelho, la foi chevillée
à l’âme, est passé maître dans l’art de lever le voile
sur l’invisible.
« Il faut être plus ouvert aux mystères »,
conseille-t-il, en évoquant son ouvrage
Le manuscrit
retrouvé.
Grâce à son style simple (simpliste, diront
certains), allié à des thématiques universelles qui empruntent
à la philosophie, la spiritualité et au développement
personnel, Paulo Coelho touche au coeur
ses contemporains et leurs aspirations. Un brin de
mysticisme, un zeste de surnaturel, une pincée de
magie de la vie, tel est l’alliage précieux qui le propulse
au sommet des auteurs les plus lus au monde.
Aux sources de sa
Légende Personnelle
« Accomplir sa Légende Personnelle est la seule et unique
obligation des hommes », professe-t-il dans son opus
mythique,
L’Alchimiste (83 millions d’exemplaires
vendus), fréquemment comparé au
Petit Prince de
Saint-Exupéry ou au
Prophète de Khalil Gibran.
L’idée clé qui passera à la postérité est bien cette
fameuse Légende Personnelle, et son caractère initiatique
incarné ici par le berger andalou Santiago
qui abandonne ses brebis pour entreprendre le
voyage qui le mènera au trésor enfoui au pied des
pyramides dont il a rêvé... au coeur de lui-même,
vers sa mission de vie.
L’auteur présente
L’Alchimiste
comme une illustration des
« quatre clés fondamentales
de l’alchimie » que sont, selon lui : les signes,
l’Âme du Monde, le Langage du Coeur et la Légende
Personnelle.
« Initié à l’alchimie, je crois que tout
homme a une mission sur terre, mais il nous
faut sans cesse entraîner notre volonté
pour l’accomplir », aime-t-il à répéter.
Savoir
lire les signes
s’apprend,
comme on
apprend
l’alphabet.
Son génie est de moderniser
l’idée du fatum, du destin, en
insistant sur la responsabilité de
chacun dans son accomplissement.
L’Alchimiste est un roman
miroir de sa propre quête ! Remontons
le fil... Paulo Coelho
naît à Rio de Janeiro en 1947, le
cordon ombilical autour du cou.
On le croit mort-né, on le baptise
illico dans un hôpital nommé Saint-Joseph...
et, miracle, il vit. Après son pèlerinage
à Saint-Jacques, Paulo Coelho soldera cette
« dette » vis-à-vis du Ciel, en réunissant ses amis d’une
vie dans diverses villes, année après année, pour célébrer
la Saint-Joseph, le 19 mars. Adolescent rebelle
dans une famille conservatrice, il est sensé suivre les
traces de son père, ingénieur. Lorsqu’il dit vouloir
devenir écrivain (avec pour modèle Jorge Amado),
ses parents le pensent fou et le font interner. Pas rancunier,
il déclarera plus tard que ses parents n’ont pas
fait ça pour le détruire mais
« pour le sauver », ne sachant
que faire de ses élans. Il en conservera un goût
immodéré pour la liberté (il publie un agenda 2018
sur ce thème chez Flammarion, ndlr).
Cette lutte
intérieure entre déployer ses rêves et coller à l’idéal
familial lui fournira à terme
« le carburant », dit-il,
pour accomplir son destin. S’il suit un temps le droit
chemin voulu par ses parents en entamant des études
juridiques, il le quitte aussitôt pour
prendre la route, en pleine époque
hippie. Une épopée très sex, drugs
and rock’n’roll ! De retour au Brésil
dans les années 1970, il connaît le succès
en devenant le parolier de l’icône rock
Raul Seixas. En raison du contenu de certaines
chansons, il est associé à l’occultisme et à la magie, ce
qui ne plaît guère au régime militaire en place. Paulo
Coelho est arrêté à plusieurs reprises pour activités
subversives. Malgré le succès et l’argent gagné en tant
que parolier, et la rencontre avec l’artiste Christina
Oiticia, avec qui il forme toujours un couple fusionnel,
il se sent incomplet. 1982 marque un tournant.
