Qu’est-ce exactement que le flow : une nouvelle tendance ou un nouvel état de conscience ? Comment le corps et l’esprit jouent-ils la partie pour que le flow coule à flots ? Appelé « la zone » chez les sportifs, le flow ne se vit pas que sur un terrain de foot ou un court de tennis, mais aussi dans d’autres sphères créatives (les échecs, la peinture, l’écriture…) où la joie et la concentration vont de pair. Et s’il n’était pas singulier, mais pluriel ?

Une transe extatique

Quel est cet état de grâce qui nous saisit au point de ne plus savoir qui de nous, du sport, de l’art ou de la passion agit ? Vient-il naturellement ou au prix d’un long entraînement ? Si certains en sont traversés, d’autres sont allés le chercher. Une chose est sûre, quand on l’a connu une fois, on n’aura de cesse que de le revivre mille fois. Convoité par les sportifs et, aujourd’hui, par tout un chacun, le flow ne se force pas, il s’invite. D’où provient cet état mystérieux qui nous fait oublier jusqu’à notre identité et l’enjeu de l’instant ? Démystifié par le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi, auteur du livre Vivre, la psychologie du bonheur (éd. Pocket, 2006), le flow est cet état de transe que l’on vit lorsque l’on est pleinement occupé par son activité. Multidimensionnel, il pourrait s’atteindre par le corps comme par l’esprit, seul ou en groupe. On ressent alors « un sentiment de grande absorption, d’engagement, de concentration, de domination et de talent au cours duquel les préoccupations temporelles sont totalement ignorées et où l’ego disparaît. Le temps passe vite. Chaque action, chaque mouvement et même chaque pensée découlent naturellement et inévitablement des précédents ; tout votre être est impliqué et vous utilisez vos compétences à l’extrême », explique le psychologue. C’est l’extase, l’état de grâce absolue où l’on ne fait qu’un avec notre occupation… le corps fusionne avec l’esprit, notre conscience s’élargit et rallie le grand Tout. Nos performances sont démultipliées et notre réalité s’en trouve modifiée. Le bonheur ressenti est sans égal et n’appelle qu’à revivre cette expérience optimale. Corps, cœur, âme et esprit, désormais alliés, nous envoient un message subliminal : « Dans cette zone, tu es la version maximale et originale de toi-même. »

Le flow : singulier ou pluriel ?

Connu aujourd’hui, le flow a fait frémir certains (et pas que de plaisir) qui en ignoraient l’origine comme le mot. Jean-François Houssais, médecin et chercheur au CNRS retraité, auteur de l’ouvrage Les trois niveaux de la conscience (éd. Guy Trédaniel, 2016) a cru mourir lorsqu’adolescent, il a perdu « le contrôle sensoriel de son corps », face à ses parents. Si la « sortie du corps » qu’il a vécue quelques heures auparavant en plein cours de chant ne l’a pas inquiété, se sentant invisible aux yeux des siens, il croit défaillir : « À la chorale, j’étais toujours conscient normalement et j’intégrais mes perceptions. Mais près de mes parents, la sortie du corps a provoqué un grand stress. Je le quittais, je ne le sentais plus, et j’allais mourir. Je les appelais à l’aide. Je ne comprenais pas. Ils ne me voyaient pas, ils ne m’entendaient pas, alors que leur fils allait les quitter et mourir. Je tapais des pieds sur le parquet pour essayer de maintenir quelques sensations avec la réalité du corps physique », confie-t-il. Il vécut ce jour-là une expérience qu’on qualifie aujourd’hui d’état de flow… « Dans ce silence qui semblait figer jusqu’au temps lui-même, j’éprouvais de manière inattendue une perception intense d’éloignement de tout […] et aussi de moi-même. […] Une chaleur, une lourdeur envahissaient mon corps tout entier. […] Paradoxalement, la perte de mes sensations cinesthésiques me procurait un profond bien-être, […] ma capacité d’analyse et mon activité intellectuelle étaient d’une vive acuité. » Il va jusqu’à ressentir un « dédoublement ». « Ma conscience, c’est-à-dire moi-même en pleine lucidité, je me trouvais soudainement localisé à environ un mètre au-dessus du corps physique […] Tout se passait comme si j’étais dans la pleine réalité de moi-même, dans un second corps situé au-dessus du premier et dans la même position à l’horizontale », poursuit-il. (...)