Longtemps éclipsée par la figure dominante du druide, la prêtresse celte incarne pourtant une mémoire sacrée du féminin dans les sociétés antiques d’Europe. Des mythes, récits anciens et vestiges littéraires redonnent voix à ces femmes de savoir, gardiennes oubliées d’une spiritualité enracinée dans la
nature et la prophétie.
Les druides ont marqué l’histoire et l’imaginaire collectif, mais qui se souvient des prêtresses celtes, ces femmes de savoir et de pouvoir qui officiaient dans l’ombre ? À travers le mythe et les récits anciens, un pan entier de la spiritualité celtique a été effacé. Pourtant, les sociétés celtes antiques vénéraient d’importantes divinités féminines et connaissaient des femmes de savoir. Pourquoi ont-elles été congédiées des sources historiques ? Comment leur rôle a-t-il été progressivement occulté au fil du temps ? L’une des raisons tient aux transmetteurs de la mémoire celtique : des auteurs grecs et romains avant tout, puis des clercs médiévaux, souvent peu enclins à valoriser le rôle des femmes. Ainsi, au fil des siècles, les prêtresses celtes – prophétesses, poétesses sacrées, druidesses – ont peu à peu disparu des archives historiques, ou ont été transformées en fées et sorcières par la littérature chrétienne. Comme l’explique la psychanalyste Jean Shinoda Bolen, les mythes n’ont pourtant pas effacé leur empreinte : «
Une déesse est une forme que peut prendre un archétype du féminin. Ces déesses représentent des modèles de comportements que nous, les femmes, partageons toutes et reconnaissons dans l’inconscient collectif. » Autrement dit, ces archétypes féminins sacrés demeurent présents en filigrane. Il est temps aujourd’hui de réhabiliter ces figures oubliées et de redonner leur juste place aux prêtresses celtes dans l’histoire spirituelle de l’Europe.
Quand l’histoire efface le féminin sacré
Contrairement à une idée reçue, la notion de « druidesse » n’est pas qu’une invention moderne. Les textes celtiques médiévaux emploient plusieurs termes pour désigner des femmes de savoir :
ban-drui ou
bandruí (littéralement « femme-druide »),
ban-fili (« femme-poète ») ou
ban-fáith (« prophétesse »). Ces titres laissent penser que les femmes pouvaient appartenir à la classe instruite des druides, bardes et voyants. Comme le notent les spécialistes Françoise Le Roux et Christian-Joseph Guyonvarc’h, «
les mots drui, fili
ou fáith
sont susceptibles d’être employés l’un pour l’autre, surtout quand il s’agit de femmes, lesquelles sont nommées alors indifféremment bandrui, banfili
ou banfáith ». Une femme lettrée et inspirée pouvait donc être appelée « druide », « poétesse » ou « prophétesse » de manière totalement interchangeable. Toutefois, cette reconnaissance restait limitée au domaine de la divination : «
Il est clair que les femmes n’ont accès qu’à la divination avec ou sans magie », précisent les deux chercheurs ; les femmes celtes n’avaient donc pas les mêmes prérogatives rituelles que leurs homologues masculins. Aucune source n’évoque par exemple de femmes officiant lors des sacrifices ou enseignant aux futurs rois. Leur rôle spirituel, bien réel, s’exerçait plutôt dans la prophétie, la guérison et les arts poétiques. Malgré ces limites imposées par une société largement patriarcale, les prêtresses celtes jouaient un rôle essentiel dans la transmission du sacré. Ce sont des femmes consacrées, dotées de qualités singulières dans le domaine de la voyance et de la magie. On les consultait respectueusement, car elles pouvaient percer les voiles qui masquent l’avenir. Les sagas celtiques elles-mêmes mentionnent ainsi des prophétesses ou magiciennes conseillant les rois et initiant les héros – un rappel que la sagesse féminine avait sa place, même si l’histoire officielle en a gardé peu de traces écrites.
Les prêtresses celtes, gardiennes oubliées du sacré, incarnent une mémoire féminine effacée par l’histoire, mais toujours vivante dans les mythes et les quêtes spirituelles contemporaines.
Ganieda, gardienne des étoiles
Parmi les figures féminines qui témoignent encore de cet héritage effacé, Ganieda occupe une place clé. Ce nom désigne la sœur – parfois dite jumelle – du célèbre enchanteur Merlin. Issue des légendes galloises (où elle est appelée Gwenddydd), Ganieda est évoquée par Geoffroy de Monmouth dans sa
Vita Merlini (vers 1150). Dans ce texte latin, Merlin vit retiré dans la forêt après avoir sombré dans une sorte de démence prophétique. Sa sœur Ganieda vient alors à sa rencontre, et révèle à son tour des dons de prophétesse. «
Ganieda, sa sœur, rejoint la triade et se met à prophétiser avec eux », lit-on dans la
Vita Merlini (...)