L’ayahuasca est-elle une drogue dangereuse ou une médecine sacrée ? Mel, procureure de la République au Brésil, doit se prononcer sur ce dossier délicat concernant ce breuvage psychoactif d’Amazonie. Un contact avec l’au-delà durant un rêve influencera sa décision, et marquera l’Histoire de la légalisation de cette mixture « enthéogène », désormais reconnue
comme « objet de culte religieux ».
Après la publication de notre enquête sur les résultats stupéfiants de la médecine psychédélique, voici une histoire qui pourrait bien changer notre vision de certaines substances, comme l’ayahuasca, encore considérées comme des drogues dans beaucoup de pays...
Le jour où elle prend ses fonctions de procureure de la République au Ministère Public brésilien, en 2005, Maria Eliane Menezes de Farias dit « Mel » se voit confier un dossier épineux concernant l’ayahuasca pour lequel elle doit rapidement se prononcer :
« Des personnes, considérant à l’époque ce breuvage psychoactif ancestral comme une drogue, ont accusé un centre spirite qui utilisait ce ‘’thé ‘’ aux vertus enthéogènes pour communier en famille, de droguer les enfants, et de les mettre en danger. Je devais me positionner entre deux principes constitutionnels : la liberté de culte d’un côté. Par ce principe qui permet aux personnes de choisir et de pratiquer la religion qu’elles souhaitent, la constitution donnant implicitement un fondement à l’utilisation de l’ayahuasca, dans un cadre religieux.
Et la protection des enfants, de l’autre. » Face à un tel dilemme, Mel tergiverse.
« Ces deux principes, concède-t-elle,
étaient totalement antinomiques. De plus, je n’avais jamais entendu parler de ce breuvage auparavant. Il m’était donc difficile de juger si l’ayahuasca constituait un danger ou non pour les enfants ! Le temps passait, et je ne parvenais toujours pas à prendre une décision. » Huit mois plus tard, une des parties civiles intente un procès contre la procureure, lui reprochant son manque de diligence et de réactivité.
« Je me souviens, c’était la veille de mon anniversaire, dans la nuit du 25 au 26 avril 2005. Le soir, je suis allée me coucher, j’étais très contrariée, j’avais du mal à trouver le sommeil. Quand finalement, j’ai réussi à m’endormi, m’est apparu en rêve un ‘’caboclo’’. Un homme de la forêt, très simple. La peau mate, cheveux noirs. Il se tenait en face de moi dans une clairière. Il faisait jour. Une douce lueur matinale sublimait le vert des arbres alentours. De nombreuses personnes étaient assises dans l’herbe autour de lui. Il m’a fait un signe de la main, m’a demandé de m’approcher, m’a invitée à m’asseoir près de lui, et a commencé à retracer la situation délicate dans laquelle j’étais impliquée, jusqu’à ce procès qui venait d’être ouvert contre moi. J’ai passé toute la journée avec lui. Puis, quand est venu le moment de nous quitter, il m’a dit : « Sais-tu comment tu vas résoudre ce dilemme ? En buvant de l’ayahuasca ! Ainsi, tu vas savoir ce qu’est exactement ce breuvage sacré et pouvoir trancher ! »
Je devais me positionner entre deux principes constitutionnels...
Quand Mel se réveille, elle se souvient parfaitement de son rêve. Le visage de cet homme, ces mots… et le conseil qu’il lui a prodigué.
« J’étais stupéfaite. Cette rencontre semblait si réelle ! » Elle téléphone à une amie qu’elle sait
« spirituelle », et lui demande tout de go: « Toi qui es ésotérique, est-ce que tu bois de l’ayahuasca ? »
Elle m’a répondu « régulièrement, oui ! » Je lui ai demandé où elle allait pour cela, et elle m’a donné deux lieux qu’elle fréquentait. »
Quelques jours plus tard, la procureure de la République se rend, non sans appréhension, dans l’un des centres que son amie lui a conseillé. Sur la table où est posée la bouteille d’ayahuasca, trônent trois cadres photos. Les portraits trois hommes importants dans l’Histoire de l’ayahusca au Brésil : Maître Irineu, Maître Francisco et Maître Gabriel. Chacun ayant fondé un mouvement religieux – le Santo Daime, le Centro de Cultura Cosmica et l’União do Vegetal (UDV), trois lignes typiquement brésilienne, nées d’un syncrétisme du chamanisme et du catholicisme - où l’on boit le chá - comme on appelle communément ce breuvage (qui signifie « thé » en portugais) – pour trouver le divin en soi, non plus seulement dans la forêt amazonienne mais aussi dans nombreux centres urbains dans tout le pays.
