Il était une fois, Once upon a time ...
L'histoire de ce livre a commencé sur ces paroles d'
Evermore, que chante la Bête sur les toits de son château, terrassée, désespérée par le départ de Belle, partie secourir son père.
Wasting in my lonely tower – Dépérir dans ma tour isolée
I'll think of all that might have been – Je penserai à tout ce qui aurait pu être
Waiting here for evermore – Attendant là à jamais
Stop ! J'en avais déjà bien assez avec le mien de désespoir. Et assez, d'absorber ces doses de « J'attendrai, à jamais, pour toujours » fondées sur cette culture de l'amour romantique tricotée d'une maille à l'endroit d'attachement et d'une maille à l'envers de souffrance. La palme d'or revenant aux contes de fées de notre enfance, qui finissent, eux, toujours bien, avec ce fameux
« happily ever after », « et ils vécurent heureux... »
Pourquoi nous farcir l'imaginaire de chimères, si plus tard dans la vraie vie rien ne ressemble à cela ? Quant au long fleuve tranquille à venir, sortez les rames...
Forcément, on peut se retrouver désarmé face à des histoires de cœur compliquées, laissant derrière elles de douloureuses sensations d'échec, de honte, de culpabilité, et de mésestime de soi. Même si on peut s'en défendre, on espère toujours, secrètement dans le fond de nos cœurs, rencontrer un jour l'amour avec un grand A pour le restant de notre vie. Ces représentations de l'amour éternel entre un homme et une femme, lui pour elle et elle pour lui, ont le cuir dur. Elles imprègnent si profondément nos conceptions, qu'elles arrivent à en faire oublier leur caractère culturel complètement construit.
AMOUR nom du latin
amor, sentiment passionné d'attirance affective ou sexuelle envers une personne.
L'amour n'a pas été vécu depuis la nuit des temps de manière identique et ne correspond pas forcément à notre croyance actuelle. Nos conceptions se sont intelligemment adaptées en fonction des besoins ou des enjeux sociétaux : de l'amour-collaboration pour la survie et la reproduction de notre espèce, à l'amour politique pour rallier des territoires et préserver des titres, l'amour courtois (idéaliste), l'amour platonique (chaste), l'amour d'une femme envers plusieurs hommes (la polyandrie), l’amour d’un homme envers plusieurs femmes (la polygynie), l'amour chrétien monogame et fidèle, l'amour romantique (fusionnel)... Toutes ces conceptions ne sont que relatives et surtout fluctuantes.
Aujourd'hui, la vision de l'amour romantique issu de l'idéal chrétien et basé sur la monogamie domine nos schémas de pensée. Très joli modèle qui pourtant se fissure au vu de la baisse du nombre de mariages, l'augmentation des divorces, la progression du célibat, le succès des sites de rencontres extra-conjugales, l'apparition de nouvelles tendances comme le polyamour ou encore la sologamie.
Sur un certain plan, l'envie fusionnelle de se fondre en l'autre, le
nous sommes 1, fidèles pour la vie, fonctionne moins bien de nos jours. Entre l'aspiration à une réalisation personnelle et le fantasme de l'amour fusion, quelque chose coince... C'est d'autant plus vrai à l'heure de l'émancipation féminine. Et ceci en incluant les multiples perturbations de l'existence comme les besoins hormonaux, le désir pour quelqu'un d'autre, la soif de nouveauté, l'ennui, la lassitude.
Alors, grande question : qu'est-ce que l'amour au-delà de ces fluctuations culturelles et des modèles préconçus ?
Que se joue-t-il vraiment quand, pupilles dilatées et yeux brillants d'espoir, on s'échange cette déclaration d'amour :
I love you ? Pourquoi cet amour qui donne des ailes, au début, qui ancre la foi en soi et en l'autre, qui nous permet de nous dépasser, est-il si difficile à vivre jour après jour et plus difficile encore à faire durer ? A-t-il une date de péremption inévitable, comme un pot de confiture de fraises ? Ne dure-t-il vraiment que trois ans ? Qu'est-ce qui nous rattrape et complique tout ?
Où est le bug ? Quelle est la voie du salut ?
