Devant certaines réalités, pourquoi les évidences semblent-elles si difficiles à assumer ? Tous les scientifiques le disent : notre planète va mal et les prochaines années seront déterminantes pour la préserver. Remise en cause d’un paradigme.
Nature
D.R.
« Toutes les grandes vérités commencent par être des blasphèmes », a écrit George Bernard Shaw, prix Nobel de littérature en 1939. Il semble en effet que l’homme ait un penchant pour nier les évidences, dès lors qu’elles obligent une grande remise en question. Les exemples sont légion. Au 18e siècle, ceux qui prétendent avoir vu des météorites — des pierres qui tombent du ciel — se trompent forcément, et les savants comme Lavoisier, « preuves » à l’appui, démontrent l’absurdité des témoignages. Un peu plus tôt, Galilée est condamné à la prison à vie parce qu’il affirme que la Terre tourne sur elle-même. L’idée est pourtant défendue par l’astronome Nicolas Copernic depuis plus de quinze ans. Dans les années soixante-dix, le commandant Cousteau clame déjà que la mer méditerranée n’est plus qu’une poubelle qui se vide de sa faune marine. Ce n’est que vingt ans plus tard que les actions de protection voient le jour et se développent de manière conséquente. Près de quarante ans, c’est le temps qu’il aura fallu à l’humanité pour passer des premières interrogations environnementales, à une réalité à peu près admise que la protection de nos écosystèmes relève d’un enjeu majeur.
La situation est identique dans notre quotidien, lorsqu’on apprend la mort d’un proche, ou qu’un ami prétend vivre une expérience surnaturelle… Ces événements remettent en cause nos fondamentaux et impliquent trop de questions auxquelles personne ne peut répondre : Qu’est-ce que la conscience ? Existe-t-il un au-delà ? Sommes-nous seuls dans l’univers ? Sortir du cadre de ce que nous avons appris être la réalité, génère de la peur et nous ne sommes pas prêts à l’affronter. A moins d’un grand choc. Ce choc des consciences, c’est ce que Clive Hamilton nous impose dans son livre Requiem pour l’espèce humaine, publié en France aux éditions Les Presses de Sciences Po. Selon lui, l’homme se considère encore au centre du monde et croit pouvoir contrôler son environnement comme le ferait un technicien. En 250 pages, Clive Hamilton, membre du bureau pour le changement climatique du gouvernement australien et professeur d’éthique à l’Université Charles Sturt, nous demande d’ouvrir les yeux sur les dangers inévitables du réchauffement climatique « qui provoquera au cours de ce XXI siècle, une transformation radicale du monde ». Le sujet n’est pas nouveau. Seulement, l’auteur va plus loin : il nous propose de comprendre pourquoi nous sommes si nombreux à ne pas prendre conscience de l’urgence de la situation. Son analyse est la suivante : comme face à la mort d’un proche, qu’il s’agisse des politiques, des scientifiques ou de la population en général, nous sommes dans le déni, incapables d’agir.
Des données indiscutables
Aujourd’hui, les données sont claires. Tout commence en 1988, lorsque l’ONU attire l’attention du monde entier sur ce phénomène en extension qui menace la planète, en créant le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’objectif à atteindre : diminuer les émissions des gaz à effet de serre de 25 % en dessous des valeurs de 1990. Car les chiffres sont confirmés par les faits : les températures s’élèvent et provoquent la fonte des glaciers de montagne, de la banquise, des calottes polaires. De nombreuses espèces marines remontent vers les pôles, les insectes des pays chauds colonisent déjà nos régions et de plus en plus de cyclones tropicaux ravagent les côtes de pays jusqu’alors épargnés.
