Souvent associée à Madonna,
Britney Spears ou Leonardo Di-
Caprio, la kabbale apparaît dans
les médias comme une religion à
la mode. Pourtant,
« la kabbale a
existé avant Madonna », nous dit
avec humour Haïm Korsia, grand
rabbin de France ! Issue de l’hébreu
qabbalah, qui signifie
« tradition » ou
« recevoir »,
elle concerne d’abord les textes prophétiques et hagiographiques
de la Bible jusqu’au Moyen Âge, où elle
finit par désigner la mystique juive et les traditions ésotériques
du judaïsme. Aussi la kabbale consiste-t-elle
en une relecture de la Torah, révélant le sens caché de
ses lois, ses histoires, ses figures, ses mots et ses lettres.
Loin d’être un discours gratuit, elle tente de répondre
à des questions fondamentales telles que :
« Qu’est-ce
que le monde, que Dieu, que l’homme, et qu’en est-il de
leur rapport? (…) Pourquoi, comment et quand Dieu
a-t-Il créé le monde et l’homme, pourquoi et comment se
révèle-t-Il au monde et à l’homme, et quelle responsabilité
en découle pour l’homme envers Dieu et le monde? »,
note Julien Darmon, élève de Charles Mopsik (1956-
2003), un spécialiste de la kabbale et le traducteur,
entre autres, du Zohar. Proche de la philosophie, la
kabbale en dière cependant dans ses modes d’interprétation,
du plus littéral au plus secret (il en existe
quatre :
« sod », le sens secret ;
« derash », l’enquête ;
« remez », le
sens allusif;
« peshat », le sens premier) et ses techniques
spécifiques, comme la
« guematria », qui consiste à donner
une valeur numérique aux vingt-deux lettres hébraïques
(cette technique revient à donner la valeur
1 à la première lettre, 2 à la seconde, etc., jusqu’à la
dixième lettre, puis 20 à la suivante, 30, 40, jusqu’à
100, et enfin, 200, 300, 400 aux dernières lettres), ou
le
« tseruf », la permutation ou l’association de lettres entre
elles.
« Tout le monde peut s’intéresser à la kabbale, précise
Haïm Korsia, mais s’il s’agit d’un survol intellectuel,
ou prétendu tel, cela ne servira strictement à rien. La kabbale
n’a de sens véritable que si son étude débouche sur des
retombées pratiques, où vie spirituelle et vie quotidienne
sont étroitement liées. »
Voyage intérieur et sefirot
En essayant de percer les secrets de la Torah, les kabbalistes
ont donc cherché les voies permettant d’accéder
à la divinité. Dans cette perspective, ils ont élaboré six
mille textes environ, desquels ressortent le Livre de la
Création (Sefer Yetsira), le Livre de la Clarté (Sefer Ha-Bahir) et le Livre de la Splendeur
(Zohar), où l’on trouve, entre autres, des explications
sur Dieu, la création du monde et la responsabilité de
l’homme face à la nature, le char céleste qui concerne
la dynamique du cours de l’histoire et les événements
dans le temps, la science des Lettres et la transmigration
des âmes. Autant de sujets qui permettent de
comprendre le destin de l’être humain : entreprendre
le voyage intérieur qui le mènera jusqu’à sa réalisation
spirituelle et l’accomplissement du monde selon les
desseins de Dieu.
Dieu est l’origine de toute la création. Soucieux de
ne pas l’enfermer dans un concept limitant, les kabbalistes
préfèrent parler de l’Ein Sof, la transcendance
divine absolue, cachée et infinie. Pour permettre la
création, la conscience divine illimitée s’est rassemblée
et contractée en un point (
« tsimtsoum »), créant un vide
d’où a jailli la lumière ou l’énergie créatrice. De cette
énergie émanent les vingt-deux lettres hébraïques, les
dix sefirot, ou puissances divines, et les quatre mondes
de l’émanation, de la création, de la formation et de la
fabrication, où elles s’étagent – à travers lesquels Dieu
se manifeste dans l’univers. Considérées comme l’essence
du divin et ses attributs, les sefirot constituent
donc le lien entre Dieu et la création. Elles sont habituellement
représentées dans un diagramme en forme
d’arbre et portent chacune un nom : Keter, Hokhma,
Bina, Hesed, Gevura, Tif’eret, Netsah, Hod, Yesod et
Malkhut. À l’origine du monde et de l’homme, elles
permettent également de comprendre le déroulement
de l’histoire et son but. Selon le principe que tout ce
qui est en haut est comme tout ce qui est bas, et inversement,
l’homme est fait à l’image du monde séfirotique.
