Peut-on influencer le cours de nos rêves pour mieux guérir de certains traumatismes ? C’est le type d’expérience mené par l’armée américaine sur des vétérans souffrant de cauchemars récurrents. Des méthodes qui nous interrogent sur notre approche des rêves et sur leur rôle curatif.
Santé corps-esprit
Julie de Waroquier
Octobre 2011, le magazine américain Wired indique que l’armée américaine teste auprès de militaires traumatisés par des scènes de guerre la projection d’univers virtuels en 3D, destinés à modifier positivement leurs cauchemars.
Pour la psychothérapeute Brigitte Holzinger, de l’Institut pour la recherche sur le rêve et la conscience, il s’agit là d’une nouvelle étape dans les traitements expérimentés depuis les années 90 sous le nom de Thérapie centrée sur l'imagerie mentale (ou Imagery Rehearsal Therapy) : « Initiée par Barry Krakow, un médecin spécialiste des troubles du sommeil et directeur d’un centre au Nouveau Mexique, cette méthode consiste à amener le patient à changer le contenu de ses cauchemars », explique-t-elle.
En quelques étapes simples, cette thérapie vous permet de sélectionner l'un de vos cauchemars récent (pas forcément le plus traumatisant dans un premier temps), le raconter au thérapeute, puis en imaginer une version plus positive (par exemple en changeant sa fin), et écrire ou visualiser celle-ci plusieurs fois en phase d’éveil, afin de l’imprimer dans votre cerveau. « Ca peut paraître étonnant, mais ça marche pour pas mal de gens ! » témoigne Brigitte Holzinger, qui voit là un outil accessible à quiconque souffrirait de cauchemars récurrents – militaires, mais aussi victimes ou témoins d’actes violents, d’accidents ou de toutes autres expériences traumatisantes.
Et pour cause : il suffit de quelques heures pour apprendre la technique de base, puis de quelques minutes de pratique quotidienne, pendant quelques semaines, pour sentir les cauchemars s’espacer et devenir plus surmontables.
Mais est-ce assez ? Ne faut-il pas plutôt travailler sur l'évènement déclenchant ces cauchemars ? « Pour moi, ils sont le maître symptôme des troubles psycho-traumatiques, commente le psychiatre militaire Yann Andruétan. Les protocoles d’images artificielles développés par les Américains sont séduisants, mais c’est un outil, pas un remède. Car le traumatisme n’est pas un simple stress, mais une expérience qu’on ne peut pas effacer, juste dépasser. » Par le biais notamment de la parole : « Raconter ce qu’on a vu et ressenti, de manière parfois très précise, est indispensable pour obtenir l’apaisement. »
Selon Barry Krakow, il peut toutefois être utile de traiter directement le cauchemar, pas sa cause. Notamment chez ceux dont celle-ci n’est pas clairement identifiable. « Au bout de plusieurs mois, les cauchemars finissent par vivre leur propre vie, explique le médecin ; ils deviennent comme une mauvaise habitude, une façon pour le cerveau de réagir à un stress. C’est alors le processus créateur de cauchemars qu’il faut défaire. »
Posant par là-même le principe que notre esprit peut maîtriser notre imagerie mentale et agir sur elle. « Les cauchemars sont un moyen pour le cerveau de métaboliser une information qu’il n’a pas su traiter dans la journée, rappelle Brigitte Holzinger. Ils sont la manifestation que quelque chose nous perturbe, une façon pour notre cerveau de se battre ou de donner l’alerte. Pas confortable, mais utile ! » Pour Barry Krakow, une fois l’alerte détectée, il est possible d’y répondre en envoyant de manière consciente à notre cerveau des signaux plus positifs. « Dans la journée, vous êtes bien capable de visualiser la route qui mène de chez vous à votre restaurant préféré ; de la même manière, on peut se représenter des scénarios alternatifs de nos cauchemars. »
Qui, répétés régulièrement, finissent par faire leur chemin, prouvant la puissance des pensées positives. Une notion que les amateurs de yoga connaissent sous le nom de « sankalpa », une graine d’intention semée dans l’esprit qui germe et porte ses fruits chez qui la cultive… Ce que d’autres appellent aussi la méthode Couet !
Les images 3D, un progrès ? Si les stimuli visuels aident indubitablement les patients à entrer dans un univers calmant et rassurant, ils sont une intervention extérieure dans la révision du cauchemar, là où Krakow est d’avis de ne pas intervenir. « Aux gens de mobiliser leur imagination et leur conscience pour trouver par eux-mêmes comment le rêve doit évoluer, puis visualiser cette nouvelle version dans leur tête », estime le médecin.
Pas seulement parce que cela rend apparemment le processus plus efficace, mais pour des raisons éthiques. « Introduire dans l’esprit des gens des images pour changer leur comportement pose la question de la “rééducation”, estime Yann Andruétan. Notre rôle de thérapeute n’est pas de reformater les gens, mais de les aider à dépasser leurs troubles. Des expériences ont prouvé qu’on peut débarrasser certaines personnes de souvenirs douloureux par l’hypnose, mais mes patients ne veulent pas forcément oublier ! l'expérience, aussi traumatisante soit-elle, nous appartient. Prenez l’écrivain espagnol Jorge Semprun, résistant, torturé par les Gestapo, déporté au camp de concentration de Buchenwald : les souffrances qu’il a endurées ont été fondamentales dans sa construction. Peut-être aurait-il préféré ne pas les traverser, mais elles ont fait de lui le grand homme et le grand auteur qu’on connaît. »
Reste qu’utilisées intelligemment, ces méthodes représentent un outil complémentaire. « Le rêve est un matériau précieux, conclut Brigitte Holzinger. Apprendre à l’écouter, le respecter, l’interpréter, permet de mieux se connaître, d’identifier les causes de ses mal-être et de les dépasser, d’être plus à l’aise avec soi et les autres. »
À
propos
auteur
Réjane d' Espirac
Autrice et réalisatrice
Réjane d'Espirac collabore à Inexploré par la rédaction de reportages, de récits, d'entretiens, et la réalisation de documentaires. ...
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