En envisageant les choses sous leur aspect le plus optimiste, c’est à dire en considérant que tous les pays tiennent de manière ferme leurs engagements de réduction d’émission des gaz à effet de serre, en arrêtant la déforestation, en divisant par deux les émissions associées à la production de nourriture — objectifs très loin d’être atteints — nous aurons tout de même envoyé dans l’atmosphère 3000 milliards de tonnes de gaz supplémentaires à la fin du 21ème siècle. Cela provoquera un réchauffement d’environ 4°C en 2100, ce qui génèrera des changements climatiques incontrôlables. La fonte des glaces du Groenland provoquera à elle seule une élévation du niveau des mers de 7 mètres. Mais d’après l’auteur, à cette température, toutes les glaces auront fondu et compte tenu de la dilatation thermique des océans, la montée du niveau des mers sera de… 25 mètres. Les contours géographiques seront redessinés de manière spectaculaire. En se référant à différentes études*, Clive Hamilton évoque une ère chaotique qui durera des milliers d’années. Des bouleversements qui seront tels que la question de la survivance de l’humanité se posera sérieusement. Ce scénario n’est pas une fiction ou une hypothèse alarmiste, c’est ce qui est en passe de se produire…
A qui la faute ?
Depuis deux siècles, 75 % de l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre est imputable aux pays riches. Actuellement, les pays émergents et en pleine croissance – Chine, Inde, Brésil – renforcent le scénario catastrophe. La dépendance des pays riches aux énergies fossiles et celle des pays émergents, au charbon, sont le problème majeur. Car les gaz à effet de serre sont attribuables à trois sources différentes. La première, la plus importante – 50 % environ – est liée à l’utilisation du pétrole (production d’énergie, transports, industries). La deuxième – 12 à 25 % d’après Clive Hamilton – est due à la déforestation et à la combustion du charbon (centrales électriques, chauffage), et la dernière, qui représente 23 %, est liée à la production de gaz autres que le CO2 (le méthane et l’oxyde d’azote) imputables à l’élevage du bétail et aux engrais. Le problème des centrales à charbon, l’industrie la plus polluante qui soit, est qu’elle est en pleine expansion. Même l’Allemagne, réputée « verte », est en train d’abandonner le nucléaire au profit du charbon, sous le prétexte fallacieux que l’on trouvera – un jour sans doute – le moyen d’absorber le carbone émis par sa combustion. Une promesse impossible à tenir, et qui nous mène droit au désastre.
Un effet boule de neige, si l’on peut dire, augmente les effets négatifs de ces émissions de gaz. Plus la température augmente, et plus les « absorbeurs » naturels de ces gaz, disparaissent. Une augmentation de 4°C de la température moyenne de la Terre détruira 85 % de la forêt tropicale amazonienne par les sécheresses et incendies répétés que cela engendrera. Mais le plus grave sera l’impact sur les océans, qui sont les véritables poumons de la planète. En effet, 75 % de la surface de la Terre est constituée des océans, qui abritent le phytoplancton, un organisme qui absorbe le dioxyde de carbone et rejette de l’oxygène. Une légère augmentation de la température provoque une acidification des mers, ce qui conduira à la disparition de ces organismes. Si le phytoplancton meurt, cela perturbera dramatiquement et irrémédiablement le plus important cycle naturel d’absorption du carbone.
Pourquoi un tel déni face à la réalité ?
