Santiago va avoir 7 ans, l’âge auquel les enfants indiens faisaient un rituel pour devenir de petits hommes, apprendre à affronter leurs peurs et se surpasser. Santiago, d’origine franco péruvienne par sa mère vit à Fontainebleau ; il va choisir son propre rite de passage. Un soir, alors qu’il est l’heure de se coucher, l’enfant annonce à sa mère d’un ton déterminé :
« je veux aller marcher sur mon chemin, sur le chemin de Compostelle ! ». Une décision qui prend racine dans les choix éducatifs de Céline Anaya Gautier. Celle-ci tente, en effet, de transmettre à ses enfants de ne pas s’égarer sur la voie des Super Héros des jeux vidéo et des productions Hollywoodienne, nouveaux référants d’une époque virtuelle, mais bien de devenir le héros de leur propre légende.
« Alors l’extraordinaire, surgira des mille et une situations ordinaires qui balisent le chemin d’une vie ! » s’enthousiasme-t-elle.
Le choix de ce périple entraînera de nombreuses discussions, au terme desquelles, tous deux projettent d’abord de se rendre jusqu’au passage des Pyrénées,
« son père est espagnol, ça a du sens ! » commente Céline. Un périple qui représente 3 jours de marche en France, 2 en Espagne ! Mais ce voyage va les emmener bien au delà de leurs rêves ! Après 6 mois de préparatifs, un pas après l’autre, tous les deux parcourront plus de 1000 kms, soit 42 jours de marche.
« Parce que difficile n’est pas impossible ! » se répète Santiago. Un mantra qui scande sa vie, depuis sa tendre enfance. Retour sur les étapes clés de ce chemin initiatique, entre émotion, prises de conscience, rencontres… Une invitation à prendre avec cet enfant notre bâton de pèlerin, et à nous transformer.
Le caillou : l’intention !
La tradition veut que lorsqu’on fait le pèlerinage de St Jacques de Compostelle, le marcheur dépose à l’issue de son voyage, une pierre de chez lui !
De quoi la pierre est-elle chargée ? D’une intention qui accompagne chacun de ses pas. Santiago garde la sienne secrète.
« Il n’a pas besoin de tout me dire, il faut qu’il se fasse confiance » commente Céline. Son message :
« Le plus important est de vivre ton aventure. C’est à chacun de devenir son propre guide spirituel. » Ainsi la pierre au fond de son sac résonne de ces mots :
« la seule vérité c’est la tienne, il faut que tu apprennes à t’écouter. Alors, tu pourras cheminer ! » Ainsi Santiago chérit son intention secrète, et apprend qu’il y a un endroit où il est seul avec lui-même. Sa première clé d’émancipation, qui lui permettra de marcher à plusieurs reprises seul sur le chemin, provoquant à la fois de la fierté chez sa mère, et un pincement au cœur.
« J’assistais sans doute aux derniers instants d’enfance » !
Le Bâton du pèlerin !
« Moi, je déteste les bâtons », s’amuse Céline, qui avoue avoir fait le choix dans sa vie, de ne s’appuyer sur personne d’autre qu’elle-même. Une certitude que remet fortement en cause le chemin de Compostelle, dont le bâton est un symbole emblématique, un soutien !
Santiago manifeste d’emblée un rapport spécifique avec cet attribut :
« Maman, sans mon bâton, je ne serais pas un vrai pèlerin ». Il en trouve un, qu’il patine avec attention… puis qu’il casse dans l’escalier de sa maison.
« Son premier deuil : celui du bâton parfait », se souvient Céline. Dépassant sa tristesse, il en trouvera un autre… qu’il oubliera avant de partir. Deux évènements qui l’impactent et interrogent sa capacité à marcher ce chemin. L’initiation est déjà là : faire confiance au chemin.
« Il y en a forcément un qui t’attend quelque part », lui souffle sa mère. Il le trouvera, des kilomètres plus tard, devant une croix, alors qu’il ne le cherchait plus. Un rendez-vous qui se déroulera comme un rituel : Santiago lui demande la permission, comme un ami à qui on propose de faire la route ensemble, écoute la réponse, et le prend en le remerciant.
C’est à chacun de devenir son propre guide spirituel.
Le chemin : la voie de l’alchimiste !
Au détour de la route, une inscription :
« C’est à propos du chemin, non de la destination ». Une phrase que chacun d’entre nous a entendu cent fois, mais qui ici prend toute sa dimension. Chaque pas est une porte, l’arrivée au gîte de l’Alchimiste en est une importante.
« Santiago, tu sais ce que c’est un alchimiste ? » demande Céline à son fils. Elle poursuit :
« Il nous parle de notre capacité à nous transformer, plutôt que chercher à transformer les autres. » La transformation intérieure se joue à chacun des pas, et les pèlerins l’apprennent parfois à leurs dépends ; le chemin possède ses propres règles, ses épreuves, ses embuches et ses récompenses.