« Je reconnais immédiatement sur l’une des photos, le « caboclo » qui m’était apparu en rêve ! Même la chemise était similaire ! J’ai demandé : « Qui est cet homme ? — Maître Gabriel,
m’a-t-on répondu. Et où peut-on le rencontrer ? — Il est décédé il y a vingt-cinq ans, Madame. » Je n’en revenais pas ! A cet instant, j’ai compris que cette rencontre onirique n’était pas une simple création de mon esprit… je me suis tout à coup sentie guidée, ce qui a un peu atténué ma peur de boire l’ayahuasca ! » Cette première expérience se révélera bien au-delà de toutes ses attentes : Mel comprend que ce breuvage n’a rien d’une drogue car au lieu de sombrer dans un délire déstructuré, elle recevra à travers ses visions,
« beaucoup d’enseignements… J’ai trouvé que ces quelques heures en état d’expansion de cosncience s’étaient avérées bien plus prolifiques que n’importe quelle séance chez mon psy ! Cela faisait pourtant quinze ans que je suivais une psychothérapie ! », ironise-t-elle.
Cette médecine ancestrale a bouleversé ma vie.
En cherchant des informations sur José Gabriel da Costa alias « Maître Gabriel », Mel découvre que cet homme, par ses diverses actions et ses nombreux enseignements, est considéré comme un « guide spirituel ».
Deux jours plus tard, la procureure décide de refuser de se prononcer, dans ce procès, car ayant déjà expérimenté l’ayahuasca elle ne veut courir le risque d’être suspectée d’un manque d’impartialité.
« J’ai dit au Ministère Public que j’avais décidé de boire le chá pour savoir ce que c’était, que j’avais été conquise par son pouvoir thérapeutique et qu’étant désormais partie prenante, je préférais confier ce dossier à ce qu’on appelait à l’époque le Secrétariat national des droits de l’Homme. J’ai toutefois précisé que je n’y avais vu aucun préjudice pour les enfants. J’ai ensuite contacté l’ambassadeur Sabóia, alors Secrétaire des Droits de l’Homme, pour lui faire part de la situation.
Et suggéré d’envoyer le dossier au CONAD (Conselho Nacional Anti Drogas). »
Est organisé, la même année, un séminaire dans l’Etat de Acre, avec la participation d’un groupe d’études (Grupo Multidisciplinar de Trabalho), constitué de scientifiques brésiliens et de représentants de tous les mouvements religieux du pays, communiant avec le chá.
« Nous devions réfléchir ensemble à la légalisation de l’ayahuasca et à la consommation du breuvage par les enfants. »
Cinq ans plus tard, le 25 janvier 2010, sera enfin publiée la « Résolution n°1 », écrite par des scientifiques du CONAD, les représentants des différentes lignes d’ayahuasqueiros, et le Ministère public de Acre, dont les annexes, en plus de la légalisation de l’ayahuasca, apportent certains principes déontologiques comme l’interdiction de boire ce breuvage sacré en dehors des lieux de culte et d’un cadre rituel. N’ayant ni toxicité, ni accoutumance, il est précisé qu’il n’y a aucune contre-indication pour que des mineurs, accompagnés de leurs parents, boivent cette médecine ancestrale. Chacun, ayant évidemment l’entière responsabilité de la quantité servie à leur enfant.
Sa conversation dans une autre réalité, à travers un rêve, avec le fondateur de l’UDV, « Maître Gabriel », décédé vingt-cinq ans plus tôt, un homme dont elle ignorait jusqu’alors l’existence, a permis à Mel d’évacuer ses incertitudes sur la survie de la conscience après la mort et de connaître l’ayahuasca.
« Cette médecine ancestrale a bouleversé ma vie. Je me suis guérie de beaucoup d’émotions négatives et reçoit désormais régulièrement à travers les rêves des messages de l’au-delà, des conseils, des chants spontanés, des prières... » Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette rencontre extraordinaire avec ce guide spirituel désincarné aura été à l’origine de la légalisation de l’ayahuasca au Brésil.