Il largue à nouveau les amarres pour visiter le monde,
notamment les pays au-delà du rideau de fer.
« Si nous
croyons avec force à notre Légende Personnelle, et si nous
persistons sur notre voie, alors le monde coopère à notre
légende », lit-on dans
L’Alchimiste. Lors de ce périple,
il s’ouvre au mystère des signes.
« Savoir lire les signes
que nous transmet l’univers s’apprend, comme on apprend
l’alphabet. On en relève quelques-uns, petit à petit ils forment
des phrases entières, puis un langage individuel »,
confie-t-il. Sa Légende Personnelle est en marche.
L’Enfant Jésus,
le dessinateur de rue
et la plume blanche
Entre autres signes, il y a l’épiphanie de Prague...
« Ces moments où vous savez qu’il existe une raison
pour laquelle vous êtes là ! » Paulo Coelho prie dans
la capitale de ce qui est encore la Tchécoslovaquie,
au pied de la statuette consacrée de l’Enfant Jésus de
Prague. Il demande un soutien divin pour accomplir
son destin d’écrivain.
Si sa requête est entendue, il
promet de revenir avec un petit manteau pour l’Enfant
Jésus (ce qu’il fera, en 2005). Juste après survient
une rencontre décisive. Dans une rue des alchimistes,
la ruelle d’Or, déserte et glacée, il croise un
jeune artiste qui dessine, alors même qu’il n’y a personne
pour acheter ses oeuvres. Impressionné, Paulo
Coelho lui achète un dessin. Le jeune homme lui
en offre un autre. Révélation !
« Il n’y a personne dans
cette ruelle, et pourtant rien ne l’arrête pour faire ce qu’il a l’intention de faire ! Parce que
c’est son destin. »
(Se) réaliser sans
forcément s’attacher au résultat :
il en fera l’expérience, puisque le
premier tirage de
L’Alchimiste, en
1988, au Brésil, se vend à moins de
mille exemplaires (c’est aux États-
Unis, dans sa version anglaise, que le
livre décollera en 1994) et sa femme, à
qui il montre le manuscrit, lui affirme que
ça ne marchera jamais (depuis, il ne lui montre
plus un livre avant qu’il ne soit chez l’éditeur !).
Si nous croyons avec
force à notre Légende
Personnelle, et si nous
persistons sur notre voie,
alors le monde coopère
à notre légende.
Après
cet
« éveil de Prague », il lui faudra encore la marche
initiatique du pèlerinage de Saint-Jacques, en 1986,
pour déployer ses ailes d’écrivain. Mais cette leçon de
vie, Paulo Coelho ne l’oubliera jamais. Après avoir
lancé un appel sur Facebook, dessins à l’appui, il renoue
avec cet homme providentiel trente-quatre ans
plus tard (il l’invite à sa fameuse fête de la Saint-Joseph,
organisée pour l’occasion à Prague...
« La boucle
est bouclée », dit-il). À la quarantaine, Paulo Coelho
atteint le coeur de sa quête. Un an avant
L’Alchimiste,
il publie
Le pèlerin de Compostelle, précédé du
Manual
prático do Vampirismo ou
Manuel pratique du
vampirisme (!), sous le pseudonyme Nelson Liano Jr
– effacé de sa bibliographie, car il le juge de piètre
qualité. Depuis, une trentaine d’ouvrages ont vu le
jour. Quand il lui arrive de ne pas trouver l’inspiration,
il attend un nouveau signe... comme lorsqu’il luttait contre la procrastination, tissée de peur, qui l’a
longtemps empêché d’accéder à son rêve. Ce fut une
plume blanche, trouvée dans la vitrine d’un magasin,
qui a été le déclencheur.
« À présent, si je vois une
plume blanche, je sais que c’est un signe que Dieu me
donne que j’ai un livre à écrire. » Et il se met aussitôt
à l’oeuvre !