Fort heureusement, même au fond du trou, il Y a la vie et ses invitations. À la sortie de
la Belle et la Bête, j'ai reçu un message de mon ami Nicolas qui m'ouvrait une piste: « Il y a des enseignements sur l'amour et l'attachement, ce week-end en Normandie, ça te ferait du bien, non ? Tu viens ? »
Wasting in my lonely tower - Dépérir dans ma tour isolée…
I'll think of all that might have been - Je penserai à tout ce qui aurait pu être
Waiting here for evermore - Attendant là à jamais
Effectivement, ça tombait bien ! J'avais grand besoin de soulagement et d'éclaircissements sur ce sujet, car je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Et puis, les enseignements seraient donnés par Sabchu Rinpoché ; un maître bouddhiste tibétain, de passage en France.
Maître, ça veut dire beaucoup de sagesse, énormément d'études, de profondes compréhensions sur les fonctionnements de l'esprit, un cœur grand ouvert et un immense réservoir d'amour et de compassion. Compassion... Je trouvais ce mot flou, galvaudé, éloigné de nos vies ordinaires et finalement réservé aux moines... Mais j'avoue que j'en avais grand besoin. J'avais tellement d'incompréhensions et de peine au fond de moi.
La toute première fois que j'ai ressenti ce que pouvait être un maître, c'était devant
Kundun de Scorsese, un portrait du Dalaï-lama. Ce film m'avait bouleversée. Au point que les quelques phrases du dialogue final eurent sur moi l'effet d'une flèche m'allant droit au cœur, remplissant mes yeux de larmes.
Séquence du dialogue final : après avoir péniblement traversé les monts du Tibet à cheval et dos de buffle pour trouver refuge sur les terres de l'Inde, le Dalaï-lama épuisé et chancelant, arrive enfin au poste de frontière. Un brave douanier va à sa rencontre, le salue et lui demande :
- Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, puis-je vous demander qui vous êtes ?
- Ce que vous voyez devant vous est un homme, un simple moine...
- Êtes-vous le seigneur Bouddha ?
- Je pense que je suis un reflet, comme le reflet de la lune sur l'eau. Quand vous me voyez m'efforcer d'être un homme bon, vous vous voyez vous-mêmes... C'est vous que vous voyez à travers moi, lui répond le Dalaï-lama avec une tendresse infinie.
Sur ces mots, le film enchaîne avec des images d'un mandala de sable balayé sur fond de cornes tibétaines. Immense claque ! Là, vous comprenez que tout ce que vous pouvez voir chez cet homme n'est autre que vous. La grandeur, la force de compassion et le courage que vous pouvez voir en lui sont en fait les vôtres. Il n'est qu'un reflet. Un reflet qui a su gommer toutes les particules de son ego pour que nous puissions nous voir dans ce qu'il y a de plus beau. Ondes de choc intérieures et révélation. C'est rassurant de savoir qu'il existe des êtres dont l'unique priorité est de devenir de meilleures personnes pour le bien des autres. Jour après jour, enseignement après enseignement, méditation après méditation, pratique après pratique, ils travaillent sur eux-mêmes et transforment leur manière d'être et de penser pour devenir des turbines d'amour universel.
Sans hésiter une seconde, j'ai chopé le premier train gare Saint-Lazare et je suis partie en Normandie. Question de survie...
Dès le premier instant en présence de Sabchu Rinpoché, j'ai ressenti une profonde et douce joie, qui me disait
Home, maison, à l'intérieur de mon ventre. Je me suis sentie immédiatement en sécurité. Je pouvais enfin déposer des valises de larmes et de tristesse, yeux gonflés, nez qui coule, et oser être moi, ouvrir mon cœur tout en me sentant accueillie, écoutée, comprise, aimée... en paix quelque part.
Le vénérable Vème Dilyag Sabchu Rinpoché est un enseignant bouddhiste tibétain déconcertant. Il fait partie de cette nouvelle génération de maître, jeune - 34 ans hyper actuel et moderne, doté d'une présence bienveillante, du sourire renversant qui va avec, d'une puissance authentique et sage combinée à une douce humilité et, cerise sur le gâteau, d'un irrésistible humour !
Comme le Dalaï-lama, il a reçu l'éducation et la formation traditionnelle bouddhique et le très rigoureux entraînement spirituel accordé aux réincarnations des maîtres importants. Mais Sabchu Rinpoché a en plus une singularité bien à lui : il a complété son éducation tibétaine par un
bachelor occidental d'études cinématographiques au Canada. Pourquoi le cinéma? Parce que
« c'est un monde d'images et de représentations tellement fidèle à nos fonctionnements ».
