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Jacques
Attali
-
La
part
spirituelle

Le monde est en train de changer. Et si l’altruisme, et les forces de l’esprit, étaient l’avenir ? Confidences intimes et surprenantes d’un homme au cœur de la vie intellectuelle, politique et économique française. Entretien exclusif à découvrir dans le magazine Inexploré n°14.
Jacques Attali - La part spirituelle
Inspirations

Selon vous, la crise que l’on traverse aujourd’hui a-t-elle seulement des ressorts économiques ?


Elle est en fait beaucoup plus profonde. Crise, cela veut dire : mouvement, changement, mutation. Nous traversons une mutation extrêmement complexe, celle de la généralisation du modèle occidental. Nous ne sommes pas à la fin, mais au contraire dans l’universalisation du modèle occidental. Quand l’empire romain a disparu, une grande partie du monde était devenue romaine. Les valeurs romaines étaient devenues globales. C’est ce qui se passe avec l’occidentalisme : tout le monde devient occidental alors que l’Occident s’enfonce. La valeur majeure de l’Occident, c’est la liberté individuelle. Et c’est justement cette apologie extrême de la liberté individuelle qui est la cause profonde de la crise actuelle.


Vivons-nous la crise d’une société fondée sur l’assouvissement de nos passions et de nos désirs de consommation ?


De nos désirs tout court. C’est le « moi d’abord, maintenant, tout de suite », et rien d’autre ne compte. C’est cela qui fait la tragédie et en même temps la vertu fascinante de la liberté individuelle. L’expansion de ce système le fait triompher en détruisant des sociétés antérieures, en faisant exploser les autres systèmes : des sociétés religieuses, des sociétés archaïques, des sociétés dictatoriales aussi – parce que la liberté individuelle, c’est à la fois le marché et la démocratie, une valeur à la fois positive et problématique. C’est ça qui est en train d’exploser.


Les pays émergents, comme l’Inde, la Chine, sont aujourd’hui des puissances économiques colossales qui avancent vers l’accroissement de la consommation, de la richesse…


Bien sûr, c’est ce que je viens de dire : elles vont dans la direction de l’expansion du modèle de la liberté individuelle.


Et selon vous, ça mène à quoi ?


A l’occidentalisation de la planète. Avec (souvent d’ailleurs en Occident), l’émergence d’une nouvelle valeur qui est l’altruisme – que l’on voit apparaître dans les ONG, dans les réflexions sur l’empathie, le désir de s’occuper des autres, le bonheur que l’on trouve dans le fait que les autres soient heureux, toutes ces choses nouvelles qui à mon avis sont l’avenir. Les réseaux sociaux, par exemple, sont à la fois du narcissisme (je me montre dans les réseaux), et témoignent aussi d’une volonté de communiquer, de mettre en relation.


Voyez-vous plus d’avenir dans des systèmes valorisant la coopération que dans les systèmes actuels ?


La première vague d’avenir, c’est la généralisation du marché et de la liberté individuelle. Cela conduira à une contradiction, une explosion : écologique, militaire… Parce que toutes les libertés individuelles ne sont pas compatibles. En même temps, l’exacerbation de la liberté, c’est l’exacerbation de désirs impossibles à satisfaire : vivre éternellement, avoir accès à tout… La liberté ça sera de plus en plus non pas la liberté de choisir : « ça OU ça » mais celle de « je veux avoir ça ET ça ». Donc la polygamie, l’accumulation d’objets à l’infini… toutes choses devant être considérées comme moralement non répréhensibles si on les décide comme telles – mais qui sont impossibles. Vivre éternellement, avoir autant de partenaires que l’on veut, à l’infini, sur une durée de vie très longue, ça créera des contradictions. Accumuler des objets en permanence, avoir non pas une voiture mais plusieurs, juste pour pouvoir en changer tous les jours, ça n’a pas de sens. Donc c’est en contradiction avec la rareté des choses, et cette contradiction va entraîner progressivement l’apparition d’un autre modèle qui est celui de l’altruisme.


Pensez-vous que l’altruisme peut avoir une réelle application concrète, et collective ?