L’ermite connecté
Aujourd’hui, l’écrivain-star qui a gagné de l’argent
pour deux générations rien qu’avec
L’Alchimiste (sic),
mène avec Christina Oiticia une existence simple et
retirée dans leur appartement qui domine Genève
et s’ouvre sur les montagnes alentours.
Depuis cette
nature à laquelle il se sent connecté et qu’il aime tant
arpenter (marcher est sa passion, ainsi que le Kyudo,
le tir à l’arc zen), l’homme en noir, dont l’unique
extravagance est d’arborer la sikha – cette queue de
cheval ou mèche de cheveux des brahmanes, legs
de son passé hippie – se fait rare. Il a même caressé
le rêve de se retirer dans une cabane de montagne,
mais y a renoncé en route.
« J’étais totalement détaché
de la réalité et je perdais la principale qualité d’un
écrivain, qui est celle d’être un miroir de son temps »,
confie-t-il à un média suisse en 2016, alors qu’il est
à l’honneur au Salon du livre de Genève, sa ville
d’adoption. Un ermite, certes, mais hyperconnecté !
Fervent adepte des réseaux sociaux, il compte près de
30 millions de fans sur Facebook et plus de 12 millions
de followers sur Twitter. Actif sur Instagram, il
possède une chaîne sur YouTube. En 2014, il a transféré
en ligne 80 000 documents (photos, manuscrits,
articles, lettres de lecteurs), créant un musée 2.0,
pendant virtuel de sa Fondation Paulo Coelho, basée
à Genève. Lui qui voyage léger, emporte toujours
une image de Nhá Chica, cette Bienheureuse brésilienne
qui a consacré sa vie aux pauvres.
« Un guerrier
de la lumière est au monde pour aider ses frères »,
a-t-il écrit. Au Brésil, Paulo Coelho a fondé un institut
pour donner l’opportunité aux exclus d’accéder à
leur rêve, leur Légende Personnelle.
Genèse du Manuel du guerrier de la lumière
Le Manuel du guerrier de la lumière (1),
l’un des best-sellers de l’auteur, convie à ce qu’Hannah
Arendt nomme le « renversement de la hiérarchie
traditionnelle entre contemplation et action ». « Un
guerrier de la lumière ne reste jamais indifférent à
l’injustice. Il sait que tout est un, et que chaque action
individuelle affecte tous les hommes de la planète.
Alors, quand il se trouve devant la souffrance d’autrui,
il se sert de son épée pour remettre les choses en ordre »,
écrit-il.
La politologue et auteure Catherine Boudet
rappelle que la notion de « guerrier de la lumière »
trouve ses origines dans le concept de javânmardî, ou
chevalerie spirituelle, hérité de l’antique religion
mazdéenne : « La “javânmardi” mazdéenne, ou
“fotowwat” chez les soufis, est une catégorie éthique
qui désigne ceux en qui s’actualisent les énergies
spirituelles, les forces de l’âme. Le chevalier spirituel
est par excellence le porteur du “xvarnah”, dont la
racine mazdéenne signifie à la fois lumière et destin ;
c’est la flamme suprasensible, la lumière des mondes
supérieurs qui effuse la présence et l’essence divine
dans l’être créé. C’est une présence engagée vis-à-vis
de ce monde, mais cet engagement, l’être de lumière
ne peut l’assumer qu’en progressant sur la voie du
perfectionnement spirituel qui fait de son acte d’exister
un acte de présence également aux mondes au-delà »,
décrit-elle. Une voie que Paulo Coelho traduit ainsi :
« [Le guerrier de la lumière] sait que l’Univers
fonctionne à l’image de l’alchimie : dissous et coagule,
disent les maîtres. Concentre et disperse tes énergies
en accord avec la situation. »
(1) Paulo Coelho,
Manuel du guerrier de la lumière, Éd. J’ai Lu, 2012.