D’après le psychologue Léon Festinger, lorsque nous apprenons une très mauvaise nouvelle, et que nos certitudes s’effondrent devant l’inimaginable, nous entrons dans un phénomène qu’il a appelé la dissonance cognitive. Nous ne voyons de la réalité que les détails qui sont acceptables, ceux qui renforcent nos convictions. Tous les autres éléments sont occultés. Nous côtoyons uniquement les personnes qui pensent comme nous, et rejetons les autres. Un peu comme devant les nombreux signaux qui annonçaient avec certitude l’holocauste d’Hitler, ou lorsqu’un médecin apprend à une mère que son enfant va mourir, nous fermons les yeux sans y croire. Cela ne peut pas être possible. Parce que la situation est si grave qu’elle devient impensable. En termes de réchauffement climatique, nous sommes aujourd’hui dans cette situation où l’impensable se produit. James Hansen, l’un des experts climatiques les plus connus au monde, assure : « Nous disposons aujourd’hui de suffisamment d’informations pour affirmer avec quasi-certitude que, si on laisse faire, les scénarios de l’évolution climatique conduiront à une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres à l’échelle du siècle, avec des conséquences désastreuses. »
Les preuves scientifiques du réchauffement climatique sont là. Plus personne ne peut les nier. Ceux qui continuent de contester l’évidence, précise l’auteur, sont ceux qui possèdent un intérêt financier ou ceux qui trouvent cette réalité trop douloureuse. En clair, le pouvoir politique des lobbies des combustibles fossiles est tel, qu’il suffit à entretenir et même renforcer cette attitude irrationnelle de déni chez le plus grand nombre. Accepter la réalité du réchauffement climatique requiert un courage hors du commun : celui de réagir. Et ce n’est pas facile. D’abord parce que le réchauffement climatique arrive comme ultime fléau d’une série d’annonces apocalyptiques. La déforestation, la pollution, la disparition des espèces végétales et animales, l’émergence de nouveaux virus, la stérilité, etc… Ces dernières années, il y a tant de sujets préoccupants que la lassitude nous gagne. Pas facile d’agir en planéto-responsable lorsqu’on sait qu’un enfant âgé de 11 ans a déjà vu 25.000 publicités dont le slogan commercial se résume au principe que le bonheur passe par la consommation. On a systématiquement étouffé chez eux, depuis leur naissance, toute velléité de restreindre leurs envies, précise l’auteur. Et pourtant, il est impératif de modifier nos habitudes de consommation et d’éviter le gaspillage. C’est à dire faire la différence entre ce que nous achetons et ce que nous utilisons. Réduire les émissions de gaz à effet de serre n’implique pas d’abandonner le confort moderne. Eviter les voitures qui ne servent jamais, les maisons de campagne inhabitées, les logements trop grands. Nous sommes emplis du plaisir d’acquérir plutôt que du plaisir de consommer. Changer ses ampoules, marcher pour faire ses courses, ne faire bouillir que la quantité d’eau dont nous avons besoin, ne faire tourner la machine à laver le linge que lorsqu’elle est remplie, faire sécher le linge à l’air, manger moins de viande et consommer moins d’essence, sont quelques exemples cités par l’auteur. Des petits gestes individuels certes, mais les plus grands océans ne sont jamais faits que de milliards de gouttes d’eau.
Cependant, un frein pernicieux et supplémentaire vient contrecarrer ces bonnes volontés : la crise et ses conséquences sur notre confort. La précarité dans laquelle nous sommes tous plus ou moins plongés, nous rend aveugles à ce qui est plus grand que nous : le destin de notre planète, et celui de nos enfants. Nous nous inquiétons pour le contenu de notre porte-monnaie, mais à quoi bon si c’est l’humanité toute entière qui disparaît ? Il est impératif de ne pas sacrifier l’avenir au présent. Notre destin est commun. Nous devons agir comme si notre vie en dépendait, car c’est vraiment le cas ! Las, nous sommes faibles et arrogants, prétend Clive Hamilton, et nous restons impassibles devant les avertissements désespérés des scientifiques. « Pour conserver un espoir quelconque d’éviter la catastrophe, pour que l’avenir ne nous échappe pas complètement, précise l’auteur, il faudrait que les émissions des gaz à effet de serre atteignent leur maximum au cours des prochaines années, et certainement avant 2020, puis qu’elles se mettent à décroître rapidement jusqu’à ce que la production d’énergie et les procédés industriels soient totalement dé-carbonés. » Il devient impératif que les nations polluantes soient capables de prendre des résolutions fermes concernant leurs industries et leurs émissions nocives. Et notamment que les lois ne protègent plus ceux qui polluent l’atmosphère et qui menacent notre survie.
Quelles sont les solutions ?