Son âme est divine. Ainsi est-il destiné à intégrer
l’ensemble de ces puissances pour agir sur les mondes
humain et divin, grâce à ses prières et aux préceptes
de la Torah. En remontant tous les degrés séfirotiques
vers leur source originelle, il peut mener le monde à sa
réparation (tiqqun) et son parachèvement.
L’ombre et la lumière
« Le problème du mal occupe [en effet] une place
considérable dans les préoccupations des kabbalistes »,
note Roland Goetschel dans son
« Que sais-je ? » sur
la kabbale (PUF, 1985). Existant en puissance
dans le monde séfirotique, il est la responsabilité
de l’homme qui, en n’accomplissant pas la volonté
divine, le fait passer à l’acte dans le monde
manifesté, entraînant une rupture de l’ordre séfirotique. Cette faute se perpétuant de génération
en génération, l’histoire humaine est dominée par
la nécessité de réunifier l’arbre des sefirot. C’est la
raison pour laquelle la Torah fournit à l’homme la
connaissance et les instruments pour effectuer son propre tiqqun, conduire l’histoire vers sa fin ultime
et restaurer le monde dans sa perfection première.
Longtemps transmise par oral à un nombre limité
d’initiés observant ces quatre conditions – avoir
plus de quarante ans, être marié, avoir des enfants,
posséder une connaissance approfondie des textes
hébraïques –, la kabbale a été progressivement vulgarisée
par l’écriture, puis par la publication d’ouvrages
proposant des applications de plus en plus
variées de ses mystères, au grand dam des juifs orthodoxes.
Aujourd’hui, quelques auteurs diffusent
en effet cette sagesse ancestrale à tous ceux qui s’y
intéressent, religieux ou pas, comme réponse aux
grandes questions de l’existence, méthode de développement
personnel ou voie spirituelle. Les livres,
les cours, les colloques et les stages, plus ou moins
sérieux sur la question, se développent, allant de
l’explication de ses théories les plus complexes à la
promotion de ses vertus amaigrissantes.
Parmi ses vulgarisateurs les plus connus, on trouve
Philip S. Berg, le fondateur en 1989 du Centre de
la kabbale, à Los Angeles. Ce centre, dirigé par
la famille Berg, a été accusé de détournement de
fonds par le FBI en 2011, provoquant le départ
de nombre de ses adeptes, comme Madonna, et
alimentant le grand débat stars-sectes-argent. Son
but : révéler les mystères de la kabbale aux non-juifs,
les aider à percer les énigmes de l’univers,
afin de se réaliser sur Terre et vivre l’abondance.
À sa mort en 2013, son enseignement a été repris
par sa femme Karen Berg, auteur de Dieu porte
du rouge à lèvres, destiné à ouvrir la kabbale – habituellement
réservée aux hommes – aux femmes
et à promouvoir le rôle spirituel de celles-ci dans
le monde, puis par leurs deux fils Michaël et
Yehuda Berg. Dans Le pouvoir de la kabbale, ce
dernier distingue deux mondes : le monde physique
des 1 %, qui est la réalité familière, où l’on
est confronté à des défis et des obstacles, et le
monde des 99 %, où règne la Lumière.
