L’expérience du rêve
en elle-même pourrait
être un tremplin vers une
nouvelle aventure : celle de
l’interprétation. Au réveil,
la quête continue, car déployer
les messages en provenance
de nos inconscients serait
un puissant accélérateur
d’évolution.
Que nous nous en souvenions ou pas, les rêves se produisent toutes les nuits. Mais voilà qu’au réveil, la
conscience garde souvent dans ses filets des réminiscences
de nos activités oniriques. Ainsi, certaines
approches s’appliquent à réceptionner et décrypter
ces émanations psychiques que le voile de l’oubli
ne recouvre pas. Leur accession à notre conscience
éveillée peut-elle nous enrichir ?
« Un rêve qu’on
n’interprète pas est comme une lettre non lue », énonce
le Talmud. D’innombrables traditions et plus récemment
la psychanalyse rejoignent cette allégation.
« Imaginez la psyché des profondeurs comme un
océan rempli d’informations et de potentialités et le
rêve comme une plongée dans ce monde étonnant. Le
rêve, qui est la voie royale vers notre inconscient individuel
et collectif, peut devenir une source de connaissance
et de sagesse inouïe ! », indique Marie-Laure
Colonna, psychanalyste jungienne et superviseuse
pour l’IAAP (International Association of Analytical
Psychology). En revisitant nos rêves et, du
coup, en favorisant une perméabilité avec nos inconscients,
l’interprétation des rêves nous permettrait
d’accéder à une incommensurable mine d’information
: indications pour nos évolutions, clés
pour nos guérisons, éclairages sur le monde.
Vers une analyse symbolique
L’interprétation des messages oniriques fut pratiquée
à travers les âges. En Grèce, les pèlerins
venaient dormir dans les temples d’Asclépios, le
dieu de la médecine. Ils faisaient ainsi des
« rêves
d’incubation », que des prêtres spécialisés interprétaient
selon une grille de lecture symbolique.
« Ces rêves étaient censés, sous l’influence d’Asclépios,
donner de nombreuses indications sur le traitement
à suivre. L’interprétation des rêves était donc véritablement
utilisée à des ns thérapeutiques », souligne
Tristan-Frédéric Moir, psychanalyste, spécialiste
du langage du rêve. Plus proche de nous, les pères
de l’analyse des rêves sont Sigmund Freud et son
disciple, puis dissident, Carl G. Jung. Plutôt que
de mettre en avant leurs désaccords, Marie-Laure
Colonna indique que leurs théories
« s’emboîtent l’une dans l’autre comme des poupées russes ». Freud a cherché à laïciser l’inconscient, à le cantonner à
la psyché individuelle et l’a conçu comme étant
constitué par du matériel refoulé. Pour lui, le rêve
est une sorte d’accomplissement d’un désir pulsionnel
inavouable. Il invitait ses patients à dérouler des
associations d’images à partir du contenu du rêve,
afin de révéler ce qu’ils n’auraient pas voulu voir.
Certaines critiques pointent que son processus associatif
se souciait peu du contenu onirique en lui-même,
puisque très rapidement le patient pouvait
s’en éloigner. L’avantage était que Freud permettait
au rêveur de s’approprier son rêve.
Pour sa part, Jung a rouvert l’inconscient à la dimension
collective et spirituelle. Selon lui, il n’est
pas juste constitué de refoulé, mais est avant tout
un vaste champ d’informations psychiques. Le
fondateur de la psychologie analytique pensait que
les rêves étaient la meilleure expression possible de
l’état psychique du rêveur.
« Les rêves n’illusionnent
pas, ne mentent pas, ne déforment ni ne maquillent;
au contraire, ils annoncent ce qu’ils sont et ce qu’ils
pensent », écrit-il dans
« Ma vie ». Il se centrait donc sur
l’analyse de leur contenu, qu’il menait en collaboration
avec ses patients. Si bien que pour l’analyse
jungienne des rêves, tout se joue dans la finesse de
l’accueil des données et de leur décryptage. D’un
côté, il s’agit de ne pas retomber dans des interprétations
ancestrales ou populaires faites à coup de
recettes symboliques. Rêver d’un corbeau n’est pas
forcément un message de mauvais augure. Les mots
et les symboles ont une pluralité de sens :
« personne
» peut par exemple vouloir dire
« quelqu’un »
ou l’inverse, le fait qu’il n’y a personne. Et chaque
rêveur a son histoire et sa culture spécifiques. De
l’autre côté, il s’agit aussi de reconnaître que notre
psyché est irriguée par des archétypes et des processus
mythiques, qui émanent d’un champ collectif.
Le mythe du héros, présent sur tous les continents,
recèle des étapes par lesquelles nous sommes tous
susceptibles de passer.
« Nous faisons de la maïeutique,
c’est-à-dire de l’accouchement d’âme, permettant au patient d’exprimer le potentiel
contenu dans son rêve. Nous pouvons faire des suggestions
ouvertes en nous appuyant sur nos connaissances
symboliques, mais à aucun moment nous ne
plaquons un sens défini sur ce qui est dit. Ce serait
véritablement contre-productif », souligne Bénédicte
Uyttenhove, psychologue, aussi directrice de l’École
de psychologie clinique.
Un rêve qu’on
n’interprète pas est comme
une lettre non lue.
Un miroir de la psyché
Le rêve contiendrait ainsi tous les éléments constitutifs
de la psyché individuelle et collective. Les personnages
et les animaux, les objets et les paysages,
les sensations métamorphiques, deviendraient tour
à tour des représentants d’éléments quotidiens du
rêveur, des indicateurs de l’état de son Moi, Surmoi
ou Ça – topique freudienne –, de son anima ou
animus, ombre ou Soi – visée jungienne –, ou encore
de sa condition physique, émotionnelle, mentale,
spirituelle – autre grille de lecture parmi tant.
Mais encore faut-il comprendre tout ce petit monde
qui grouille dans nos nuits ! Pour Tristan-Frédéric
Moir, fondateur d'EVER, une formation à la mécanique
et au langage du rêve, la mise en mots par
le rêveur est importante. À partir de cette verbalisation
choisie par son inconscient, il devient possible
d’analyser la cohérence du tissu narratif du rêve : son
langage, sa sémantique, sa syntaxe. Souvent, l’expérience
onirique déploie un champ lexical s’articulant
autour d’une ou deux idées centrales. Jean voit en
rêve une pièce avec des rideaux rouges. Sur la table,
est posé un panier de cerises. Il y plonge la main et
se retrouve dans un jardin rempli de pommiers. Il
s’apprête à cueillir une pomme, mais l’arbre s’éloigne
de lui qui, surpris, se retrouve au bord d’une route.
Quel est ce fruit rouge que Jean n’arrive pas à saisir ?
Aborder le rêve, c’est ainsi décrypter les métaphores,
les paraboles, les analogies, les allusions. Les jeux de
mots et la langue des oiseaux peuvent aussi être des
recours intéressants :
« je suis soulagé », peut vouloir
dire
« je suis sous l’âgé ». Qui ou quoi serait alors
l’âgé en question ?
« Surtout, il ne faut jamais oublier
que malgré son apparence opaque, le langage du rêve est
extrêmement simple et direct. Il est presque trop évident.
C’est un mélange d’innocence et d’ingéniosité, car il
est plein de sagesse et même d’humour », indique Tristan-
Frédéric Moir. (...)