Cela existe déjà : les ONG sont fondées là-dessus, les réseaux sociaux sont fondés là-dessus, beaucoup de dimensions même très banales. Par exemple quand je développe une sécurité sociale où je finance le soin des autres, c’est parce que je pense que le fait que les autres soient soignés est bon pour moi. Donc je pense qu’il y a une transition qui va se faire entre la liberté individuelle et l’altruisme, par ce que j’appelle l’idée de l’altruisme rationnel, l’altruisme intéressé : j’ai intérêt au bonheur des autres. Avant de dire : j’éprouve du plaisir au bonheur des autres, je trouve de l’intérêt au bonheur de l’autre. Le bonheur de l’autre est conforme à l’expression de ma propre liberté. J’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas malades, j’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas pauvres, j’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas révoltés. L’altruisme est rationnel. J’ai intérêt à être altruiste. J’ai intérêt à ce que les autres soient bien portants, sinon ils risquent de me rendre malade par contagion. J’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas pauvres, sinon ils vont faire la révolution. J’ai intérêt à ce que les autres sourient, parce que j’ai intérêt à avoir des sourires autour de moi. J’ai intérêt à ce que les autres soient heureux, parce que ce sont mes clients... Un hôtelier par exemple, a un intérêt rationnel à être altruiste, parce que sinon, les clients ne viennent plus ! Dans une société qui devient de plus en plus une société de services, l’altruisme est vraiment nécessaire.


Au-delà de ces mouvements que vous pouvez observer, quel est votre sentiment sur le rôle de l’être humain et des évolutions qu’il est en train de vivre sur les prochaines décennies ?


Oh, une décennie ce n’est pas grand-chose, une décennie ce n’est rien… mais progressivement on assiste à la naissance d’un cerveau collectif, il y a des technologies nouvelles, on assiste à la démultiplication du progrès humain par les prothèses qui vont changer beaucoup de choses, en particulier dans le domaine des prothèses médicales liées à l’expansion des moyens du cerveau, avec les limites de l’être humain : d’abord la limite de l’espérance de vie, et la capacité d’apprendre. Au fond, on a fait des progrès sur des tas de choses, mais on n’apprend pas mieux.

J’ai de bonnes raisons de croire à la présence des esprits


Votre journal s’appelle Inexploré, c’est très important d’explorer : on ne connaît rien des moyens d’apprendre, des moyens de mise en mémoire, de mise en relation – tout à l’heure je parlais de mise en relation, de réseaux – et le cerveau c’est d’abord la mise en relation de domaines improbablement reliés. On ne connaît rien de cela, rien des processus... Il faut toujours 2 200 heures pour apprendre une langue, maternelle ou pas ; on ne connaît rien des processus d’apprentissage et je pense qu’il y a là de grands champs de progrès à faire.


Dans ces dimensions qui nous restent à découvrir, il y a une dimension qui est qualifiée de spirituelle et qui pourrait se rattacher à un fonctionnement plus large de l’être humain. Considérez-vous le spirituel comme important ?


Pour moi c’est évidemment très important : tout ce qui est l’intuition, le non-dit… la musique est au coeur de ma vie, et la musique est dans le non-dit, l’intuitif, le subjectif, l’esprit. Je crois à l’univers de l’esprit. Je crois à la transmission de pensée. Oui, je crois à la transmission de pensée involontaire entre deux esprits qui communiquent, parce que j’en ai eu très souvent l’expérience. (...)

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propos

auteur

  • Stéphane Allix

    Journaliste et écrivain
    Écrivain et réalisateur, Stéphane Allix est devenu journaliste en rejoignant clandestinement, à 19 ans, en 1988, les résistants afghans en lutte contre l’occupant soviétique. Durant les années 90, il a voyagé à travers le monde, couvert plusieurs guerres, réalisé des films, et écrit plusieurs livres. Depuis 2003, il est engagé dans l’étude et la recherche sur les conséquences de la révolution scientifique en cours, avec une approche comparée de disciplines telles que la psychiatrie, la physique ...
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