« Voudrais-tu savourer le miel sans souffrir des piqûres de l’abeille […] Ainsi, ose ! Ce que Dieu t’a réservé, personne ne te le ravira. Mais Il te l’a réservé à toi, homme courageux », écrivait Ludwig van Beethoven dans ses carnets intimes. Des piqûres d’abeilles, symboles des épreuves de vie qui ont conduit le virtuose sur le chemin spirituel et ont permis une approche « céleste » de son art. La particularité de Beethoven, comme celle de très nombreux prodiges, est d’avoir été façonné par l’enseignement féroce d’un traumatisme. Résilience, transcendance, survie sont autant d’hypothèses pour tenter d’expliquer cette connexion sensible et métaphysique avec ce qui les dépasse. Des auteurs parlent même de relation préservée avec le principe d’âme, dans ce qu’elle a d’innocent. Aussi, pour certains psychiatres, le génie trouve-t-il sa source dans un lien sans cesse réactualisé avec l’enfant en soi, avec cette partie qui pose un regard toujours neuf sur l’existence. Alors, faut-il que les plus talentueux soient un peu cassés par leur expérience de la vie pour laisser passer l’inspiration ? Ont-ils la plasticité d’un surdoué ou développent-ils ces super-capacités pour compenser une perte ou un manque ? Quel rapport conservent-ils avec l’innocence ?

Foudre et fièvre

C’est l’une des hypothèses du célèbre neurologue et professeur à l’université Columbia, Oliver Sacks : les expériences de vie traumatiques, voire les expériences de mort imminente ou encore de sortie de corps, peuvent être « suivies d’une conversion ou d’une métanoïa, d’un changement d’esprit qui modifie la direction et l’orientation de l’existence ». Le neurologue cite en exemple le D^r Cicoria qui, trois jours après avoir été foudroyé dans une cabine téléphonique, est pris d’un irrépressible besoin de jouer du piano, à tel point qu’il y consacre désormais sa vie et devient virtuose. Si la piste d’un cerveau endommagé par l’électrocution pouvait justifier cette « musicophilie » soudaine, les examens, effectués quelques jours après le foudroiement, n’ont rien révélé d’anormal sur le plan clinique. Les cas similaires sont très nombreux. À titre d’exemple, Franco Magnani contracte, à 31 ans, une mystérieuse maladie le laissant en proie à des crises étranges. Il rêve chaque nuit d’un petit village italien, Pontito. À ses réveils matinaux, il est pris de sensations bizarres, accompagnées de visions tridimensionnelles qu’il compare à des hologrammes. Il ressent alors un besoin irrépressible de les peindre, lui qui n’a jamais touché au pinceau. Il devient ensuite l’artiste virtuose que l’on connaît aujourd’hui. Dans le cas même de ce patient, le P^r Oliver Sacks émet l’hypothèse d’une épilepsie temporale due à une fièvre hallucinatoire, sans pour autant pouvoir le confirmer cliniquement. Angella Jaber, formatrice en intelligence neurosomatique, décrit ces phénomènes comme « le recouvrement d’un don après une maladie ou un événement traumatisant. Le don n’appartient pas à la personnalité incarnée, mais relève de la dimension divine de l’existence. Parfois, il est réactualisé dans la matière à partir d’une expérience cathartique qui permet de laisser plus de place au génie créatif. » Au-delà de ces cas emblématiques, une multitude d’expériences bien plus nuancées aboutissent à des résultats similaires. Entre autres, les névroses développées durant l’enfance dans des contextes de croissance complexes peuvent déboucher sur l’apparition de capacités hors du commun.

Le génie se cache dans le trauma

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