Tant d’artistes, de penseurs, de scientifiques émérites ont flirté avec la folie.
Nous-mêmes, ne sommes-nous pas tous parfois « borderline » ? Et si la folie révélait
un aspect méconnu des capacités humaines, et la possibilité d’accéder à d’autres
réalités ? Pour le psychiatre Serge Tribolet, c’est une certitude.
Art de vivre
Stéphane Allix
Au cours de votre pratique clinique, quelles
sont les expériences qui vous ont introduit
au « surnaturel », c’est-à-dire à un niveau de
perception de la réalité différent du niveau communément
admis ?
Elles sont nombreuses car à peu près toute la clinique psychiatrique
est rattachable au surnaturel : les phénomènes
hallucinatoires – qui peuvent faire l’objet d'une discussion
sur plusieurs plans, physique, ésotérique etc. – ; les voix
qui traversent nos pensées ; les souvenirs d’aspect fictif
qui hantent notre mémoire ; les sentiments de déjà-vu, de
déjà vécu, qui rappellent cette interrogation de Platon :
« Sait-on déjà ce que nous apprenons ? » ; les transmissions
de pensée ; l’expérience intime qui nous relie à un
proche disparu ; la sensation inquiétante ou étrange d’une
présence – cela peut nous arriver de temps à autre mais les
patients viennent à nous car ils ressentent cette présence en
permanence, ce qui peut être source d’angoisse…
Y a-t-il pour vous une différence entre ceux qui vivent
peut-être des expériences réelles qu’ils ont du mal à
interpréter et ceux dont le cerveau est véritablement
atteint ?
Je ne fais pas cette distinction. Ce n’est pas que le cerveau
est endommagé, c’est qu'il y a, à un moment donné, la
capacité à accéder à un degré de réalité autre. Il faut bien
comprendre que se retrouver en psychiatrie n’est pas signe
de nullité. Sans négliger bien sûr la gravité des tentations
suicidaires, ou de l’agressivité de certains patients, je soutiens
que la maladie mentale, qui est vue aujourd’hui
comme une dégradation, un déficit, pourrait bien révéler
l’inverse. Les symptômes nous donnent un accès privilégié
à une réalité autre et nous interrogent sur notre
propre fonctionnement. Le patient raconte une réalité
qui n’est pas inexistante ; simplement, cette réalité dit
des choses qu’on a du mal à saisir si l’on s’en tient à la
raison classique.
En quoi ces symptômes nous ramènent-ils à nous-mêmes
?
Ils nous rappellent que notre quotidien est fait d’inconnu,
peuplé de présences invisibles. Notre réalité est construite
sur l’impalpable et l’évanescent : souvenirs, sentiment
d’identité, perceptions sensorielles… L’homme traverse
un monde qu’il ne connaît pas. Il est trop absorbé dans sa
quête de certitudes, trop entravé par ses convictions, pour
s’en rendre compte. Mais si les secrets de notre humanité
n’étaient pas à rechercher ni dans les confins des galaxies,
ni dans les circonvolutions cérébrales ? S’ils n’étaient pas
non plus dans les molécules qui constituent notre corps,
notre sang, nos gènes ? Je pense qu’on ne découvre pas
l’homme dans les laboratoires scientifiques ni dans les livres
de psychologie. Nous le rencontrons plutôt là où est tombé
le voile de la raison, là où il est dit fou, et où l’on soigne la
maladie mentale. Dans cette réalité, les miroirs peuvent
nous regarder et réfléchir ce que nous pensons. Là où le
temps n’a pas d’heures, où les souvenirs peuvent concerner
le futur, où les choses qui nous entourent peuvent exister
par elles-mêmes, où des présences invisibles nous côtoient.
Toutes ces manifestations sont décrites par les personnes
diagnostiquées schizophrènes et sont considérées comme
des signes habituels de folie. Mais il me semble qu’elles ne
doivent pas être réduites à une simple symptomatologie qui
relèverait d’un fonctionnement psychique perturbé. Elles
sont le témoignage d’une effraction du réel, la tentative de
dire l’extérieur du réel, d’une certaine façon un témoignage
de liberté. ...
Écrivain et réalisateur, Stéphane Allix est devenu journaliste en rejoignant clandestinement, à 19 ans, en 1988, les résistants afghans en lutte contre l’occupant soviétique. Durant les années 90, il a voyagé à travers le monde, couvert plusieurs guerres, réalisé des films, et écrit plusieurs livres.
Depuis 2003, il est engagé dans l’étude et la recherche sur les conséquences de la révolution scientifique en cours, avec une approche comparée de disciplines telles que la psychia ...
À
retrouver
dans
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