Elisabeth Kübler-Ross a évoqué les cinq étapes face au deuil, principe que l’on peut appliquer au réchauffement climatique dont les conséquences demeurent à nos yeux encore tout fait inconcevables : Face au choc, d’abord le déni. Puis la colère, le marchandage, enfin la dépression, avant l’acceptation. Pour sortir du cycle, il ne reste que l’action. Choisir une attitude responsable pour éviter que la situation n’empire est une chose, mais que pouvons-nous faire pour absorber le trop plein de gaz déjà émis ? Clive Hamilton évoque certaines solutions technologiques futuristes, pour atteindre au plus vite les nouveaux objectifs des climatologues. Capturer et Stocker le Carbone (CSC) sous terre ou développer la géo-ingénierie, cette technique qui consiste à injecter du dioxyde de soufre dans la stratosphère afin de diminuer les effets réchauffant du soleil. Peu réalistes actuellement, l’auteur valorise d’autres solutions qui font déjà leurs preuves : les énergies renouvelables en remplacement des énergies fossiles. Le Danemark, qui tire 21% de ses besoins de l’énergie du vent, prouve qu’une volonté politique peut faire la différence. Associé à de plus grandes capacités de stockage de l’énergie, développer le solaire et l’éolien à grande échelle représente une partie de la solution, d’autant que leur construction est d’un coût dérisoire comparé aux techniques polluantes. D’autres exemples montrent la voie. La ville de New York a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 19 % depuis 2005, ce qui la place aux deux tiers de l'objectif que s'était fixé le maire sortant Michael Bloomberg il y a cinq ans.
Et si nous considérions autrement notre planète…
D’après Clive Hamilton, notre attitude à l’égard du réchauffement climatique dépend des liens que nous entretenons avec la nature. Certains vivent repliés sur eux-mêmes, sur leur confort exclusif, d’autres envisagent leur environnement, la nature, comme faisant partie de leur identité. Notre réponse au réchauffement climatique doit passer par une transformation des consciences. Nous devons renouer des liens avec la nature. La détruire pour la reconstruire n’est pas la solution. Bon nombre de personnes considèrent la planète comme un être vivant. Les chamanes d’Amazonie qui n’ont jamais rompu le lien avec les arbres et les végétaux, disent que plus on laisse d’espace à la nature, et plus on lui donne la chance de combler les vides et de rétablir les équilibres. Est-ce que la technologie doit être la seule solution aux dégâts infligés par notre technologie ? Et si considérer la planète sous un autre angle permettait de trouver d’autres solutions aujourd’hui encore inconnues ? Convaincus de notre toute-puissance face aux éléments, combien de fois avons-nous érigé des murs pour contenir des rivières en crue ? Avons-nous réalisé qu’en couvrant 100 % des sols de nos villes d’asphalte et de ciment, qu’en arrachant les arbres pour ne laisser aucune parcelle de sol où la pluie puisse s’infiltrer, nous avons transformé les zones citadines en aquariums ? Il faut redonner de la place à la terre et aux végétaux. Et ne pas oublier que les arbres sont présents sur Terre depuis 380 millions d’années alors que l’humanité a commencé à voir le jour il y a à peine 5 millions d’années. Pour que des solutions viables émergent pour lutter contre le réchauffement climatique, écoutons nos aïeuls – la nature – nous dicter la bonne attitude.
* Nicholas Stern « The economics of the Climate Change », Robert Socolow et steve Pacula, Université de Princeton, Kevin Anderson et Alice Bows « Reframing the Climate Change Challenge ».
À
propos
auteur
Natacha Calestrémé
Journaliste, réalisatrice et écrivain
Membre de la société des Explorateurs Français ainsi que des JNE (journalistes écrivains pour la nature et écologie).
Natacha Calestrémé est journaliste, réalisatrice et auteure depuis plus de quinze ans. Spécialisée environnement et santé, elle a démontré sa rigueur scientifique en réalisant 31 films documentaires pour les télévisions françaises et étrangères, dont la collection « Les héros de la nature », des films sur l’autisme, les pesticides et le réchauffement climatique. Grâce à son expe ...
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