Impossible de parler de sexualité sans évoquer l’orgasme. Perçu comme
le paroxysme du plaisir, ses effets peuvent s’avérer surprenants.
L’orgasme, explosion intense de plaisir dans
le corps, fruit de l’amplification du désir et
de l’excitation, est généralement considéré
comme étant l’objectif à atteindre dans
la sexualité. Il en serait le « clou du spectacle
», le bouquet final. Alors, cette jouissance hante
nos psychés, nos corps, tout autant que nos clips publicitaires.
Nous le voulons. Toutefois, l’orgasme tel
qu’habituellement médiatisé ressemble parfois à une
sorte d’arnaque du monde moderne. Derrière cette
jouissance présentée comme un big bang bling-bling,
se cache un phénomène notable et que nul ne sait
réellement définir.
La médecine, par exemple, décrit ses manifestations
les plus communes : contractions musculaires du périnée
et des organes sexuels, modification de charges
électriques dans la zone génitale, décharge de fluides
chez la femme et éjaculation chez l’homme – bien
que facultatifs. Le tout serait épicé d’une production
hormonale qui favoriserait la sensation de plaisir et,
bien sûr, de certains facteurs psychologiques. Cependant,
la revue scientifique
Clinical Psychology Review
liste 26 descriptions de cette apogée sexuel sans qu’aucun
consensus ne soit trouvé.
« Pour l’instant, il n’y a
pas de définition cohérente de l’orgasme », confirme le
sexologue Jean-Claude Piquard, auteur de
Les Deux
Extases sexuelles.
« Finalement j’ai eu un orgasme. Mais
mon docteur m’a dit que ce n’était pas le bon », plaisante
Woody Allen. L’orgasme ne serait-il pas alors avant
tout une expérience de lâcher-prise que chacun expérimente
à sa manière ?
C’est ce que pense Wilhelm Reich, médecin psychanalyste,
auteur de
La Fonction de l’orgasme et précurseur
des recherches sur ce phénomène mystérieux. Pour lui,
l’orgasme se produit lorsque la montée en puissance de
l’énergie sexuelle dans le corps lâche d’un coup. Cette
« petite mort » marquerait le passage d’une tension
quasi insoutenable à une relaxation soudaine. Au-delà
de ces symptômes variables, l’orgasme serait avant tout
un abandon de soi. Une expérience divinement jouissive.
« Reich a défini la courbe de l’orgasme en montrant
comment au moment de l’acmé, le corps perd tout contrôle
et décharge l’énergie accumulée, provoquant tout un tas
de réactions », détaille le Dr Michel Heller, psychologue
et auteur de
Psychothérapies corporelles, Fondements et
méthodes.
Revitalisés des pieds
à la tête
Reich note aussi au passage que l’énergie libérée
cherche à irriguer notre organisme. Allant bien au-delà
des parties génitales, ce grand lâcher-prise pourrait
potentiellement nous permettre d’être revitalisés de
la tête aux pieds par un flux puissant d’énergie vitale.
Ceci aurait de multiples effets bénéfiques sur notre
santé. Cependant, le psychanalyste fait le constat de
« cuirasses » qui agissent comme des barrages à cette
circulation. Construites par tout un chacun pour se
protéger des difficultés de la vie, elles se trouveraient
au niveau physiologique (cuirasse musculaire) et psychologique
(cuirasse caractérielle).
Le psychanalyste insiste alors sur la nécessité de les nettoyer
en soulignant que l’orgasme en serait à la fois
un moyen et un résultat. Plus nous sommes libérés de
nos tensions, plus l’orgasme peut prendre de l’ampleur.
Plus il prend de l’ampleur, plus l’énergie qu’il génère
nettoie les barrages qu’elle rencontre.
« Reich considérait
l’orgasme comme une sorte de mécanisme de nettoyage
de nos cuirasses. Il le voyait un peu comme un phénomène
de réinitialisation de nos paramètres », résume le
Dr Gérard Guasch, médecin psychanalyste et auteur de
Wilhelm Reich : Biographie d’une passion.
Nous pouvons alors avoir une sensation de béatitude qui nous fait nous sentir appartenir au cosmos.
Ouverture spirituelle
Que se passe-t-il alors lorsque nous acceptons de vivre
pleinement cette initiation au lâcher-prise ? Abandon
à plus grand que soi dans un plaisir intense. Entrée
dans des espaces-temps où les possibles sont surprenants.
« Je crois que l’orgasme ouvre à la spiritualité car
il nous décharge, ne serait-ce qu’un petit moment, des repères
habituels auxquels nous sommes identifiés. Là, nous
accédons à d’autres sources, dans lesquelles il semble indéniable
qu’il y ait une dimension spirituelle. Nous pouvons
alors avoir une sensation de béatitude qui nous fait nous
sentir appartenir au cosmos », énonce Gérard Guasch,
par ailleurs maître du tao de la tradition Longmen. De
nombreuses traditions spirituelles ont ainsi développé
des pratiques permettant de faire de la sexualité un
marche-pied vers un élargissement de la conscience.