« D’après
la kabbale, explique-t-il, tout ce que nous désirons
réellement – amour, joie, sérénité – est accessible
lorsque nous nous connectons à cette dimension qui
se trouve au-delà de la perception de nos cinq sens. »
Pour cela, il propose de se transformer spirituellement,
en résistant à ses pulsions réactives et en
devenant proactif, pour entrer en contact avec le
monde des 99 % et créer de la lumière durablement
dans sa vie.
« Lorsque nous réagissons à nos
problèmes par la colère, la jalousie, la peur et l’insécurité,
remarque-t-il, nous nous déconnectons de la
source d’accomplissement durable. Imaginez si nous
pouvions utiliser nos problèmes comme des tremplins
d’accès aux 99 %. Grâce aux outils de la kabbale,
nous pouvons nous élever au-dessus des limites de ce
monde physique et nous connecter avec cette source
d’énergie suprême. » Ainsi la kabbale peut-elle
aider tout un chacun à lutter contre le chaos et
gérer ses problèmes personnels, se créer une vie
heureuse et s’ouvrir à l’amour de soi et des autres.
En essayant de percer
les secrets de la Torah,
les kabbalistes ont donc
cherché les voies permettant
d’accéder à la divinité.
La kabbale et la médecine
La médecine est un autre champ d’application moderne
de la kabbale. Pour Ariel Toledano, médecin
spécialisé en phlébologie, la kabbale est
« une philosophie
de vie dont le but est d’orienter l’existence vers
un équilibre physique et psychique », écrit-il dans son
livre Médecine et kabbale (Éd. In Press, 2015).
À travers
son anatomie, l’homme est un monde en soi, un
microcosme qui résume l’univers dans sa complexité.
En ce sens, il existe une correspondance entre les
sefirot, les lettres hébraïques et le corps humain. De
plus,
« si les lettres ont le pouvoir de créer, elles ont aussi
le pouvoir de guérir ».
Rivka Crémisi, formée à la médecine traditionnelle
chinoise, intègre leur symbolique dans sa
pratique énergétique. Pour elle,
« le corps et la lettre
hébraïque sont UN ».
« Depuis l’existence de l’humanité,
la mémoire de l’univers s’enracine au coeur de
nos âmes. Chaque embryon reçoit la Connaissance,
la Sagesse suprême, tel un livre ouvert. Celle-ci n’a
pas d’âge. Nous sommes ce livre de splendeur: joyau
à sculpter, à ciseler, à révéler afin de faire peu à peu
émerger notre projet de vie, et comprendre le sens de
notre incarnation », nous dit-elle dans son livre
Splendeur des lettres, splendeur de l’être (Éd. Dangles,
2016). Elle utilise donc les mots et les lettres pour
déchiffrer le corps. Des pieds à la tête, en passant
par les organes, elle distingue par exemple
« qarsol », la cheville où s’articule l’union du ciel et de la terre,
« matnayim », les hanches où s’effectue la traversée vers
l’autre rive, ou encore
« pé », la bouche, la matrice de
la parole juste, créatrice et restauratrice. Autant de
clés permettant de mettre des mots sur les maux
et de guérir le corps et l’âme de l’homme, appelé à
rayonner la présence divine sur terre.
Kabbale : l’arbre des Sefirot
L’arbre des sefirot représente la structure de l’Univers et de
l’homme. Il est le symbole des forces à l’oeuvre dans le monde
manifesté et de leurs interactions. Les dix sefirot qui le constituent
sont considérées comme les visages ou les vêtements de Dieu.
Dans l’ordre de leur émanation, il y a :
1. Keter : la couronne ou la volonté de se manifester de l’Ein Sof
2. Hokhma : la sagesse
3. Bina : l’entendement ou l’intelligence
4. Hesed : la grâce ou la compassion
5. Gevura : la rigueur, d’où peut naître la restriction
6. Tif’eret : l’harmonie ou la beauté
7. Netsah : la victoire ou l’éternité
8. Hod : l’élégance ou la majesté
9. Yesod : le fondement à partir duquel se déploie le monde
10. Malkhut : le royaume nécessaire à la couronne Keter, où se matérialise le monde.