À la fois grand érudit et grand simplificateur de concepts philosophiques de haut vol, Sabchu Rinpoché partage son temps entre parcourir le monde pour dispenser de nombreux enseignements du Dharma, effectuer des retraites personnelles, superviser son monastère Karma Kagyü à Swayambhu, au Népal, et écrire des récits et des enseignements.
Sa douce présence, ses enseignements imagés sur l'amour et la compassion, aussi clairs et limpides qu'un lac de montagne, m'ont fait un bien fou. Ma gorge nouée par les sanglots s'est desserrée, ma respiration s'est apaisée, mon mascara a enfin pu tenir plus d'une heure et j'ai petit à petit recommencé à sourire. Quelques instants au-delà de ma souffrance, j'ai pu me sentir
reconnectée à cette immense capacité d'amour au fond de moi, ce soleil, ce truc lumineux en chacun de nous dont parlent les enseignements et qui pourrait briller de mille feux s'il n'était pas recouvert en permanence de nuages et de brumes...
Comment faire durer cette sensation de bien-être que m'a procuré ce bain de compassion au-delà des heures passées aux côtés de Sabchu Rinpoché ? Comment faire le lien entre ce truc lumineux, spacieux et aimant qui m'apaise le cœur et ma vie de tous les jours? Concrètement, que devons-nous comprendre sur l'amour, et comment procéder pour être heureux au quotidien dans nos romantic love ou nos romances comme l'appellent si joliment nos amis anglo-saxons...
La proximité de ce maître élevé sur le toit du monde, à la fois moderne et érudit, réveilla mon goût pour l'aventure... Et si, j'écrivais un livre sur ce sujet avec Rinpoché ?
N'écoutant que mon désir d'apprendre et ma spontanéité, je lui ai fait part de mon souhait qu'il a écouté avec grand intérêt. J'ai esquissé un plan qu'il a pris le temps de lire. Après un temps de réflexion, il m'a proposé qu'on se revoie le lendemain pour en discuter.
Sabchu Rinpoché ouvrit notre entretien en me faisant part d'un questionnement personnel : « Je me suis demandé en quoi un moine voué au célibat pouvait être légitime sur la question des relations d'amour. J'ai bien réfléchi et je pense que ma contribution pourra être bénéfique pour les lecteurs de ce livre. Il y une idée préconçue selon laquelle un moine peut parler de méditation, considéré comme son domaine d'expertise, contrairement à la relation amoureuse.
Je dirais que vous n'avez pas à être dans un bateau et faire le tour du monde pour comprendre que la terre est ronde. Vous n'avez pas non plus à avaler du poison pour comprendre ce que c'est. Il suffit de savoir que le poison est du poison. Bien évidemment, je ne compare pas l'amour à du poison. Je parle de compréhension. Tout ne doit pas être éprouvé, mais tout doit être compris de façon correcte. »
Après cette réflexion préliminaire, sa réponse fut positive, à une condition: qu'il puisse me poser des questions sur mon histoire afin de mieux me connaître, et, à travers moi, pouvoir toucher toutes personnes partageant ce vécu qui est, par bien des aspects, universel. En effet, combien sommes-nous sur cette planète à souffrir de chagrin ou de manque d'amour ?
Le top départ étant donné, nous avons ouvert nos agendas. Rendez-vous pris à Bodhgaya, une petite ville à l'est de l'Inde, située entre Katmandou et Calcutta. Particularité du lieu: c'est ici que le prince Siddhartha est parvenu à l'éveil sous l'arbre de la
bodhi devenant ainsi le bouddha Gautama Shakyamuni au sourire légendaire que nous connaissons tous. Chaque année, des pratiquants du monde entier s'y rassemblent pour y réciter des prières d'aspirations et de souhaits.
«
It's organic ! », « c'est organique ! » s'était réjoui Rinpoché au vu de la facilité avec laquelle nous avions pu nous synchroniser. Dans le train de retour pour Paris, en contemplant un magnifique arc-en-ciel dans le ciel de Normandie, je me suis dit, c'est si bon la facilité quand elle se présente.
À peine arrivée chez moi, j'ai rangé mes mouchoirs et réservé un billet d'avion pour l'Inde.
À partir de là, tout a changé...
Isalou Regen & Sabchu Rinpoché,
Je voulais te dire ... I LOVE YOU, p.17-27