« C’est un jeu d’endurance et de "dé-maîtrise" de soi », confirme Céline.
Pour Santiago et moi, ce voyage c’est à la fois le chemin d’un enfant qui veut devenir un petit d’homme, celui d’une maman qui doit apprendre à laisser grandir son enfant, et d’un binôme qui doit trouver sa cadence dans le profond respecte de chacun. Et sans que l’on ai vraiment décidé, le transformation a lieu : désapprendre la société pour apprendre la vie et pas seulement en apprivoiser le sens.
Dépasser ses limites : un choix de conscience !
Nous avons tous rencontré sur le chemin, un moment où nous avions accompli le but que nous nous étions fixé. Alors le contentement est là. Pourtant, au fond de soi, une petite voix nous souffle, que ce que nous pensions être le but n’est en réalité que la première marche vers quelque chose de plus grand, qui nous dépasse, et qui est la véritable destination. Allons-nous franchir cette étape, oser ?
A 7 ans, pour son passage de petit d’homme, Santiago est confronté à ce choix, celui de vivre son destin, ou de se contenter d’avoir atteint son objectif ! L’Espagne est là devant eux, juste à la stèle, ils viennent de parcourir deux cents kilomètres. Un dialogue s’ensuit :
« Si tu décides d’aller au bout, je te pousserai même dans les moment difficiles, pour que tu réussisses ton défi. Un passage de petit homme c’est dur, et c’est parce que c’est ainsi que tu seras fier de toi, » énonce Céline, avec fermeté et bienveillance à la fois.
« Que penseras-tu de moi, si j’abandonne ? » questionne Santiago.
« Cela n’a aucune importance, ce que penseront moi ou tes amis. Ce qui est important c’est ce que tu penses de toi-même. » Santiago chemine dans son monde intérieur, il est imperturbable, il a une décision à prendre. Il ne savait pas ce que c’était de marcher, maintenant il sait. Il choisira en conscience de poursuivre.
Les victoires : Dépasser la peur de la mort
Petit, Santiago a souffert d’une pneumonie dont il a failli mourir. Depuis, la peur de la mort ne le quitte plus, au moindre rhume, son ombre se profile. Ce voyage y mettra un terme.
« En aucuns cas, ça n’a été une intention de le confronter ainsi, c’est juste que nous avons pris le temps d’écouter la vie, et ce qu’elle nous présentait sur le chemin pour grandir ! » précise Céline. Sur la route de Compostelle, la mort côtoie sans cesse la vie. Comme en témoigne une première rencontre avec Robert, qui fait le chemin, suite au suicide de son fils. Son cas n’est pas isolé, d’autres pèlerins
« marchent » la perte d’un être cher. Sur le chemin, la mort prendra plusieurs visages : celui d’un oiseau sur le bas côté, puis de carcasses d’animaux, comme autant d’indices laissé par la vie sur la nature de son impermanence.
Plus possible d’y échapper pour Santiago:
« maman, je ne veux pas mourir ! ». « Chéri il y a des morts, à chaque seconde, et des naissances aussi : c’est le cycle de la vie, c’est ainsi et tu ne peux rien y changer. Tu dois l’accepter, » répond sa mère. Etape par étape, Santiago va y faire face, et vaincre sa terreur. En l’acceptant.
« Une victoire fondamentale », se réjouit sa mère.
Le chemin a sa propre volonté !
Arrivés à Foncébabon, Céline présente des signes d’épuisement. Le lendemain est une étape importante, la Cruz de Ferro, 772,8 kms, où l’on dépose sa pierre. A deux doigts de tomber dans les pommes, elle devra se rendre à l’hôpital, elle n’a pas le choix ! Son défi à elle ? Laisser Santiago seul au milieu de la montagne marcher avec d’autres pèlerins rencontrés récemment.
Son fils va trancher :
« tu dis toujours que le chemin te donne ce dont tu as besoin, alors accepte que je doive continuer seul. » Alors qu’elle monte dans le taxi qui l’emporte vers la ville, Santiago poursuit sa route la petite troupe, Gran Zapato, Françoise et d’autres, pour partir déposer le caillou que tous deux avaient ramassé ensemble à Fontainebleau. Qui aurait pu dire, qu’à ce moment là, elle n’y serait pas avec lui. Il fallait qu’il le vive seul, par lui-même, et sans sa mère. Le chemin a sa propre volonté, sa propre loi que nous ne pouvons percer. Quand Céline le rejoint plus tard, ce n’est plus avec un enfant, mais un petit d’homme, avec qui qu’elle parcourra les derniers kilomètres qui les séparent de Compostelle !
« J’ai appris que dans la vie, tout est possible, que mon meilleur ami c’est moi, que partager c’est mieux que d’avoir, que chaque chose que l’on fait dans la vie a une conséquence » nous livre Santiago, avec la fierté d’un petit homme qui a accompli un périple hors du commun.